» La CPI reconnaît Thomas Lubanga coupable de crimes de guerre
Le congolais Thomas Lubanga est devenu mercredi 14 mars le premier condamné de la Cour pénale internationale (CPI). Un jugement qui entre dans l’histoire, l’aboutissement concret d’un procès de cinq ans, dix ans après la création de cette juridiction internationale en 1998. L’ensemble des grandes organisations internationales des droits de l’Homme s’est félicité de cet événement historique. C’est que le temps a semblé long pour ceux qui doutaient de l’efficacité et de l’utilité de la CPI. Justice trop lente, à deux vitesses, limitée dans son application, inégale, partiale, instrumentalisée… Les critiques sont nombreuses.
Ce premier verdict va-t-il redonner à la CPI toute sa crédibilité ? « Il n’est jamais trop tard pour rendre la justice », tranche Mario Bettati, professeur émérite de droit international à l’université Paris II et inspirateur de la notion de droit d’ingérence. En effet, mieux vaut un verdict que pas de verdict du tout. Mais cette première expérience judiciaire de la CPI, bien qu’elle soit une réussite inespérée, a révélé bien des lacunes.
Une justice de vainqueurs ?
Thomas Lubanga était un chef de milice rebelle en RDC au début des années 2000. Il a été déclaré coupable de crimes de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans en les faisant participer à des conflits armés. L’une des critiques souvent exprimée lors de ce procès s’est notamment focalisée sur le fait que le co-accusé de Thomas Lubanga, Bosco Ntaganda, continue de couler des jours heureux dans l’est du Congo. Il est aujourd’hui général dans l’armée congolaise. Thomas Lubanga, considéré comme un empêcheur de tourner rond, a été livré à la justice internationale par Kinshasa. Cette anomalie est loin d’être unique.
Visé par un mandat d’arrêt international, le président nord-soudanais Omar el-Béchir a été mis en examen pour génocide au Darfour. Il n’a pour l’instant jamais été inquiété. Cela s’explique notamment par le fait qu’il est soutenu par une majorité de sa population, qu’il est un acteur important de la région et qu’il prend part aux différentes négociations menées par l’Union africaine (UA). Selon Pierre Hazan, professeur de droit international à l’université de Genève et auteur de « Juger la guerre, juger l’histoire » (Puf) « il y une concurrence entre deux légitimités ». « D’un côté celle de la CPI, de l’autre celle d’un président soutenu par l’UA. »
Instrumentalisation politique
Ainsi, la CPI est aussi un acteur du jeu diplomatique. Le 14 mars, on apprenait que la France avait envoyé dans des pays frontaliers avec la Syrie son ambassadeur chargé des droits de l’homme afin de réunir des preuves des atrocités commises par le régime de Bachar al-Assad pour un dossier à remettre à la juridiction internationale. Un moyen supplémentaire pour faire pression sur le régime. « Désormais, les différents protagonistes intègrent l’existence de la CPI dans leur raisonnement stratégique et certains même dans leurs règles d’engagement », estime Pierre Hazan. « L’effet de stimulation peut se vérifier et faire en sorte que les Etats soient plus attentifs aux respects d’un certains nombres de règles ». Selon le spécialiste, cette épée de Damoclès a poussé Israël à se conformer aux standards de la CPI après la publication du rapport Goldstone et les Britanniques à juger sévèrement plusieurs de leurs soldats après des bavures en Irak.
En revanche, cet effet dissuasif ne tient plus dès lors que le politique s’imbrique dans le système judiciaire. « Pour agir, le procureur s’appuie principalement sur les Etats qui le saisissent. Mais s’ils font appel à lui, c’est souvent dans un intérêt stratégique. Et c’est d’autant plus problématique, quand les Etats sont eux-mêmes responsables d’exactions », juge Pierre Hazan. « En Ouganda, par exemple, le président Yoweri Museveni avait demandé à la CPI d’intervenir. Pourtant, l’armée ougandaise avait elle aussi commis des exactions », rappelle-t-il. Ou comme dans l’affaire Lubanga.
Autre problème que soulève Pierre Hazan, l’utilisation de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unis. « Quand le Conseil de sécurité saisit la justice internationale, elle participe de cette entreprise de décrédibilisation d’un régime. Elle peut ouvrir la voie à une intervention militaire comme cela a été le cas en Libye. La question aujourd’hui est de savoir si la CPI est une institution en soi ou bien un organe d’exécution, un bras judiciaire du Conseil de sécurité pour intervenir ou ne pas intervenir. »
Une lenteur frustrante
Autre reproche fait à la CPI : la lenteur des procédures. En dix ans, la juridiction a abouti à un seul jugement. Sept pays font aujourd’hui l’objet d’enquêtes : l’Ouganda, la RDC, la République centrafricaine, la région du Darfour, le Kenya, la Libye et la Côte d’Ivoire. 12 affaires sont en attente contre 21 personnes. Quatre personnes sont détenues à La Haye : Lubanga, Katanga, Ngudjolo, Bemba et Laurent Gbagbo. Les victimes trouvent le temps très long. Cette durée tient avant tout au caractère inhérent à la justice internationale avec des crimes de masse à très grande échelle. Les moyens d’enquêtes sont d’autant plus compliqués qu’il s’agit souvent de terrains peu facile d’accès et encore en conflit armé. La participation des victimes, nombreuses, ralentit les procédures dans lesquelles la défense peut à tout moment multiplier les incidents. Rien de très anormal en somme. « Mais aussi, il y a le système cloisonné de la CPI », explique Emmanuel Decaux, professeur de droit à Paris II et directeur du centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire. « Il y a des divisions au sein de la Cour, notamment entre le procureur et la Chambre. Le premier est complètement indépendant, il fait ce qu’il veut dans son coin sans coordination. D’ailleurs dans l’affaire Lubanga, il y a eu un désaveu vis-à-vis du procureur, la Chambre l’accusant d’être passé par des intermédiaires et d’avoir entendu un tas de faux témoins. Beaucoup de temps a été perdu à faire le tri. »
Un travail de mémoire
Ainsi, la CPI commence à peine à prendre ses marques. Emmanuel Decaux assure que les juges qui y siègent sont conscients des problèmes, et reconnait que la CPI doit s’en tenir à des priorités même si elle laisse de côté certains éléments. « Si on veut tout faire, on ne fait rien », estime-t-il. « Dans le procès Lubanga, la CPI a voulu être exemplaire et faire jurisprudence sur le problème des enfants soldats. Elle a été efficace. Les victimes ont été prises en compte et les droits de la défense ont été respectés. »
« Ce qui compte c’est la mise en mémoire des crimes qui ont été commis », estime de son côté Mario Bettati. « Lors du procès de Nuremberg, ce ne sont pas les condamnés qui ont été les plus importants. Il n’y en a eu que 19… assez peu en regard de la tragédie. En revanche, les 41 volumes des actes du tribunal forment le recueil le plus complet pour lutter contre les négationnistes. Ce sont des preuves, une mine de renseignements extraordinaires ».
Par Sarah Diffalah
nouvelobs.com
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