Par ASSALE TIEMOKO
A la date du 12 juillet 2011, des pro-Gbagbo en exil, notamment feu Bohoun Bouabré, Marcel Gossio, Koné Katinan, Alain Dogou dit Maurice Goba et Géraldine Odehouri Brou (avocate, conseillère juridique de Laurent Gbagbo), savaient tous que Gbagbo devait être transféré à la Cour Pénale Internationale. Depuis l’arrestation de ce dernier le 11 avril, ils étaient en négociation, par les services d’un intermédiaire judiciaire très renseigné, avec certains contacts à la CPI. Le camp Ouattara, de son côté, n’a pas croisé les bras. Petite incursion au cour de tractations secrètes qui poussent à l’interrogation et qui révèlent combien de fois Laurent Gbagbo était mal entouré.
JUSTICE : Les tractations secrètes à la CPI pour couler Soro et les Com’zones
Qui veut aller loin
Dès le déclenchement de la crise post-électorale et les tueries qui s’en suivaient chaque jour, le procureur de la Cpi, intervenant très souvent sur des chaînes de télévision internationales, ne cessait d’attirer l’attention des deux camps opposés sur la responsabilité qui serait la leur devant les juridictions internationales, s’ils laissaient leurs partisans parmi les plus zélés commettre des actes constitutifs de violation massive des droits de l’homme.
Le camp Gbagbo, sans doute sûr de sa victoire militaire finale, n’a pas vraiment pris au sérieux les déclarations du procureur de la Cpi. Pourtant, depuis le Golf Hôtel où ils étaient reclus, Ouattara et son gouvernement restreint, sous l’éclairage de l’avocat et ministre de la justice Ahoussou Jeannot, collectaient de nombreux éléments de preuves, s’offraient les moyens d’obtenir les rapports de plusieurs organisations de défense des droits humains sur la situation des violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Résultat, pendant que le camp Gbagbo donnait la priorité aux meetings de mobilisation et autres cérémonies de prières au Plateau, discrètement, le gouvernement Ouattara transmettait des rapports, pas moins de 12, tous rédigés sous l’égide d’Ahoussou Jeannot, à la Cpi. Rapports accompagnés de listes de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes divers sur « des populations civiles aux mains nues ».
La chute, la fuite et le retard
Le 11 avril 2011, au moment où Laurent Gbagbo, vaincu militairement, se faisait arrêter à sa résidence de Cocody, la plupart de ses proches parmi les plus proches étaient déjà hors du pays. Sans aucun document pouvant leur permettre de donner la réplique au camp Ouattara, au cas où la Cpi s’intéresserait aux crimes qui ont été commis en Côte d’Ivoire pendant la crise post-électorale. Quand Ouattara écrit officiellement à la Cpi pour lui demander d’enquêter sur les évènements survenus dans le pays de décembre 2010 à avril 2011, c’est la panique dans le camp Gbagbo. Comment faire, alors que tous les dignitaires sont soit aux arrêts soit en exil, pour trouver des témoins capables de s’exprimer devant les enquêteurs de la Cpi, au cas où ces derniers débarquaient en Côte d’Ivoire ? Question sans réponse. Le seul rapport dont disposera le camp Gbagbo sur ce qui s’est passé pendant la crise post-électorale ne sera, dans un premier temps, que celui de Human Rights Watch sur les tueries commises à Duékoué et que cette Ong de défense des droits de l’homme a clairement imputées au camp de Ouattara.
Cela suffira-t-il pour rattraper le retard devant la Cpi sur le camp Ouattara ?
Si le camp Ouattara détient des éléments de preuves pour inquiéter le camp Gbagbo dont la plupart des cadres étaient dans ses liens, le camp Gbagbo va arrêter une stratégie reposant sur les crimes supposés commis par les Forces Nouvelles pendant la rébellion commencée en 2002 et qui n’a connu son épilogue, selon leur entendement, qu’avec la crise post-électorale. Pour le camp Gbagbo, il est impossible de dissocier la période 2002-2010 de la période décembre 2010-avril 2011. Mais comment faire pour que la Cpi entende la chose de cette manière, et qu’elle ne s’acharne pas sur le seul camp Gbagbo en fondant ses décisions sur la seule crise post-électorale ?
Aux grands maux, les grands moyens ?
