Côte d’Ivoire. Cent rancunes… de part et d’autre ! par Hermane Aboua

Il y a deux semaines, une dame réagissant à un des actes de la page «Sans rancune», notamment à l’esprit véhiculé à cette tribune, m’envoya un mail. Un mail assez pathétique que je viens ici partager avec vous.

Le nouveau courrier

Il y a deux semaines, une dame réagissant à un des actes de la page «Sans rancune», notamment à l’esprit véhiculé à cette tribune, m’envoya un mail. Un mail assez pathétique que je viens ici partager avec vous. Cette Ivoirienne dit avoir suivi et vécu les évènements de bout en bout, avec beaucoup d’attention, les différents débats au cours de la crise post-électorale… Vécu avec beaucoup de douleurs «le bombardement de la résidence du président, l’assassinat des jeunes patriotes, celle du ministre Désiré Tagro, l’arrestation et l’humiliation du président», de ses proches et toute sa famille… Suivi avec beaucoup d’attention «les excès de joie de toutes ces personnes qui prenaient du plaisir à voir le président et son entourage ainsi humiliés»…

Eté choquée d’apprendre que j’avais été arrêté et emprisonné, accusé de crimes qu’elle ne comprenait pas. Résidant dans l’exzone Centre Nord et Ouest avant, pendant et après la crise postélectorale, cette dame révèle aussi être «témoin tous les jours des souffrances des populations qui ne peuvent se défendre et qui sont laissées à la merci d’hommes armés qui font la pluie et le beau temps sans que le chef de l’Etat ne lève le petit doigt». Elle se sent alors comme quelqu’un qui a été blessé dans sa chair et dont on veut travestir l’histoire.

«Si seulement le chef de l’Etat ouvrait les yeux. Pourrait-on dire qu’il ne sait absolument rien de ce qui se passe et des exactions quotidiennes commises par les FRCI ? Peut-on aimer et pardonner lorsque l’on est encore en guerre? Oui, car moi je ressens la situation actuelle comme une guerre de Ouattara et de ses partisans contre tous ceux qui ne pensent pas comme eux», commente-t-elle.

Et cette dame conclut : «La Côte d’Ivoire a un problème profond et si ce problème n’est pas abordé à la racine, tous nos semblants d’amour et de pardon ne seront que de la poudre aux yeux. Je crois fermement qu’une grande imposture est en cours en Côte d’Ivoire et que nous devons en prendre toute la mesure, au risque de ne plus avoir d’identité. Dois-je me taire ? L’avenir de mes enfants en dépend… Je suis chrétienne et je connais bien les notions d’amour et de pardon. Aimer et pardonner signifie-t-il ignorer tout le mal qui est fait tous les jours aux plus vulnérables?». On lit bien dans ce témoignage toute l’amertume de cette dame qui présente en effet les faits à son niveau qui l’empêche d’adhérer au concept de «sans rancune». Et je la comprends, cette dame. Son témoignage est bien pathétique et beaucoup de personnes se retrouvent sans doute dans ces propos assez francs qui ne veulent exprimer une seule chose : «Si en face, on faisait aussi l’effort d’être sans rancune». Il se peut qu’on ne soit pas tous d’avis avec elle.

Cependant, on apprécie tous le ton modéré utilisé par cette dame pour exprimer son mal. Loin de vouloir certifier ses remarques, je reconnais qu’elle fait attention à ne pas blesser celui qu’elle identifie comme son bourreau. Et ce, malgré la douleur qui l’étreint. Cette dame a pris conscience de la délicatesse des rapports devenus assez fragiles entre Ivoiriens.

Pourquoi ne ferions-nous pas comme elle, c’est-à-dire exprimer clairement ce que nous avons sur le coeur ; dire ce qui nous choque ? Sans passion ? Ailleurs, j’ai trouvé ceci dans les échanges explosifs sur la toile entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara. C’est tout simplement de mauvais goût. En tout cas, ils ne se font pas de cadeau. Chacun, dans son envie vorace de relater les griefs contre l’autre, refuse la langue de bois, utilisant parfois des images et propos infâmes. Un vrai dialogue de sourds, dirait-on. Je vous propose d’ailleurs ici un extrait pris sur le net. J’ai juste donné un pseudo à chacun de nos deux personnages pour ne pas qu’on perde le fil de leur conversation. Respectivement LMP et RDR. Dégustez… sans rancune. A votre lecture.

