Toussaint Alain, ancien conseiller et porte-parole de Laurent Gbagbo, dirige aujourd’hui un groupe de pression et se voit un avenir dans la politique ivoirienne.
Sabine Cessou
Source: slateafrique.com
Un an après l’arrestation de Laurent Gbagbo, Toussaint Alain, 45 ans, se présente comme un «ex-conseiller» du président. Il insiste sur le «ex»: il fait savoir qu’il n’est pas de ceux qui écument les capitales africaines pour récolter de l’argent en se réclamant d’un titre de conseiller ou de porte-parole de Laurent Gbagbo. Il ne citera pas de noms, mais il soutient que tout le monde sait, dans le marigot politique franco-ivoirien, qu’il ne s’entend guère avec les autres ex-conseillers de Gbagbo.
Toussaint Alain, ancien journaliste pour les radios Africa n°1 et BBC Afrique, reste proche de l’ancien chef d’Etat ivoirien, dont il a été le conseiller et porte-parole, d’août 2001 jusqu’à son transfèrement à La Haye, le 30 novembre 2011. Fidèle, il continue de voir en lui «Notre De Gaulle à nous». Il n’oublie pas non plus Simone Gbagbo, qu’il décrit, non sans emphase, comme «notre Aung Sang Suu Ki». L’ancienne première dame est assignée à résidence, depuis le 23 avril 2011, dans une villa d’Odienné, dans le nord de la Côte d’Ivoire. Elle est poursuivie par la justice ivoirienne pour «vol aggravé, détournement de deniers publics, concussion, pillage et atteinte à l’économie nationale».
Activisme politique et lobbying
Toussaint Alain se rend régulièrement à La Haye, auprès de la Cour pénale internationale (CPI) où son ancien patron attend que débute, le 18 juin 2012, son procès. Le 23 janvier, il s’y est rendu en compagnie de Marie-Antoinette Singleton, l’une des filles de Simone Gbagbo. Il s’indigne toujours du sort fait à la famille de l’ancien chef du Front populaire ivoirien (FPI). Et ne manque pas une occasion de dénoncer les conditions de détention de Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président, un ressortissant français inculpé pour «atteinte à la sûreté de l’Etat».
Il ne lâche pas non plus la politique ivoirienne, dans laquelle il se voit désormais un avenir.
«Si Ouattara n’avait pas lancé une chasse à l’homme contre les partisans de Gbagbo, je me serais présenté aux législatives de décembre», affirme Toussaint Alain, qui jouit toujours d’un certain prestige auprès de l’électorat de La majorité présidentielle (LMP), l’ancienne coalition menée par le FPI.
Même s’il n’est pas membre du FPI, ni de cette coalition qui a boycotté les législatives de décembre 2011 après avoir obtenu 45% des suffrages lors de la présidentielle contestée de novembre 2010, selon les résultats certifiés par les Nations unies.
Pour l’instant, cet Ivoirien du Sud, fils d’un entrepreneur en bâtiment et d’une commerçante de Gagnoa, une ville du centre-ouest, vit sa nouvelle vie entre Paris et Washington. Deux capitales où il mène de front son business de «web-entrepreneur» et ses activités politiques, tout en étant soutenu par des membres de sa famille installés en Suisse. Toussaint Alain, ainsi prénommé par son père en hommage à Toussaint Louverture, fondateur en Haïti de la première République noire indépendante, reste féru de politique. Il a co-fondé avec Balié Topla, un banquier installé aux Etats-Unis, Côte d’Ivoire Coalition (CIC), un groupe de pression «pro-ivorien et panafricaniste», qui se fait aider par une société spécialisée dans le lobbying politique aux Etats-Unis.
Toussaint Alain a notamment rencontré en juin 2011 Dick Cheney, l’ancien vice-président républicain des Etats-Unis (2001-2009), le sénateur républicain de l’Iowa, James Inhofe, ainsi que François Hollande et ses collaborateurs en France, des députés en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Norvège. Le CIC, un embryon de mouvement politique, dispose d’antennes partout dans la diaspora ivoirienne.
Son chef a étendu son champ d’action à toute l’Afrique, dont l’actualité lui donne plus d’occasions de s’exprimer que la seule Côte d’Ivoire, en voie de relative normalisation. Sur le Mali, il est intarissable:
«L’Union africaine est incapable de résoudre quoi que ce soit. Les acteurs maliens doivent trouver une solution eux-mêmes pour éviter la guerre. La force que pourrait déployer la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), 2.000 ou 3.000 hommes, fait penser à un simple gadget, compte tenu de l’étendue du Nord-Mali. Ce serait comme mettre un nain de jardin au Stade de France!»
Ouattara reste l’ennemi
Et de s’en prendre à Alassane Ouattara, encore et toujours, qu’il accuse de rendre le «dialogue impossible» au Mali en recourant à la force. Président d’une Fondation nationale de sciences politiques (FNSP) fondée en 2006 à Abidjan et qui compte relancer ses activités en Côte d’Ivoire en octobre 2012, Toussaint Alain redoute une «balkanisation du Sahel, avec un risque de propagation à l’Algérie, la Mauritanie et au Niger si les Touaregs du Mali obtiennent satisfaction.»
Pas question pour lui de retourner de sitôt en Côte d’Ivoire.
«Ce serait le meilleur cadeau à faire à Ouattara, comme si je voulais me livrer», sourit-il.
Il ne foulera pas la terre natale tant que tous les exilés politiques du camp Gbagbo n’auront pas regagné le pays avec des garanties sur leur sécurité et la levée des poursuites judiciaires dont ils sont l’objet. Lui-même n’est pas visé par un mandat d’arrêt, mais il estime impossible de se rendre chez lui tant qu’il n’a pas la certitude de ne pas être inquiété.
Il s’insurge d’ailleurs contre l’arrestation, le 29 mars, de Rodrigue Dadjé, l’avocat ivoirien de Simone Gbagbo, cueilli à l’aéroport alors qu’il venait de Lomé, la capitale du Togo, où il s’est établi avec sa famille. Une détention arbitraire au siège de la Direction de la surveillance du territoire (DST) contre laquelle protestent des membres du barreau d’Abidjan.
Un an après, Toussaint Alain reste égal à lui-même. Prêt à reconnaître qu’il y avait des bisbilles dans l’entourage de Gbagbo, mais toujours là pour pilonner verbalement Alassane Ouattara.
«Il n’a résolu aucun problème, au contraire, avec les vagues de licenciements dans les entreprises publiques comme la Société des transports d’Abidjan (Sotra), la Radio-Télévision ivoirienne (RTI), et une chasse aux pro-Gbagbo dans la Fonction publique qui ressemble à une épuration ethnique.»
La Commission dialogue, vérité et reconciliation (CDVR) n’existe à son avis que sur le papier, puisqu’elle n’a «rien entrepris qui permette le retour des exilés». Le dialogue entre le pouvoir et l’opposition lui paraît «timide»: le FPI et les partis de l’ancienne majorité présidentielle ont soumis une plateforme de revendications à laquelle les autorités n’ont pas donné suite.
Il s’agissait, entre autres, de lever les mandats d’arrêt lancés contre les anciens responsables du régime Gbagbo, de voir les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI pro-Ouattara) restituer les biens pillés et volés pendant et après la bataille d’Abidjan, et de lever le gel des comptes bancaires des anciens dignitaires figurant sur une liste établie en juillet 2011. Entre 400 et 500 personnes selon Toussaint Alain, parmi lesquels d’anciens ministres, mais aussi des artistes et des écrivains.
Sabine Cessou
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