L’élargissement des enquêtes de la CPI à la période de 2002, au-delà des manigances de nageur en eaux troubles du procureur Ocampo, est une occasion pour exercer notre devoir de mémoire collectif. Notamment en ce qui concerne les populations de l’Ouest qui ont vécu les affres des crimes odieux commis par les hommes de Soro depuis 2002. Un rapport produit par la ministre des Droits de l’Homme le 12 décembre 2002, aujourd’hui présidente de la Commission nationale des droits de l’homme (son maintien par Ouattara indique qu’il approuve son travail passé) fait la lumière sur les atrocités des rebelles en moins de trois mois de conflit. Au nom de la lutte contre l’impunité, et pour faire droit aux victimes de Soro, nous publions ce rapport, à verser à la CPI.
Intro: Le Nouveau Courrier
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Fait à Abidjan, le 25 février 2003
Pour le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire
Victorine WODIE
Ministre délégué aux Droits de l’Homme
Dans un rapport publié le 12 décembre 2002, au nom du Gouvernement Ivoirien, le Ministre Délégué aux Droits de l’Homme a fait un bilan partiel de la situation des Droits de l’Homme depuis l’agression barbare perpétrée contre la Côte d’Ivoire dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. De nombreux témoignages concordants, recueillis auprès de témoins ou rapportés par la presse, ont permis de se rendre compte de plusieurs cas de violations graves des Droits de la Personne Humaine commises par les rebelles du MPCI (Mouvement Populaire de Côte d’Ivoire) dans le Nord et le Centre de la Côte d’Ivoire, à savoir :
• Les violations du droit à la vie (exécutions sommaires de populations civiles et militaires),
• Les tortures et traitements cruels inhumains et dégradants (viols, tortures et mauvais traitements, administration de substances nuisibles à la santé),
• Les violations du droit au respect de la vie privée (violation de domiciles),
• Les violations du droit à la libre circulation,
• Le travail forcé ou obligatoire (enrôlement forcé de nombreuses personnes dont les mineurs),
• Les disparitions,
• Les violations du droit à la non discrimination,
• Les violations du droit à la sécurité,
• Les violations du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique (destruction de l’Etat civil).
Alors que ce rapport était en préparation, deux autres mouvements armés, le MPIGO (Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest) et le MJP (Mouvement pour la Justice et la Paix), ont fait leur apparition dans l’Ouest du pays.
Le rapport du 12 décembre n’ayant pas pu prendre en compte la situation dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, le Ministre Délégué aux Droits de l’Homme a rassemblé des témoignages et des informations pour éclairer l’opinion nationale et internationale sur la situation qui prévaut dans cette partie de la Côte d’Ivoire.
La rébellion armée MPIGO-MJP, outre ce qu’elle partage en commun avec la rébellion MPCI dans le Nord et le Centre de la Côte d’Ivoire, a des caractéristiques propres. En effet, à l’Ouest de la Côte d’Ivoire, c’est la version caricaturale des violations hideuses des Droits de l’Homme du MPCI. Ces rebelles n’ont cure des Droits de la Personne Humaine qu’ils violent sans cesse à tel point qu’un journal a écrit « qu’ils ont fait de la violation des droit de l’Homme, leur programme de gouvernement ». Parlant de la même situation, un témoin européen la décrit ainsi : « Là-bas, ce n’est plus la guerre civile, c’est une sorte de carnaval sanglant ».
Dans les villes de Man, Danané, Touleupleu, Bangolo, Bloléquin, Tabou, viols, meurtres et pillages sont devenus les loisirs des rebelles du MPIGO et du MJP appuyés par les mercenaires venus du Libéria et de la Sierra Léone !
Le Gouvernement français, par le porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères, s’est en son temps dit « très préoccupé par la violation des Droits de l’Homme dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire» (propos rapportés par l’AFP).
Les populations de l’Ouest vivent une horreur sans nom.
I – Caractéristiques communes de la rébellion Mpigo-Mjp avec la rébellion Mpci
Ces différentes branches de la rébellion ont en commun :
1 – Les exécutions sommaires de civils et d’agents des forces de défense et de sécurité
– A TOULEPLEU : 400 personnes tuées depuis le 30/11/2002 dont 142 corps identifiés.
– 97 tués à PEHE.
