«Historique, parce que c’est la première fois qu’un ancien chef d’Etat est condamné pour des crimes de droits humains par un tribunal international et historique aussi parce que Charles Taylor n’a pas été condamné pour des crimes commis chez lui mais pour des crimes commis par des rebelles qu’il a appuyés», a déclaré Reed Brody, conseiller juridique de Human Rigths Watch, joint par Rfi, jeudi dernier. Après le verdict du procès contre Charles Taylor dans le rôle abominable joué par l’ex-chef de l’Etat libérien à travers son soutien actif à la rébellion armée meurtrière en Sierra Léone conduite par le Front révolutionnaire uni (Ruf) de 1991 à 2001. Le premier enseignement que l’on tire de cette condamnation, c’est que tôt ou tard, tous ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ou qui ont soutenu des rébellions armées payeront pour ce qu’ils ont fait. Certes, ils se sentent protégés au moment des faits, soit par l’immunité que leur confère leur statut (chef d’Etat, par exemple) ou tout simplement, ils sont sous la coupole des pouvoirs en place dans certaines puissances occidentales qui leur sont favorables (c’est le cas pour Charles Taylor qui était le protégé des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et de la France, dans les années 90) ; mais l’histoire ayant de la mémoire, les victimes finissent par obtenir Justice. C’est ce qui est en train d’être fait pour les milliers de victimes (enfants amputés, femmes violées, hommes atrocement tués etc.) de la rébellion sierra-léonaise. Vingt ans après les faits, Taylor va payer pour son soutien à la barbarie du Ruf parce qu’il n’est plus chef d’Etat en fonction, et qu’aujourd’hui, les nouveaux pouvoirs en place en Grande Bretagne, en France et aux Etats-Unis ne le protègent plus.
En attendant que les victimes de la rébellion armée menée par Charles Taylor au Libéria, au début des années 90, à la suite de laquelle il a pris le pouvoir, obtiennent, elles aussi, Justice, l’ex-chef de l’Etat libérien paie pour les atrocités du Ruf qu’il a soutenues en Sierra Léone.
Un message à Compaoré et Ouattara
Il s’agit là d’un message clair à Blaise Compaoré, chef de l’Etat du Burkina Faso, qui est perçu dans les milieux diplomatiques comme un grand soutien actif aux rébellions armées dans la sous-région ouest africaine. Son appui actif, à l’image de celui de feu Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, à la rébellion armée libérienne conduite par Charles Taylor contre feu Samuel Doé, constitue un secret de polichinelle, soutiennent des sources diplomatiques. «A cette époque, comme Charles Taylor que la Cia avait fait libérer d’une prison de haute sécurité dans le Massachussetts pour venir mener une rébellion armée contre Samuel Doé au Libéria, Houphouët et Compaoré bénéficiaient du soutien des Etats-Unis, de la France et de la Grande Bretagne pour leur soutien à Taylor», précise un diplomate africain, en fonction, au moment des faits. Après avoir soutenu la rébellion armée libérienne, c’est celle de la Côte d’Ivoire contre Laurent Gbagbo qui éclate, le 19 septembre 2002, que Compaoré appuie activement. Le chef de l’Etat du Burkina Faso donnera gîte et couvert aux rebelles ivoiriens qui s’entraineront et bénéficieront de tout dans son pays. Parrainée par la France sous Jacques Chirac, cette rébellion armée avait pour principal bénéficiaire Alassane Dramane Ouattara, responsable du parti politique ivoirien, le Rdr, et «poulain» de Paris. En 2003, lors d’un meeting dans le nord de la Côte d’Ivoire, zone annexée par la rébellion armée avec l’appui stratégique de l’armée française et la collaboration de combattants burkinabé, un chef rebelle dénommé Koné Zakaria fera une révélation de taille, en langue malinké, sur le soutien de Ouattara : «C’est Alassane qui nous apportait 25 millions par mois quand on s’entrainait au Burkina. Le combat que nous menons, ce n’est pas pour IB. Ce n’est pas pour Soro. C’est pour Alassane». Des éléments filmés sur ce meeting sont disponibles. Même sur Youtube. Ni Alassane Dramane Ouattara, ni Blaise Compaoré n’ont