«Avec Hollande, Ouattara sera très affaibli. Je suis de ceux qui ont stigmatisé un « régime Sarko-Ouattariste » en Côte d’Ivoire. C’est vous dire qu’ils sont intimement liés. En tout cas, il me semble que le pouvoir de Ouattara sera très affaibli si François Hollande devient Président français…»
interview avec Michel Galy
Politologue, anthropologue et professeur à l’Institut des Relations internationales de Paris (France), Michel Galy est l’un des meilleurs spécialistes français des conflits en Afrique. Transfuge du Parti socialiste (Ps) français et proche de Jean-Luc Mélenchon, il juge le quinquennat de Nicolas Sarkozy et parle de ce que pourraient être les futurs rapports entre la France et la Côte d’Ivoire si François Hollande l’emporte, le 6 mai prochain. Interview exclusive accordée à Notre Voie par téléphone depuis Paris, dimanche dernier, après la proclamation des résultats du 1er tour de la présidentielle française.
Notre Voie : Les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle dans votre pays vous ont-ils surpris ?
Michel Galy : Pas du tout. Puisque c’est ce qu’on attendait. Avec François Hollande en première position et Nicolas Sarkozy, en deuxième position, qui vont se retrouver au second tour. A mon sens, ça s’annonce très difficile pour le camp Sarkozy et il sera très loin d’avoir le vent en poupe. Il semble que c’est Hollande qui va l’emporter au second tour et je suis du même avis. Cependant, il faut être prudent puisqu’il s’agit d’une élection.
N.V : On s’aperçoit que les sondages ont révélé des intentions de vote qui ont pratiquement été confirmées…
M.G : Oui, pour une fois. Peut-être qu’on attendait Jean-Luc Mélenchon, un peu plus, autour de 15%. Cependant Hollande ne pourra l’emporter, à mon avis, que si un certain nombre d’électorats se divisent. Par exemple, les 9,13% de François Bayrou. Il est important que la moitié, au moins, aille vers François Hollande et qu’un bon report de voix de la gauche et de l’extrême gauche suive le mouvement. Que même probablement quelques pourcentages d’électeurs du Front national (Marine Le Pen a obtenu 17,90% des voix, ndlr) se portent sur Hollande par refus pour Sarkozy. Si Hollande l’emporte, c’est par rejet de Sarkozy dont la politique intérieure fut un échec et sa politique extérieure, un désastre.
N.V. : A quoi pensez-vous en parlant de désastre de la politique extérieure de Sarkozy ?
M.G. : Je pense notamment de la Libye et de la Côte d’Ivoire.
N.V : Hollande prône le changement par rapport à Sarkozy. Ce changement sera-t-il radical au plan de la politique extérieure, par exemple ?
M.G : Je dirais oui et non. Au bout de cinq ans, je crois que les trois quart du peuple français en ont visiblement assez de Nicolas Sarkozy. Ils veulent passer à autre chose. Est-ce que cela signifie que la politique intérieure et extérieure changera radicalement ? ça, je n’en suis pas si sûr.
N.V : Dans ce cas, le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui a été, selon bon nombre d’observateurs, un véritable échec au niveau économique et des relations internationales ne sera-t-il pas le même tableau qui attend Hollande si rien ne change radicalement ?
M.G : Hollande devra éviter l’exemple Sarkozy. Pour employer une expression que les politiques ont utilisée chez vous, ça a été calamiteux, le quinquennat de Sarkozy. A l’intérieur, il a fait de nombreuses promesses qu’il n’a pas tenues. Il se voulait le candidat du pouvoir d’achat et le pays s’est appauvri. En relations internationales, les Européens et évidemment les pays du Sud comme l’Afrique sont beaucoup plus critiques envers Sarkozy que les Français. Il connait également un rejet quasi-unanime de toute l’intelligentsia française et des milieux de la presse. A la limite, je me dis comment quelqu’un d’un niveau de fond politique aussi médiocre a pu être candidat et élu, il y a cinq ans !