– 01 femme égorgée dans le village de Méo,
– 15 personnes tuées à Sahiby.
– A FACOBLY : 101 personnes tuées
– 47 personnes tuées dont le chef du village de Soumahié, des femmes y ont été égorgées.
– 01 femme égorgée dans le village de Méo.
– A KOUIBLY :
– Environ 15 personnes tuées dans le village de Douague.
– 01 gendarme et 01 instituteur tués.
– A DANANE :
-03 gendarmes assassinés à Dongouiné
– 02 douaniers et le Commandant de brigade adjoint tués le 28/12/2002.
– A DUEKOUE :
– 261 personnes tuées 54 portées disparues selon l’association des Cadres WÊ.
– A BLOLEQUIN :
– 246 personnes tuées.
– A BANGOLO :
– 29 civils tués entre le 20 décembre 2002 et le 21 janvier 2003, témoignage rapporté par le comité départemental de gestion de la crise à Bangolo (Notre Voie du 21 janvier 2003),
Au total, 190 personnes tuées et 90 disparues selon les sources de l’Association des Cadres WÊ,
– A MAN : exécution de plusieurs civils dont le Directeur Régional de l’Education Nationale. Une liste de quelques victimes peut être consultée en annexe. Selon les sources de l’Association des Cadres WÊ, il y a environ 1.300 morts dont 896 ont été identifiés dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire.
2 – Les viols
Dans les villes et villages notamment à Danané et Tabou, les rebelles se livrent à des viols, même sur des mineurs. Ainsi à Facobly, plusieurs femmes enlevées dans le village de Gbadrou, ont été violées pendant plus d’une semaine. Les témoignages concordants sur les viols sont légions. (…)
3 – Enrôlement de prisonniers
Dans toutes les villes occupées, les prisons ont été ouvertes et des prisonniers enrôlés dans les rangs des rebelles, ce qui accroît l’insécurité dans toute la région. C’est particulièrement le cas à Danané, Toulepleu, Bangolo, Man.
4 – Tortures et traitements inhumains et dégradants
Un vieillard de plus de 105 ans est mort après avoir été détenu sans nourriture pendant sept (7) jours à Dena (sous-préfecture de PEHE). Les chefs de village sont passés à tabac parce qu’accusés de complicité avec les loyalistes. Plusieurs personnes battues et exposées nues au soleil pendant des heures. Des Prêtres ont même subi ce sort, à Man et à Danané T. N° 3. Sévices sur une femme enceinte dont le bébé est mort après l’accouchement à Man. Le témoin N° 66, une femme décrit par exemple : « de mon lieu de cachette, j’aperçois la scène qui se passait. Ils ont déshabillé les hommes et les femmes en vue de chercher de l’argent».
5 – Pillages et destruction de biens
A Danané, Man, Bangolo, Toulepleu, Tabou, les rebelles se livrent à des pillages systématiques des domiciles aussi bien dans les villes que dans les villages. Ainsi, le domicile du Ministre BOMBET a été saccagé à Bangolo. Les cantines scolaires ont été pillées à Danané. Des plantations ont été incendiées à Bangolo, Toulepleu et Facobly privant ainsi, les paysans de leur seule source de revenu et de nourriture.
II – Caractéristiques spécifiques de la rébellion de l’Ouest
1 – Présence massive de mercenaires et étrangers libériens et sierra-leonais
La rébellion à l’Ouest, cela est désormais établi, est l’affaire des mercenaires venus du Libéria et de la Sierra Léone, deux (02) pays qui ont connu plusieurs années de guerre civile ; un reporter du journal français LE FIGARO écrit, à ce propos, dans le numéro du 21 janvier 2003 : «la route goudronnée ainsi que les pistes qui descendent de Man à Duekoué sont occupées par des hordes de combattants venus du Libéria e de la Sierra Léone, associés à des rebelles du MJP et Du MPIGO». Plusieurs témoignages concordants font état de la présence de nombreux soldats ne s’exprimant qu’en anglais. (Témoignages N° 42, 43, 62, 63).
