Afrique et impunité – L’éditorial de Venance Konan

LURD fighters

L’éditorial de Venance Konan

Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone devant lequel l’ancien président libérien, Charles Taylor, était jugé, l’a reconnu coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Il va sans doute se poser, à nouveau, la question de savoir si la justice internationale n’est là que pour juger les Chefs d’État africains. Le débat avait eu lieu après les inculpations de Jean-Pierre Bemba de la Rdc, Omar El-Béchir du Soudan, Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, quelques génocidaires rwandais et plusieurs chefs des interminables rébellions de la RD Congo.
La question s’est posée avec d’autant plus de pertinence que, même si nous, africains, sommes, en ce moment, les champions des violations des droits de l’homme et autres actes barbares, nous n’en avons cependant pas l’exclusivité. Ce que des États réputés démocratiques font en ce moment dans les territoires palestiniens ou en Afghanistan n’est différent de ce qui se passe chez nous que par la forme. Pourquoi donc se concentrer uniquement sur ceux qui violent les droits de l’homme en Afrique en oubliant les autres ?
La question est intéressante et mérite d’être débattue, même si l’on peut nous répondre par avance que tous ceux qui sont, en ce moment jugés par les tribunaux internationaux ne sont pas qu’Africains. Les Mladic, Radovan Karadzic et autres ex-chefs de guerre Yougoslaves, ainsi que les personnes accusées du génocide cambodgien qui se trouvent en ce moment devant une cour pénale internationale, ne sont effectivement pas des Zoulou ou des Baoulé. La question la plus importante à poser, à notre avis, est de savoir si les Africains qui sont inculpés ou jugés par une instance judiciaire internationale le méritent ou non. Charles Taylor qui vient d’être jugé coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité le méritait-il ?

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AP Photo/Peter Dejong, Pool

Peu importe, à notre avis, que ce soit devant une juridiction internationale ou non. Pour avoir séjourné plusieurs fois au Liberia et en Sierra Leone, pour avoir suivi de bout en bout la guerre dans ces deux pays, pour avoir rencontré des victimes et des bourreaux de ces deux guerres, et pour avoir connu un peu charles Taylor et feu Foday Sankoh, son acolyte, nous pouvons répondre sans hésiter que, oui, il méritait d’être jugé. Ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans ces deux pays ne réalisent pas l’horreur qu’ont été ces deux guerres dont les métastases se sont étendues jusqu’à notre pays. Notre crise politico-militaire a eu son lot d’atrocités. L’est de la république démocratique du Congo est ravagé, depuis plusieurs années, par des rébellions qui ont causé des centaines de milliers, voire des millions de morts, sans compter le nombre de femmes violées. Aux confins de l’Ouganda et de la Centrafrique, sévit une rébellion anachronique menée par un certain Joseph Kony, qui veut installer le royaume de dieu sur terre mais qui se fait surtout remarquer par les crimes sans nom qu’elle commet sur les populations civiles, et surtout les enfants. Ne parlons pas des crimes de masse perpétrés par des chefs d’État. Aujourd’hui, avec le premier verdict du procès de charles Taylor, avec Laurent Gbagbo et Jean-Pierre Bemba dans le box des accusés à la Haye, avec l’inculpation d’Omar el-Béchir, et avec la menace qui pèse sur beaucoup d’autres anciens ou actuels chefs de guerre de se retrouver dans la même situation que les précités, tous nos chefs, qu’ils soient d’État, de guerre ou de rébellion vont désormais réfléchir avant de nous massacrer, avant d’enrôler des enfants, avant de violer ou de faire violer des femmes. Et c’est déjà ça de gagné. Ce dont nous avons le plus souffert sur notre continent, est l’impunité totale qui a couvert de nombreux crimes odieux. Il n’y a pas très longtemps, un dictateur aussi ubuesque qu’Idi Amin dada pouvait jeter des milliers de personnes aux crocodiles du Nil sans rien craindre. Aujourd’hui, Charles Taylor et Laurent Gbagbo sont derrière les barreaux et les nuits d’Hissène Habré et de Moussa Dadis camara sont tout, sauf tranquilles. Si c’est là l’une des vertus de la justice internationale, nous la saluons. Et l’encourageons à aller plus loin afin que ceux qui, d’Amérique ou d’Europe, ordonnent ou couvrent des massacres de pauvres civils qui n’aspirent qu’à se libérer, aient eux aussi le sommeil très agité.

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