LMP « Aujourd’hui quel est le constat? Tous ces illettrés qui sont promus à des postes de responsabilité, ces bandits de grands chemins qui vivent le luxe inespéré tandis que ceux qui se battent pour réussir peinent à joindre les deux bouts! On nous a promis cinq universités en cinq ans et le constat c’est que les deux universités d’Abidjan sont aujourd’hui encore fermées, un an après le changement de pouvoir ».

RDR «Mon frère, tout le monde sait ce que Laurent Gbagbo a fait dans ce pays. De 2000 à 2010, il a fait quoi réellement et en toute sincérité ? (…) Des fonds énormes milliards ont été pillés par ses collaborateurs. Comment un président peut-il mettre 800 milliard dans les armes tandis que son peuple a faim ? L’on voyait des vagabonds rouler dans de grosses voitures tout simplement parce qu’ils soutenaient Gbagbo. Gbagbo a été rattrapé par son passé ».

LMP « C’est parce que Ouattrara, le mend… a monté une rébellion qui a attaqué notre chère pays que Gbagbo a vu la nécessité d’acheter des armes pour le pays pour le défendre, sais-tu au moins que ton Ouattara paye à la France au moins 17 milliards du contribuable ivoirien pour sa propre sécurité? Gbagbo détenait la moitié du pays mais remboursait les dettes que Ouattara avait contractées, s’il avait voulu construire sa ville natale Gagnoa, il aurait fait plus que ce qu’il a fait a Yamoussoukro. Entre un peu en toi : entre un fesciste (étudiant) et un « coxer » (illettré), qui mérite d’occuper un poste de responsabilité dans une administration ? Qu’est-ce que Ouattara a fait des armes que Gbagbo a achetées pour les casernes ? Peux-tu évaluer à ce jour, le coût de la rébellion

RDR « Mon frère, donne-moi des noms des illettrés qui sont promus a des postes et qui vivent le luxe inespéré. Attendez les 5 ans pour voir. Tu parles comme si le terrain était mouillé du temps de Gbagbo. Tu sais très bien dans quel état ton Gbagbo a laissé le pays avant de partir ? Le pays était sale, la gabegie des refondateurs. (…) Ça aussi, il faut réveiller ta mémoire pour le sortir. Moi je ne suis pas amnésique. Comme d’ailleurs beaucoup d’Ivoiriens avec moi».

Fin d’extrait de dialogue. Je vous vois déjà le commenter à satiété, chacun à sa façon. Je ne reproche pas grand-chose à l’état d’esprit de nos deux personnages dans cet exercice difficile de tac au tac. Je sais combien c’est difficile de trouver un argument pour démonter celui à qui on se dit opposé. J’observe cependant qu’ils ne sont pas, tous deux, élégants dans la formulation des griefs l’un contre l’autre. Ce qui autorise à ne retenir seulement que la rancoeur et l’animosité qu’il manifeste l’un contre l’autre.

Et pourtant, «il faut beaucoup de naïveté pour faire de grandes choses», prévient René Crevel. Pas alors besoin de se gonfler les biceps à prouver qu’on fait mieux, qu’on a été les meilleurs. Mais allez-y donc en Guinée-Bissau ou si vous le voulez au Mali. Surtout ne vous arrêtez pas à Bamako. Le problème se trouve dans le Nord. Les Touaregs vous y attendent… Un proverbe Attié, peuple du Sud de la Côte d’Ivoire, dit aussi que «le commerçant sot ne dure pas au marché». Il verra toutes ses marchandises parties en un temps record. Son secret : il tient compte des réalités du moment pour fixer ses prix. Encore à méditer, n’est-ce pas ? Sans rancune.

Bonne semaine.

Hermann Aboa

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