Dès le mois de mai 2011, la riposte du camp Gbagbo, sous la houlette de Géraldine Odéhouri Brou, avocate et conseillère juridique de Laurent Gbagbo, s’organise. Dans un premier temps, la décision est prise de trouver les meilleurs avocats pour défendre le chef emprisonné à Korhogo. Dans un deuxième temps, il s’agira de trouver les moyens d’approcher le procureur de la Cpi ou tout autre personne ressource capable de démarcher les juges de cette Cour afin qu’ils prêtent une oreille attentive aux « revendications de Laurent Gbagbo sur l’injustice qui lui est faite ». Géraldine Odehouri, s’attelle à la tâche depuis son lieu d’exil. Gbagbo ne devant être poursuivi en Côte d’Ivoire selon le gouvernement Ouattara que pour des faits qualifiés de « crimes économiques », les avocats (un collectif composé d’Ivoiriens et de deux Français), sont rapidement constitués. Cela fait, cap est mis sur la CPI. Par une de ces providences qui n’arrivent qu’à des gens comme Gbagbo, Géraldine Odehouri s’offre un contact de premier choix. Un intermédiaire judiciaire très au fait des affaires de la CPI et disposant d’un carnet d’adresses qui ferait pâlir de jalousie Alassane Ouattara. C’est lui qui se propose, moyennant de fortes commissions que les amis de Gbagbo n’arriveront finalement pas à payer, de mettre sur pied toutes les stratégies devant permettre au camp Gbagbo de se rapprocher de la CPI, sans que le camp Ouattara qui de son côté ne dort pas, soupçonne quoi que ce soit. Et c’est grâce à cet intermédiaire que, dès la première moitié du mois de mai 2011, Géraldine Odehouri aurait réussi, selon nos sources, à rentrer en contact avec des personnes ressources à la CPI. Son objectif est simple : amener la Cour à faire remonter son enquête sur les crimes commis en Côte d’Ivoire, à la période de 2002 afin d’inculper Soro Guillaume et tous les Com’zones. Amener aussi la Cour à avoir un regard bienveillant sur la situation de Laurent Gbagbo.
Du lobbying coûteux auprès de la CPI ?
Selon nos sources, devant le refus des amis de Gbagbo de mettre la main à la poche pour sauver « celui qui les a faits », l’intermédiaire judiciaire, après une discrète rencontre avec un sachant proche de la CPI, a ramené les informations suivantes à Géraldine Odehouri. Un : son contact est prêt à ouvrer pour l’ouverture d’une enquête prenant en compte la période de 2002 à 2010 mais cela passe par une demande d’autorisation à introduire auprès de la Chambre préliminaire. Pour franchir cette première étape de la procédure, il faut de l’argent. 100 mille euros (65 millions de FCFA) pour un certain nombre de choses à faire au parquet et 50 mille euros (32 millions de FCFA) au niveau de la Chambre préliminaire. Cet argent devrait-il servir comme cautionnement pour l’ouverture de cette procédure ou était-ce un pot de vin exigé par le sachant proche de la CPI ? Un avocat très au fait du fonctionnement de la CPI et que nous avons interrogé sur cette question a dit ne pas être au courant de l’existence d’une telle règle mais que cela n’est pas impossible. Avant d’ajouter : « ça m’étonnerait quand même que le parquet puisse exiger à la fois de l’argent pour lui et pour la Chambre préliminaire. Ce sont deux entités totalement différentes. Je trouve cela très louche ». Deux : pour la deuxième étape, c’est-à-dire la clôture des dépôts de preuves, le camp Gbagbo devrait verser la somme de 200 mille euros (soit 130 millions de FCFA) et enfin, une fois que la procédure sera bouclée avec l’émission des citations à comparaître contre des acteurs de la rébellion armée, un solde de 300 mille euros (environ 197 millions de FCFA) devra être versé, soit un total de 650 mille euros (environ 426 millions de FCFA), pour les trois étapes. Selon nos sources, en attendant le versement de cet argent par le camp Gbagbo, le contact de l’intermédiaire aurait réclamé au camp Gbagbo des documents dont des rapports des ONG sur la rébellion armée, le code militaire de la Côte d’Ivoire, etc. Dix jours au maximum, c’est le temps que Géraldine Odehouri s’est donné pour rassembler l’argent qui se trouve dans « le Golfe Persique précisément à Dubaï ».