N.V : Vous êtes vraiment dur envers Sarkozy…
M.G : Très sérieusement, je pense qu’il a donné de la France une mauvaise image sur la scène internationale. Je pense à ce qu’il a fait en Côte d’Ivoire et en Libye, c’est inadmissible. Au plan intérieur, il a mobilisé des segments de la société française les uns contre les autres. Il a joué un rôle de diviseur. Après son élection, il s’est éloigné du rôle traditionnel d’un Président en France qui est d’être un rassembleur.
N.V : Parlant de la politique africaine de la France, Sarkozy avait dit en 2007, dès son élection, qu’il serait l’homme de la rupture d’avec les pratiques de la Françafrique. On constate que pendant ses cinq ans de pouvoir, il a plutôt hissé la Françafrique au pinacle. Il est même retourné à la Françafrique des années 60 avec les interventions directes de l’armée française pour installer des pouvoirs choisis par l’Elysée. Qu’est-ce qui s’est passé pour que Sarkozy ne respecte pas sa parole ?
M.G : C’est vrai que la politique étrangère d’un Etat, il est difficile de la faire changer du tout au tout. Il y a une pesanteur du passé des intérêts d’un pays. Ce genre de déclarations comme celles faites en 2007 par Sarkozy, comme le disait son prédécesseur, Jacques Chirac, ça n’engage que ceux qui y croient. Chaque fois que Nicolas Sarkozy a été en Afrique, ce fut une catastrophe, tant au niveau du discours que des actes. On se souvient bien évidemment du discours de Dakar. La déclaration scandaleuse selon laquelle l’homme africain n’est pas encore entré dans l’Histoire. En Rdc, il avait suscité la colère de la classe politique congolaise en suggérant que le Kivu soit partagé entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Sans parler de son intervention coloniale en Côte d’Ivoire qui, à mon avis, a été l’intervention la plus sanglante depuis la guerre d’Algérie et la répression de l’Upc au Cameroun au début des années 60.
N. V : Au Mali, l’attitude de la France sarkozienne vis-à-vis du coup d’Etat militaire contre le Président élu, Amadou Toumani Touré, est apparue bien floue. On a aussi constaté la réaction molle et troublante de Paris à l’égard de la rébellion Touareg de l’Azawad. Comment expliquez-vous cela en tant que politologue ?
M.G : Quel que soit le régime, il y a une double sympathie à Paris dans l’opinion politique et les médias envers les Touaregs. Et pas seulement ceux du Mali. Les Touaregs sont considérés comme un peuple sans Etat. Un peu comme les Kurdes qui n’ont jamais eu leur Kurdistan autonome. Il y a également des liens et de la sympathie pour le pouvoir malien démocratiquement élu tenu par le Président Toumani Touré. Conjoncturellement, il y a les conséquences de la désastreuse intervention en Libye. On compte environ 10.000 missiles, de nombreuses armes lourdes qui sont dans la nature. On parle aussi des accords, semble-t-il, entre le gouvernement français, son armée et des éléments Touareg ayant combattu au sein des forces de Kadhafi. Des accords selon lesquels ces éléments Touareg se replieraient au Mali et au Niger avec armes et bagages. Ce que nous voyons au Mali, c’est la conséquence de l’intervention en Libye. Avec les armes incontrôlées qui jonchent la zone sahélienne, il faut craindre qu’après le Mali, des pays comme le Niger, la Mauritanie et l’Algérie soient dans l’œil du cyclone. Le nord du Nigeria qui est déjà touché, c’est la preuve que la menace plane sur toute la zone.
N.V : C’est une menace qui risque d’embraser toute la sous-région ouest africaine ?
M.G : En tout cas, toute la zone autour du Sahara qui correspond à l’Azawad qui est au fond ce foyer national Touareg. Et puis il y a des tentations très dangereuses que j’ai dénoncées récemment dans une tribune au Figaro (principal quotidien français de droite, ndlr) de certains stratèges des ministères de la Défense et des Affaires étrangères ainsi que de l’Elysée de jouer les Touareg contre Aqmi. C’est extrêmement dangereux parce que ce que ne perçoivent pas ces stratèges qui agissent en amateurs de roman d’espionnage, c’est que cela risque de déstabiliser des Etats fragiles tels que le Mali et le Niger.
