Source: Fraternité Matin / radio-kankan.com
Malgré la transition réussie au Sénégal, on est en droit de s’interroger. La démocratie a-t-elle droit de cité en Afrique?
ll y a une dizaine d’années, il y avait deux terrains vagues situés, l’un, en face de « Fraternité Matin » (quotidien Abidjanais), l’autre, à gauche à la descente du pont du Général de Gaulle, au quartier « Biafra » à Treichville.
La coopération française les aménagea pour en faire des terrains omnisports, avec de belles pelouses où les jeunes du quartier et des écoles voisines pouvaient pratiquer du football, du rugby, et beaucoup d’autres sports, ainsi que des apatams (paillotes) pour se rafraîchir.
«laver la tête d’un singe, c’est gaspiller du savon.»
Tout ce que nous avions à faire était de les entretenir. Il ne fallut pas plus de quelques mois pour que ces terrains retrouvent leur aspect d’antan, c’est-à-dire plus de pelouse, plus de poteaux, plus d’apatams. J’écrivis à ce propos un billet dans « Ivoir’Soir » que je conclus par ce dicton bien de chez nous: « laver la tête d’un singe, c’est gaspiller du savon. »
C’est à ces terrains de sport que me font penser les soubresauts de notre démocratisation. Nous mettons en place, tous seuls ou avec l’aide de pays occidentaux, de belles démocraties, nous nous en félicitons, tout le monde nous en félicite, et puis un beau jour, sans crier gare, nous enclenchons la marche arrière pour nous retrouver au point de départ. Prenons le Sénégal, longtemps considéré comme le laboratoire de la démocratie en Afrique francophone.
Un peu plus de trente ans après, nous en sommes à croiser les doigts en pensant au lendemain du second tour de l’élection présidentielle. Parce que tout peut basculer. Dans le pire comme dans le meilleur.
Dans une vraie démocratie, on n’a pas ce genre de crainte. Prenons la Côte d’Ivoire. Après une crise d’une dizaine d’années, nous avons réussi à organiser une élection présidentielle suivie par le monde entier. Le second tour fut précédé par un débat entre les deux candidats, pour lequel nous reçûmes de chaleureuses félicitations, car on n’en avait jamais vu de cette tenue sur le continent. Mais après la proclamation des résultats définitifs, nous trouvâmes le moyen de nous enfoncer dans une meurtrière guerre qui fit plus de 3000 morts.
Menaces de déstabilisation de notre jeune démocratie
Un an après la fin de la crise, rien n’est encore acquis. Les menaces de déstabilisation de notre jeune démocratie sont toujours présentes. Et aujourd’hui, le Mali. Il était cité comme l’un des modèles réussis de démocratisation dans notre région. Pendant ce que l’on pourrait appeler le printemps démocratique de l’Afrique noire, en 1990, le général Moussa Traoré qui présidait le Mali fit tirer sur la foule.
Les militaires le renversèrent au grand soulagement de tout le monde. Celui qui fit le coup était Amadou Toumani Touré. Il fit la promesse de ne pas confisquer le pouvoir et il respecta sa parole.
Il organisa des élections où il ne fut pas candidat. Celui qui devint président, Alpha Oumar Konaré, fit ses deux mandats comme prescrits par la constitution de son pays et s’en alla. Amadou Toumani Touré brigua les suffrages des Maliens et fut élu.
Lui aussi avait l’intention de respecter la constitution de son pays. Il était à un mois de la fin de son second mandat. Il n’était pas candidat à la prochaine élection présidentielle qui doit se tenir en avril. D’où vient-il que des militaires fassent un coup d’Etat contre lui, maintenant, au moment où le pays est confronté à une rébellion?
L’argument des putschistes est la dénonciation de la faiblesse du chef de l’Etat devant la rébellion touarègue. Croyez-vous que, s’étant installés au pouvoir, ces militaires auront pour priorité d’aller bouter la rébellion hors du Mali? Ils viennent de découvrir les délices du pouvoir et du pillage des populations civiles. Ils n’iront certainement pas se faire tuer maintenant.
Il y a quelques années nous avions cru en avoir fini avec les présidents ridicules et cruels du genre Idi Amin Dada et Bokassa. Nous avons eu les deux en Moussa Dadis Camara.
Il est à craindre que ce dernier n’ait fait des émules au Mali, vu les difficultés que les putschistes ont eues pour lire leur propre communiqué. Combien de vraies démocraties nous reste-il encore sur le continent? Ne froissons personne en citant des noms de pays.
Le Mali vient de se retirer de la liste. Combien de temps mettront les autres avant de faire leur marche arrière? Laver la tête d’un singe, c’est vraiment gaspiller du savon. Mais nous ne pouvons plus continuer de nous contenter de ce genre de phrase.
Une fois les rituelles interrogations du genre « que font la CEDEAO (Communauté économique de développement des Etats d’Afrique de l’ouest), l’UA (Union africaine), l’ONU (Organisation des Nations unies), la communauté internationale ? » posées, l’autre question doit être « que faisons nous, nous autres sociétés civiles africaines ? » Pour une fois, nous devons tous à l’unisson faire comprendre d’une façon ou d’une autre à ces militaires maliens que personne, absolument personne ne les soutiendra, et que tout le monde les combattra. Parce que nous ne voulons plus gaspiller du savon.
Source: Fraternité Matin
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