2 – Développement du phénomène des enfants soldats
Dans le précédent rapport, le phénomène des enfants-soldats enrôlés de gré ou de force par les rebelles avait déjà été stigmatisé. A l’Ouest, ce phénomène semble s’être accentué : « les enfants-soldats sont rois à Man… Des enfants âgés de douze (12) ans foncent à travers les rues défoncées de la ville, au volant de MERCEDES dont ils ont arraché les portières pour mieux exhiber leur armement ». La plupart de ces enfants ont déjà à leur actif plusieurs années de combat au Libéria et en Sierra-Léone. T. N° 65.
3 – Des mercenaires incontrôlables
Les mercenaires recrutés par le MPIGO et le MJP, s’ils s’accordent avec leurs recruteurs pour tuer, détruire et piller, ils échappent totalement aux contrôles de leurs « employeurs » à en croire le Lieutenant Samuel TOUNKARA du MJP qui reconnaît dans le même numéro du FIGARO «Le problème c’est qu’il nous est impossible de contrôler totalement ces Libériens»
4 – Les mercenaires se paient en butin de guerre
Dans toutes les villes, les rebelles font systématiquement main basse sur tous les biens des populations y compris les récoltes des champs. Ils obéissent ainsi à ce slogan rapporté par plusieurs journaux et par plusieurs témoins « opération pay yourself » (paie-toi, toi-même sur la guerre). Ainsi, appareils électroménagers, véhicules, ustensiles de cuisines, etc., sont convoyés vers le Libéria à partir de Danané, Toulepleu, Bangolo, Blodéquin et Man.
5 – Profanation de tombes et de lieux sacrés
– Profanation de tombes et de forêts sacrées dont la tombe de feu Colonel OULAÏ.
– Des masques (objets sacrés de la région) ont été brûlés et des sites d’initiation saccagés.
6 – Travaux forcés et pillages de ressources naturelles
A I.T.Y., les rebelles ont contraint des ouvriers à extraire de l’or pour eux.
7 – Des mutilations d’otages
Un témoin interrogé dans les colonnes du journal Soir Info du 24 février, déclare ceci à propos des sévices faits sur les populations civiles à Toulepleu : « ceux qui ont été faits otages font l’objet de marquage distinctif qui consiste pour leurs ravisseurs soit à leur couper l’oreille, soit l’orteil ou tout simplement un doigt ». Face à ces atrocités sans nom et à la terreur semée dans la région, les paysans n’ont d’autres recours que de se réfugier dans les forêts.
8 – Une barbarie sans nom
Des villages sont incendiés (PEHE), des récoltes emportées, des plantations détruites, des personnes égorgées, des corps brûlés. Les villageois ne pouvant plus se rendre dans les champs sont exposés à la famine. Dans toutes les localités assiégées, l’administration n’existe plus, les écoles et les centres de santé sont fermés. La population court de graves risques d’épidémie à cause des corps en décomposition dans les villages désertés et dans les forêts.
Dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire, la vie humaine n’a aucune valeur aux yeux des rebelles assoiffés de sang. A Bangolo, pour n’avoir pas pu payer la rançon de dix (10.000) mille francs CFA exigée, un paysan a été froidement abattu. Des personnes ont été exécutées à l’arme blanche (égorgées) et des corps brûlés notamment à Kouibly, Toulepleu. Après avoir égorgé leurs victimes, les rebelles en boivent le sang. Une rançon est parfois exigée pour la libération de ceux qui sont pris en otages. Ainsi, à Voumgbé (Facobly), les assaillants ont exigé bœufs, moutons et la somme de cent (100.000) mille francs CFA pour la libération des personnes détenues, qu’ils avaient enterrées debout ayant la terre jusqu’au cou. Malgré le paiement de la rançon, ces personnes ont été exécutées par balles. (…)
L’heure est venue d’y mettre fin faute de quoi, la Communauté internationale pourrait être un jour accusée de non assistance à personne en danger. Avec l’espoir suscité par les Accords de Marcoussis, le Gouvernement ivoirien en comptant sur le concours de la Communauté internationale, espère avoir les moyens de rétablir l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue du territoire afin de pouvoir faire un bilan plus exhaustif des exactions commises par la rébellion armée depuis le 19 septembre 2002.
C’est pour ce faire qu’une commission d’enquête internationale de l’ONU a été demandée depuis le 05 novembre 2002. Cette commission est vivement attendue.
Fait à Abidjan, le 25 février 2003
Pour le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire
Victorine WODIE
Ministre délégué aux Droits de l’Homme
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