Le quotidien Le Monde incendie le procureur de la CPI – « Ocampo est soumis aux Occidentaux »
Dans un article au vitriol, la correspondante du quotidien parisien du soir, «déshabille» le magistrat argentin, dénonce sa servilité vis-à-vis des puissances occidentales et dévoile ses méthodes absolument douteuses. Ces critiques sont émises depuis plusieurs mois déjà… par votre quotidien préféré. La charge est violente. Et surprenante de la part du quotidien Le Monde, soutien inconditionnel de la «gouvernance mondiale» et des aventures guerrières occidentales en Côte d’Ivoire, en Libye et en Syrie. Dans son édition datée d’aujourd’hui, Le Monde revient, sous la plume de Stéphane Maupas, sur le premier jugement rendu par la Cour pénale internationale en dix ans d’existence. Le chef de guerre congolais Thomas Lubanga a en effet été reconnu coupable de «crimes de guerre» avant-hier. Ce jugement sera sans doute le seul rendu par le procureur Louis Moreno-Ocampo, qui plie ses bagages en juin prochain. La question de son bilan et de ses méthodes plus que discutables est donc à l’ordre du jour. Et Le Monde ne passe pas par quatre chemins pour le tacler sévèrement. «Dans ses communiqués, M. Moreno-Ocampo revendique une impartialité qui est démentie par les faits. Poignée de main chaleureuse avec l’Ougandais Yoweri Museveni, admiration déclarée pour le Rwandais Paul Kagamé, dont les pratiques sont pourtant dénoncées par l’ONU et les ONG», écrit Le Monde. Qui aurait également pu noter la rencontre discrète d’Ocampo et de Ouattara à son domicile privé parisien, et la «poignée de main chaleureuse» avec Guillaume Soro, pourtant soupçonné des pires crimes contre l’humanité. A Yoweri Museveni et Paul Kagame, qui ont historiquement prêté leurs pays comme bases arrières aux rébellions congolaises et qui ont été les alliés indispensables des multinationales qui pillent la RDC, Le Monde aurait pu adjoindre Blaise Compaoré, revolver françafricain tendu sur l’Afrique de l’Ouest, complice de Charles Taylor au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire mais jamais inquiété, tellement dans le secret des dieux qu’il a pu «prophétiser» dès 2003 sur l’extradition du président Laurent Gbagbo à la CPI. Museveni, Kagame et Compaoré sont les alliés des Occidentaux et des «nouveaux prédateurs» en Afrique et, sous Ocampo, cela vaut impunité.
Le Monde poursuit dans sa lancée. «C’est par le jeu des preuves que la justice internationale peut être manipulée. En enquêtant par des intermédiaires, par procuration, le procureur multiplie les risques. Sa victoire dans l’affaire Lubanga semble être une goutte d’eau dans la lutte contre l’impunité au Congo. En obéissant à la même stratégie au Darfour, en Libye ou en Côte d’Ivoire, M. Moreno-Ocampo reste soumis au bon vouloir des puissances régionales et occidentales», écrit Stéphanie Maupas. En évoquant les «intermédiaires» dont se sert l’actuel procureur, la journaliste du Monde met les pieds dans le plat et permet de comprendre la pertinence de la démarche de l’avocat principal du président Gbagbo à la CPI, Maître Emmanuel Altit, qui entrave la stratégie d’Ocampo, qui veut «expurger» (faire disparaître des dossiers) de manière systématique et sans s’expliquer les noms de ses «victimes» mais également de tous les membres de son bureau, de tous ses enquêteurs et de tous ses traducteurs. Parce que, selon toute évidence, il a travaillé main dans la main avec des officines du RDR, et ne voudrait pas que la Défense enquête sur ses enquêteurs et leur crédibilité. La référence aux «intermédiaires» fait également penser à l’utilisation excessive de Human Rights Watch, ONG financée en grande partie par le milliardaire Georges Soros, qui est réputé avoir financé la campagne d’Alassane Ouattara.
