Christian Bouquet est professeur de géographie politique et du développement à l’université Bordeaux III. Il a écrit plusieurs ouvrages sur différents pays d’Afrique subsaharienne dont Côte d’Ivoire : Le désespoir de Kourouma (Armand Colin / août 2011) et Géopolitique de la Côte d’Ivoire (SPM-Lettrage / juin 2011).
Guillaume Soro, l’un des hommes forts de la crise qui a secoué la Côte d’Ivoire au cours de l’année passée, vient de démissionner. C’est un tournant de l’histoire agitée de ce pays qui se tourne. Alassane Ouattara a-t-il les moyens de sortir le pays des éléphants de dix ans de guerre civile ?
Atlantico : Guillaume Soro, le premier ministre d’Alassane Ouattara, a présenté jeudi la démission de son gouvernement au président ivoirien. Que veut-dire ce changement majeur à la tête du pays ?
Christian Bouquet : Cette démission était attendue : Alassane Ouattara avait promis de confier le poste de Premier ministre à un membre du PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire) de Henri Konan Bédié suite à leur alliance au second tour de la présidentielle. S’il n’avait pas encore tenu sa promesse, c’est parce qu’il y avait d’abord des conditions sécuritaires à mettre en place. Guillaume Soro, en tant qu’ancien chef des rebelles du nord de la Côte d’Ivoire, semblait être l’homme de la situation pour régler cette situation.
Le 14 décembre dernier, les élections législatives ont permis la mise en place d’une nouvelle Chambre des députés. En général, dans cette situation, un remaniement ministériel est attendu. D’où la démission jeudi dernier du Premier ministre Guillaume Soro et de son gouvernement.
On pourrait jouer sur les symboles : on s’attend à ce que le remplaçant de Guillaume Soro soit l’actuel ministre de la Justice, Jeannot Kouadio Ahoussou. Un guerrier qui part, un juge qui arrive … l’image serait belle. Dans les faits, ce n’est pas aussi parfait : la situation sécuritaire n’est pas encore rétablie.
Alassane Ouattara doit avoir le sentiment que les choses vont mieux et que la Côte d’Ivoire est prête à entrer dans une nouvelle étape de la reconstruction politique du pays. Le nouveau gouvernement devrait lui permettre de mettre en place son programme, notamment sur les plans économique et social.
Le président Ouattara a-t-il à disposition les moyens politiques et humains de sortir la Côte d’Ivoire de la crise ?
C’est une question cruciale. Il va certainement disposer de moyens matériels car la Côte d’Ivoire va certainement atteindre le point d’achèvement de l’initiative des PPTE (Pays très pauvres très endettés) qui doit lui ouvrir l’accès à d’importants crédits en provenance de l’ancienne dette.
Est-ce qu’il va disposer du personnel nécessaire pour mettre en place la politique qu’il souhaite ?
Ca, nous le verrons à l’usage. Le fait que le parti de Laurent Gbagbo, le FPI (Front Populaire Ivoirien) refuse de se ranger et continue de faire dissidence n’est pas enthousiasmant. Suite au boycott des élections législatives, il continue de refuser de participer au nouveau gouvernement. Personnellement, je doute que cela handicape l’actuel chef de l’Etat.
Quel sera avenir politique attend Guillaume Soro, figure emblématique de la crise ivoirienne depuis le début des années 2000 ?
Une partie de la réponse à la question dépendait de la possibilité pour lui d’occuper la présidence de l’Assemblée nationale. La loi prévoyait jusqu’ici un âge minimum de 40 ans, que Guillaume Soro ne doit atteindre qu’au mois de mai prochain.
Alassane Ouattara a finalement invoqué l’accord de Pretoria qui rend éligible tous les participants aux accords de Marcoussis.
Le président ivoirien ouvre ainsi la porte de la présidence parlementaire à son Premier ministre démissionnaire, ce dernier étend pressenti pour accéder à ce poste. Guillaume Soro devrait avoir un avenir certain dans la sphère politique : il a déjà été Premier ministre sous Laurent Gbagbo pendant trois ans puis sous Alassane Ouattara pendant un an. Il bénéficie d’une sérieuse expérience. Reste que Guillaume Soro fait toujours l’objet de sérieux soupçons émanant de la Cour pénale internationale qui pourrait un jour lui demander des comptes sur les décisions et les actions qu’il a menés tout au long de la crise ivoirienne.
Propos recueillis par Romain Mielcarek
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