démenti leur soutien à la rébellion armée qui a dévasté la Côte d’Ivoire de septembre 2002 jusqu’à l’installation de Ouattara, le 11 avril 2011, suite au renversement de Laurent Gbagbo par l’armée française sur ordre direct de Nicolas Sarkozy, successeur de Jacques Chirac à la tête de la France. Mais surtout ami personnel d’Alassane Dramane Ouattara. Femmes violées, enfants décapités, hommes atrocement tués, soldats ivoiriens désarmés massacrés (exemple de la centaine de gendarmes à Bouaké), génocide Wê à Duékoué-Carrefour etc., la rébellion armée ivoirienne a commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sans pareil. Avec le soutien multiforme de Blaise Compaoré et d’Alassane Dramane Ouattara. En Sierra Léone, Charles Taylor s’était engagé officiellement, à la fin des années 90, dans une initiative de paix et de réconciliation dans le pays. Mais officieusement, il continuait à soutenir, avec armes et appuis divers, la rébellion du Ruf. C’est la même situation en Côte d’Ivoire où Blaise Compaoré était le médiateur de la Cedeao dans la crise ivoirienne (2007-2010), pendant qu’officieusement, il continuait de soutenir les rebelles pro-Ouattara des «forces nouvelles». Les chefs rebelles dont Guillaume Soro, Koné Zakaria, Chérif Ousmane, Fofié Kouakou, Touré Hervé dit Vétcho etc. étaient toujours accueillis à bras ouverts à Ouagadougou (où ils possèdent quasiment tous des résidences) et l’entourage de Compaoré aurait tissé des liens d’affaires obscurs avec eux. Trafics divers de matières premières (cacao, diamant, bois de teck, etc.). Tous les crimes et les atrocités commis par la rébellion armée doivent-ils restés impunis ? Les commanditaires, les auteurs et les soutiens actifs de ces ignominies doivent-ils être ignorés ? C’est ici que le procès de Taylor constitue un signal fort à l’endroit de Compaoré et Ouattara. En Côte d’Ivoire, dans le camp du pouvoir Ouattara où on ne rêve que de la condamnation de Laurent Gbagbo par la Cour pénale internationale (Cpi), on a tout de suite perçu, à travers celle de l’ex-chef de l’Etat libérien, un élan prémonitoire contre le Président Gbagbo. En vérité, il s’agit d’une interprétation erronée de la situation. Même si Gbagbo est à l’instar de Taylor, un ancien chef d’Etat et détenu à La Haye comme lui, leurs cas sont totalement différents. L’un est poursuivi pour son soutien à une rébellion armée, l’autre est accusé, à tort d’ailleurs, d’être «co-auteur indirect de crimes contre l’humanité en Côte d’Ivoire durant la crise postélectorale». Le 18 juin prochain, le train vers la vérité sera lancé pour Gbagbo. Un train qui visera également la France, Ouattara et compaoré impliqués, au plus haut point, dans le conflit postélectoral en Côte d’Ivoire.
Taylor et le Ruf, les bourreaux des Sierra Léonais
Charles Taylor, chef de l’Etat du Libéria, de 1997 à 2003, a été reconnu coupable, jeudi dernier, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Sierra Leone, par le Tribunal spécial chargé de juger les responsables présumés des atrocités commises durant la guerre civile dans ce pays (Tssl). « L’accusé est pénalement responsable d’avoir aidé et encouragé la commission de crimes », a déclaré le juge Richard Lussick. L’ancien dirigeant libérien a été accusé d’avoir soutenu la rébellion du Front révolutionnaire uni (Ruf) en Sierra Leone, pays frontalier du Libéria, en fournissant aux rebelles des armes en échange de diamants. Aussi a-t-il été reconnu coupable d’avoir fourni des armes, de la nourriture, des médicaments et des équipements aux forces rebelles sierra-Léonaises lors de la guerre civile, de 1991 à 2002, qui a fait plus de 50.000 morts et des milliers de mutilés. Le débat sur cette condamnation qui ne manque pas d’interpeller aura lieu, car tout indique que Charles Taylor et son conseil interjetteront appel. Mais d’ores et déjà, il convient de souligner qu’Alassane Ouattara et Blaise Compaoré sont dans la même posture que Charles Taylor dans la crise en Côte d’Ivoire.
Didier Depry et César Ebrokié
Notre Voie
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