Couper ses accusations de la racine du conflit
La technique d’Ocampo, qui consiste à «séquencer» les crises et les crimes liés à ces crises afin d’accabler les personnes qu’il vise, sans avoir à s’en prendre aux protégés des grandes puissances, est également dénoncée par la correspondante du Monde à La Haye. «Jean-Pierre Bemba, principal opposant au président congolais, Joseph Kabila, est à La Haye depuis novembre 2010. Il est un acteur majeur des guerres de l’est du Congo. Mais pourtant, devant la CPI, il ne répond que des crimes commis en République centrafricaine. Un peu comme si le tribunal pour l’ex-Yougoslavie avait inculpé l’ancien président Slobodan Milosevic pour la seule guerre du Kosovo, faisant l’impasse sur son rôle en Bosnie-Herzégovine. Les accusations du procureur sont circonscrites à quelques faits. Elles ne donnent pas une vision claire des responsabilités dans la guerre féroce que se sont livrés par milices interposées l’Ouganda, le Rwanda et le Congo. Seuls deux autres chefs de milices, Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga, sont poursuivis pour crimes contre l’humanité en raison du massacre de 230 personnes à Bogoro, village d’Ituri, le 24 janvier 2003. Une seule journée dans une guerre de dix ans pour laquelle il n’existe pas de bilan précis, mais qui, selon l’ONU et les ONG, a fait plusieurs centaines de milliers de morts. En coupant ses accusations de la racine du conflit, le procureur a posé un acte politique. Ni le pouvoir ougandais ni le régime rwandais ni les responsables de Kinshasa n’ont été inquiétés ; aucun responsable clé n’a été cité, ne serait-ce que comme témoin», écrit-elle. La volonté d’Ocampo de n’enquêter, au départ, que sur la guerre post-électorale ivoirienne ne relève-t-elle pas des mêmes techniques de saucissonnage opportuniste ? Sur le dossier ivoirien, la question de «la racine du conflit» est un tabou réel. Le malaise du bureau d’Ocampo à l’annonce de l’élargissement de l’autorisation d’enquêter sur le dossier ivoirien au début de la rébellion en 2002 est ainsi apparu dans les propos de Pascal Turlan, conseiller français du magistrat argentin. «On va regarder ce qui s’est passé depuis 2002 mais on n’a pas d’obligation d’enquêter sur ces crimes-là, on a maintenant la compétence pour le faire si on le souhaite et si on l’estime pertinent».
«Il voulait conduire une affaire rapide et facile»
Le pli politicien de Luis Moreno-Ocampo, plus soucieux des effets de manche que de la soif de justice des victimes, transparaît également de l’article du quotidien français. Pour gagner du temps, et se donner de la contenance avant son départ, le procureur qui n’avait jusque-là bouclé aucun de ses nombreux dossiers, a envoyé valdinguer toutes les charges relevant des violences sexuelles et des massacres au sujet de l’affaire Lubanga. «Le procureur nous avait demandé d’oublier les massacres, il voulait conduire une affaire rapide et facile», affirmait en 2009 un enquêteur qui avait claqué avec amertume la porte de la Cour», révèle Stéphanie Maupas. Au final, l’article du Monde reprend quasiment tous les griefs que les analystes ivoiriens critiquant la méthode Ocampo ont développés ces derniers mois. Le Nouveau Courrier n’est pas peu fier d’avoir été à la pointe du combat contre les impostures du procureur argentin sur une affaire Gbagbo qu’il laissera comme une patate chaude à son successeur, la Gambienne Fatou Bensouda, qui sera déjà à la barre lors de l’audience de confirmation des charges le 18 juin prochain. Bien entendu, rien ne prouve qu’elle sera plus soucieuse du droit et moins politicienne que son prédécesseur. Comme lui, elle a été, au fond, cooptée par les puissances occidentales qui utilisent tant la CPI comme un jouet que son crédit ne cesse de s’éroder. Dangereusement.
Par Philippe Brou
Le Nouveau Courrier
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