Après plusieurs jours sans gouvernement, la Côte d’Ivoire a enfin des ministres. Rien de nouveau sous le soleil, ou presque : le Pdci-Rda a été floué avec une primature vide. Ouattara et les siens ayant déjà pris soin de tout «délocalisé» à la présidence. Décryptage. Comment monopoliser tous les pouvoirs tout en donnant l’impression d’être partageur, et de respecter – après tout de même près d’un an – ses engagements avec l’allié PDCI ? C’est cette question que les stratèges du RDR ont visiblement eu à l’esprit dans l’orchestration du mouvement de chaises musicales que représentent la mise en place de l’Assemblée nationale et d’un nouveau gouvernement. Certes, Jeannot Ahoussou Kouadio est désormais le locataire de la «Maison Blanche». Mais il est d’ores et déjà sérieusement circonvenu à la fois par Alassane Ouattara, par les «historiques» et les «durs» du RDR qui affûtent leurs longs couteaux – à titre préventif – dans les bureaux feutrés de la Présidence et par une Assemblée nationale majoritairement contrôlée par les ouattaristes. Selon toute évidence, «la Case» se prépare à phagocyter Ahoussou et les prétentions du PDCI – ou à les combattre sans la moindre complaisance.
Les signes de cet état d’esprit sont évidents. La prise en main directe de la Défense, donc de la gestion au quotidien des FRCI et de la réforme de l’armée par Ouattara, empêchera Ahoussou de seulement oser mettre son nez dans la tambouille sécuritaire du pays, dans la délicate gestion des comzones, des dozos et de tout l’appareil répressif de l’Etat-RDR. De plus, le ministère de l’Intérieur reste entre les mains d’Hamed Bakayoko, fils spirituel du couple Ouattara. Tout ce qui est «corps habillés» restera donc étranger à Ahoussou.
La montée en puissance de l’administration de la Présidence, avec la nomination comme ministres de grognards historiques du RDR comme Amadou Gon Coulibaly – ministre d’Etat – et Marcel Amon Tanoh, ainsi que de Téné Birahima Ouattara, frère cadet du chef de l’Etat chargé de gérer la «cagnotte», indique très bien que plus que jamais, le Palais est le principal centre de décision. Le rôle du gouvernement deviendra de plus en plus décoratif, et c’est peut-être pour cela que revoir le casting n’était pas la priorité. La Présidence se renforce donc. Notamment pour donner une vraie marge de manœuvre institutionnelle aux nombreux conseillers français qui la hantent, dont le symbole est Philippe Serey-Eiffel, et qui n’auront plus à subir les humeurs ombrageuses d’un Guillaume Soro tenu à l’écart.
La guerre de l’ombre contre les FRCI va-t-elle commencer ?
Les Français du Palais, comme les analystes de la «bulle explicative mondiale» (Human Rights Watch, International Crisis Group, etc.) et les diplomaties occidentales plaident depuis longtemps pour la mise hors d’état de nuire des anciennes figures de la rébellion, pudiquement appelée «Forces armées des forces nouvelles». Désormais qu’ils seront «traités» à partir de la présidence, peut-on imaginer que le général Claude Réglat et le colonel Marc Paitier, tous anciens de la Direction du renseignement militaire (DRM) française, vont renforcer leur guerre secrète destinée à faire diminuer l’influence des figures de proue des FRCI ? Le pari est risqué pour un Ouattara qui apparaîtrait en première ligne contre ceux qui l’ont fait roi. Plus sûrement, on peut penser qu’il mettra à profit les mois qui viennent pour prendre le contrôle direct de la troupe, sans passer par le truchement de Soro. Une configuration périlleuse pour lui : en tant que ministre de la Défense, il est directement responsable des exactions de ses nervis, qui ne s’arrêteront pas automatiquement parce qu’il se sera octroyé un maroquin.
Un cadeau piégé pour le PDCI
Le vieux parti s’est battu et a crié pour que la promesse de la Primature soit honorée par Ouattara. Mais d’ores et déjà, ce poste se présente comme un cadeau piégé pour le PDCI. Parce que Jeannot Ahoussou Kouadio s’installe à la Primature dans un climat de «guerre civile» entre deux camps : le camp «collaborationniste» qui assume une dilution dans la «maison Ouattara», et le camp «autonomiste» qui veut assumer sa singularité et aller seul aux municipales demain et à la présidentielle de 2015 après-demain. Ahoussou est la tête de file des «collaborationnistes» quand Kouadio Konan Bertin dit KKB incarne celui des «autonomistes». En renforçant Ahoussou, Ouattara sert ses intérêts puisqu’il permet à ses partisans au sein du PDCI d’avoir les moyens d’une machine clientéliste dans le cadre d’une bataille interne qui s’annonce rude. Mais il irrite encore plus un grand nombre de cadres du PDCI qui rongent leur frein. Surtout, la personnalité d’Ahoussou, peu charismatique, ne représente un danger ni pour Bédié (qui veut garder le parti alors qu’il ne sera selon toute évidence pas candidat en 2015) ni pour Ouattara. Contrairement à un Patrick Achi par exemple, il n’a pas d’emblée un profil de présidentiable à court terme. Mais il va mener la bataille contre le camp adverse. Et c’est toujours ça de pris pour le RDR.
Philippe Brou
Le Nouveau Courrier
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