ABIDJAN , 19 mars (IPS) – « J’aimerais utiliser la contraception, mais mon mari s’y oppose », déclare Bintou Moussa*. Cette mère de 32 ans vient d’accoucher de son sixième enfant à l’Hôpital général d’Abobo, une commune d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
Comme les violences ont éclaté après les élections de novembre 2010 dans le pays, lorsque l’ancien président, Laurent Gbagbo, a refusé de céder le pouvoir à son successeur, Alassane Ouattara – mettant la Côte d’Ivoire dans une impasse politique et économique pendant six bons mois – le mari de Bintou Moussa, Ibrahim, un menuisier, a perdu son emploi et a du mal à en trouver un autre.
La famille survit à peine grâce à l’argent qu’Ibrahim gagne en faisant de petits boulots ça et là. Mais en dépit de leur situation économique difficile, Ibrahim refuse de prendre en considération le planning familial.
« Mon mari ne veut pas utiliser de préservatifs. Il estime que c’est contre la nature. Et je n’ose pas prendre la pilule contraceptive parce que je crains qu’il ne s’en rende compte », explique Bintou.
Priée de dire si elle connaît ses droits relatifs à la sexualité et la santé de reproduction, cette femme secoue la tête. « En tant que chef de la famille, c’est mon mari qui prend les décisions sur la santé de la famille », di-t-elle. Ceci comprend son corps, poursuit-elle.
Moussa n’est pas au courant de la possibilité d’avoir un contraceptif injecté une fois par mois, si elle le souhaite, et qu’elle peut le faire sans le consentement de son mari. Elle ne sait pas non plus comment accéder à de tels services de santé parce qu’il n’y a aucun service de planning familial dans l’hôpital ou dans n’importe quel centre de santé public à Abobo, la deuxieme plus grande banlieue d’Abidjan avec une population estimée à un million d’habitants.
En effet, la capitale économique ivoirienne, qui compte au moins cinq millions d’habitants, ne dispose que d’un centre de santé qui offre des services de planning familial gratuitement. Il est situé dans les locaux de l’hôpital public CHU de Yopougon, la plus grande banlieue d’Abidjan, qui se trouve à environ 15 kilomètres au sud-ouest d’Abobo et est géré par l’organisation non gouvernementale, l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (AIBEF).
Ici, le personnel conseille environ 80 patientes par jour sur les questions relatives aux droits de la reproduction et de la sexualité, notamment la contraception, les rapports sexuels protégés, le VIH et autres infections sexuellement transmissibles, les grossesses chez les adolescentes, ainsi que sur la santé maternelle et infantile. Le centre de santé gère également des programmes de sensibilisation à travers une clinique mobile pour informer les gens sur les services qu’il fournit.
« Notre principal obstacle, c’est comment surmonter la perception patriarcale et culturelle selon laquelle l’homme prend toutes les décisions dans le foyer. Mais au même moment, les hommes disent que c’est la responsabilité de la femme de prendre soin des enfants et de leur santé, y compris sa propre grossesse, la naissance et les soins post-natals », explique Dr Nathalie Yao-N’Dry, la chargée de programme du centre de santé.
« Alors que les femmes ne peuvent effectivement pas prendre des décisions sur l’accès aux services de santé sans l’autorisation de leurs maris, ceci est une contradiction dangereuse ».
Beaucoup de femmes partagent l’expérience de Bintou Moussa en Côte d’Ivoire, un pays d’Afrique de l’ouest où le planning familial est largement considéré comme un « problème de femmes » pour lequel les maris n’ont pas à se préoccuper. En conséquence, très peu d’hommes utilisent le petit nombre de services publics disponibles, alors que les femmes continuent de lutter pour réaliser leurs droits relatifs à la sexualité et la reproduction.
L’AIBEF tente progressivement de changer cette situation. « Chaque fois qu’un homme est malade et vient pour accéder aux services de santé généraux dans l’hôpital, nous essayons de lui recommander les services de planning familial aussi. Mais il est très difficile d’amener les hommes à s’y intéresser », souligne Yao-N’Dry.
L’autre obstacle, c’est la disponibilité des services. Alors que l’AIBEF a du mal à amener les hommes à adhérer au concept de planning familial, la plupart des autres installations sanitaires publiques dans le pays n’offrent même pas de tels services. L’une des raisons est que le gouvernement n’a accordé aucune allocation spécifique pour le planning familial dans son budget national pour la santé, déjà faible.
Seulement 4,5 pour cent du budget du pays va vers la santé, en dépit du fait que la Côte d’Ivoire est l’un des pays de l’Union africaine à s’être engagé à travers la Déclaration d’Abuja en 2001 à consacrer au moins 15 pour cent de son budget national aux services de santé.
« Les infrastructures sanitaires à travers le pays manquent de fonds, d’agents de santé qualifiés et de ressources », se lamente Germaine Moket, la directrice des services médicaux de la branche locale de la Fédération internationale pour une paternité planifiée, une organisation internationale qui aide avec des services de santé de reproduction et de planning familial dans plus de 180 pays à travers le monde.
« En conséquence, la plupart des centres de santé publics dans le pays ne disposent pas de contraceptifs en stock, du moins pas régulièrement », explique-t-elle. « Et même s’ils en ont, ils les vendent à des prix que la population en général ne peut pas supporter, puisque ces médicaments ne sont pas distribués gratuitement ».
Depuis 10 mois que la Côte d’Ivoire essaie de se remettre de sa violente crise post-électorale, le nouveau gouvernement du pays a mis en place un certain nombre de mesures visant à améliorer les services de santé dans le pays.
*Le nom a été modifié pour protéger l’identité de la personne interviewée. (FIN/2012)
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