N.V : Les populations africaines sur le continent et la diaspora ne veulent plus de la Françafrique. Cette nébuleuse politico-économique à l’allure mafieuse qui rythme depuis 1960, les relations entre la France et ses ex-colonies. Si Hollande arrive à l’Elysée, comprendra-t-il cette exigence des peuples africains ?
M.G : Cette Françafrique est également refusée ici en France par de nombreux démocrates et internationalistes dont je fais partie. Ce qui correspond, un peu, à la gauche de la gauche. Notamment au parti de Jean-Luc Mélenchon. Il pourrait avoir des négociations pour le second tour de la Présidentielle et les législatives, cela fait partie des choses qu’on pourrait exiger. C’est-à-dire la fin des relations incestueuses entre l’armée, les milieux d’affaires et politiques français et africains. Parce qu’il y a un certain nombre de dictateurs africains et d’hommes d’affaires qui sont partie prenante dans ce système. Pour Hollande, qu’il le veuille ou pas, c’est le moment de mettre un terme aux régimes totalitaires. Qu’il démantèle, j’ai bon espoir, les forces d’intervention françaises comme la force Licorne en Côte d’Ivoire. Qu’il retire, le plus rapidement possible, les contingents militaires d’Afrique francophone.
N. V : Comment, selon vous, François Hollande, s’il est élu, pourra-t-il contribuer à ramener la paix et la réconciliation en Côte d’Ivoire, un pays divisé qui l’est profondément depuis avril 2011 ?
M.G : Je suis de ceux qui ont stigmatisé un «régime Sarko-Ouattariste» en Côte d’Ivoire. C’est vous dire qu’ils sont intimement liés. En tout cas, il me semble que le pouvoir de Ouattara sera très affaibli si François Hollande devient Président français. A partir de là, le pouvoir en Côte d’Ivoire sera amené à des négociations véritables avec l’opposition qui va se sentir quelque peu soutenue par Paris. Mais en vérité, c’est la déportation de Laurent Gbagbo à La Haye qui a mis fin à tout espoir de réconciliation. On a vu le ministre de la Justice de Sarkozy se rendre à la Cpi et le procureur Ocampo rencontrer Ouattara à Paris. C’est l’inverse qui pourrait se passer maintenant. C’est-à-dire les pressions du gouvernement de M. Hollande sur la Cpi, son appui aux négociations. Toutes les conditions seront remplies avec le changement de régime à Paris pour qu’au minimum, il y ait des négociations sérieuses avec l’opposition. Qu’il y ait un changement. Et que la Cpi reconnaisse, le 18 juin prochain, la vacuité des charges contre le Président Gbagbo.
N.V : Au plus fort de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, Hollande avait qualifié Gbagbo d’infréquentable. Pensez-vous que la page est désormais tournée ?
M.G : Je pense que c’est du passé. Mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur certaines positions du Parti socialiste (Ps) que j’ai d’ailleurs quitté pour soutenir le Front de gauche. C’est une tendance qui, depuis la guerre d’Algérie, se réfère au président du Conseil, Guy Mollet. C’est-à-dire d’avoir un discours progressiste sur la scène intérieure et une action ou un discours impérialiste et coloniale en politique étrangère. Donc, il faut une pression des démocrates africains et français qui sont contre la Françafrique pour faire évoluer les choses. Permettre de vraies négociations dans votre pays. Dans le meilleur des cas, le retour du Président Gbagbo en Côte d’Ivoire.
N.V : Le 6 mai, vous pensez que les Français pourront massivement voter pour le changement que promet d’incarner Hollande ?
M.G : Si la tendance se poursuit, je pense que le 6 mai, François Hollande sera élu.
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