Dédié à tous ceux qui sont fatigués qu’on leur propose autre chose que la mort héroïque. « Nous préférons mourir debout plutôt que de… ». Nombre de journaux de la place ont reproduit (en l’amplifiant donc) cette réflexion de Laurent Akoun tenue récemment lors d’un meeting. Laurent Akoun, on peut le dire, est une figure sociale de première importance en Côte d’Ivoire. « Mourir debout ! », vient-il donc de lâcher récemment à une foule de militants mystifiés. Mais il dit plus ou mieux, Laurent Akoun. Ecoutons-le dans cette tonalité discursive apocalyptique qui a toujours particularisé sa prose syndicale (des années 80) et politique (de 1990 à aujourd’hui : « Si l’on veut que les choses avancent, le Fpi doit s’aligner derrière Laurent Gbagbo et les autres, derrière leurs leaders et alors, on s’assoit et on discute. Toute autre démarche n’est que pure distraction. (…) pour ceux qui ne l’ont pas encore compris, qu’ils sachent que nous préférons mourir debout que de vivre à genoux. » Commentaire laconique de D.S, un habile chroniqueur du bihebdo « L’Eléphant déchaîné » : « C’est vrai que la politique sous nos tropiques signifie la vie ou la mort !!! »Magnifique et subtile réplique ! « Nous préférons mourir debout…». Je n’ai pas pu étouffer en moi la peine qui m’a labouré les entrailles, lacéré l’esprit et le coeur à lire de tels propos venant de Laurent Akoun qui n’est tout de même pas un jeune enthousiaste qui vient de débarquer sur la planète « Politique ». Certes la culture de la sentence apocalyptique de Laurent Akoun n’était pas inconnue de moi. Leader syndical de grande envergure au cours des années 1980 et dont je fus d’ailleurs l’un des lieutenants, puis son compagnon d’infortune dans les geôles militaires de Séguéla, Laurent Akoun nous aura indiscutablement tous marqué par sa culture du mot offensif, son souci de l’entretien de l’adversité, le tout couronné par des élans batailleurs d’une audace presque suicidaire… « Nous préférons mourir debout… ». Mais qui donc a dit à Laurent Akoun que, dans ce pays, des gens sont (encore) prêts à mourir pour les lubies dévastatrices que son leader Gbagbo et toute leur armée de prophètes, d’oracles, de miliciens criminels, d’étudiants écervelés, d’intellectuels fanatisés comme des prosélytes de sectes mystérieuses et anciennes, ont semées et fait prospérer comme fleurs vénéneuses et rampantes, durant une décennie de régence impossible marquée au sceau des crimes insalubres ?! Qui donc a dit à Laurent Akoun que la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, entièrement et résolument en marche vers la sortie du cauchemar pour l’écriture d’une histoire nouvelle conçue sous le sceau des codes de notre hymne national, eh bien, qui a dit à Akoun que cette Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, cette Côte d’Ivoire de l’après l’ère du fracas des armes promue par son leader Gbagbo, est encore prête à faire l’option de la mort insensée au détriment de la vie nourricière et chargée d’espérances ?… Mais il est temps de déshabiller ce propos inquiétant (mourir debout). Non, Akoun, on ne meurt jamais debout ! C’est une ridicule métaphore de poète amateur ! On meurt toujours couché ou assis, mais jamais debout, parce que la mort n’élève pas ; elle vous ramène à la terre, à la condition de poussière et d’être fragile. La mort est négation de l’énergie et de la force qui, elles, entretiennent et maintiennent la position verticale. La mort est horizontalité et la vie, verticalité. Ni toi, ni aucun de vos sbires fanatisés ne mourez donc debout. Vous mourez certainement, mais prosaïquement et bêtement couchés ou, au pire des cas, assis. « Mourir debout » ! Une pauvre poétisation de l’héroïsme à quatre sous ! Reste donc debout, Laurent. Debout. Pour dire et redire la vie, réécrire l’espoir, le souvenir, le devenir et l’advenir, mais non pour exalter la mort dans la folie romantique et mystique du Che recherchant le salut dans la mort, adossé au mur d’une misérable cabane là-bas, à Valegrande, une bourgade de Bolivie où s’est terminée sa turbulente histoire. Non, Akoun ! Arrête de tenir ce type de discours dangereux et vilains aux enfants de ce pays ! Parce que tout d’abord, je sais que tu ne choisiras jamais, toi, la mort à la place de la vie : comme nombre de vos leaders prêts à entrer dans le sanctuaire des héros sans coup férir, tu as toujours su t’abriter là où ne siffle pas la balle-qui-tue, là où ne gronde pas le canon qui détruit, moins encore la fumée asphyxiante du tunnel d’un bunker de la mort. Laurent Akoun, mesures-tu seulement les ravages de ce type de discours sur la psyché des désespérés et des milliers de frustrés de ce pays ? Jeunes gens de mon pays, n’écoutez pas/plus cet homme. Refusez de mourir avec lui… debout ou les jambes en l’air ou dans tout autre position insolite. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il ait réellement l’intention de mourir avec vous. Il vous demande d’aller mourir pour eux. Laissez donc Akoun mourir seul, debout ou non. Selon ses propres fantasmes de héros démodé.
par TIBURCE KOFFI
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