Le refus de Nady Bamba et les 81 millions de Gbagbo en Suisse
Informée par Géraldine Odehouri de ce qu’il fallait mobiliser comme argent pour ouvrir cette procédure contre Soro et ses camarades, Nady Bamba, « l’épouse non officielle » de Laurent Gbagbo, selon nos sources, a marqué son refus de participer à cette opération au motif que ses fonds avaient été gelés par l’Union Européenne. Ce n’était pas qu’elle ne disposait pas d’argent à portée de mains pour faire face elle seule à une telle demande, mais elle ne comprenait surtout pas pourquoi il fallait débourser autant d’argent pour mener des démarches. « Elle est pingre comme picsou », dira Géraldine Odehouri dans cet échange avec l’intermédiaire et que nous ont rapporté nos sources : « Les 81 millions de son mari bloqué en Suisse, qu’elle aille le prendre », réagit l’intermédiaire. « 81 millions de quoi ? » demande Odehouri. « 81 millions de dollars de LG bloqués en Suisse ». « C’est vrai ça ? » « Oui, je peux te trouver même les relevés si tu veux ». « J’apprécierai ». « Ok demain je vais le demander à un ami du parquet qui suit le dossier ». Odehouri : « Pour savoir dans quoi je m’engage au finish ». l’intermédiaire : « Ils se foutent vraiment du monde ». Nos sources n’ont pas précisé si Odehouri a bien reçu les relevés bancaires qui attestent que Laurent Gbagbo avait bien 81 millions de dollars (environ 40 milliards de FCFA) dans une banque en Suisse. Argent bloqué, à la demande du gouvernement Ouattara. Le mardi 21 juin 2011 en effet, au cours d’un point de presse animé conjointement avec le ministre des Libertés publiques et des Droits de l’Homme, le Garde des sceaux, ministre de la justice, Ahoussou Jeannot avait révélé que ses services avaient découvert « un gisement d’argent en Suisse ». « N’oublions pas que 150 milliards ont été découverts sur des comptes en Suisse. Cet argent appartient à des Ivoiriens qui, il y a quelques années, étaient impécunieux. Après la découverte de cet argent, nous avons porté plainte. », avait-il notamment dit.
Le camp Ouattara s’active
La présence de Laurent Gbagbo sur le sol ivoirien et la possibilité que ses partisans se soulèvent contre le régime font faire des cauchemars au pouvoir Ouattara. Au point où il ne se passe aucun jour sans que des signaux ne soient envoyés au procureur de la CPI. Le ministre Ahoussou, au four et au moulin, multiplie les rapports (au moins 12) sur les « crimes imputés au régime Gbagbo ». Il se déplacera personnellement jusqu’à La Haye pour remettre une partie de ces rapports au procureur. Plus tard, le ministre des Libertés publiques et des Droits de l’homme, Gnénéma Coulibaly, sous le couvert d’une tournée européenne, se rendra aussi à la CPI pour rencontrer des responsables de cette Cour. Au cours d’un point de presse animé à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France, il fera les déclarations suivantes : « Nous avons expliqué au président de la Cpi que la seule présence de Laurent Gbagbo sur le sol ivoirien freine le développement du processus de réconciliation (.) le transfert de Laurent Gbagbo hors de la Côte d’Ivoire facilitera la réconciliation. Cela dépassionnera les débats ». Et selon lui, le président de la CPI a été « sensible » à cet argument. Les « arguments » officiels et « non officiels » développés par le camp Ouattara ont-ils été de poids devant les tergiversations du camp Gbagbo ?
Alain Dogou dit Maurice Goba, révolté
A la date du 11 juin 2011, le camp Gbagbo n’avait pas encore réussi à rassembler l’argent nécessaire pour mener les démarches auprès de la Cpi afin qu’elle ouvre une enquête sur la période de la rébellion armée. Cela est démontré dans cet autre échange que nous rapportent nos sources, entre Alain Dogou dit Maurice Goba (ancien magistrat, ancien représentant de Laurent Gbagbo à la Cei et dernier ministre de la Défense de ce dernier dans son dernier gouvernement) et Géraldine Odehouri : Odehouri : « On me presse maintenant pour l’argent et le pasteur a disparu ». (Le pasteur en question selon nos sources, n’est autre que Koré Moïse, naguère tout puissant conseiller spirituel de Laurent Gbagbo et qui serait très malade en ce moment du côté du Ghana où il vit en exil. C’est lui qui aurait promis à Odehouri de transférer de l’argent depuis Dubaï, sous dix jours). Alain Dogou : « Mais demande à Bertin de voir ses beaux ». Odehouri : « quels beaux ? Apparemment l’Angolaise l’a jeté ». Alain Dogou : « Quand même qu’on ne puisse pas réunir ça en moins de deux mois. Vraiment ce montant me semble petit pour la carrure du chef. Les Bohoun peuvent faire quelque chose. Ottro surtout. Kassoum. Le deuxième bureau (Nady Bamba, Ndlr), ses sous sont dégelés. Et puis Bob et Aubert, Kouassi Oussou. Non pour le chef après 10 ans ? Il faut demander à Bertin de voir son ami Georges Chikoti, il a obtenu de lui 4 fois plus en octobre. Vraiment je suis révolté. Enfin le gars (Gbagbo, Ndlr) nous a fait tous et on le laisse seul. C’est comme mes collaborateurs au cabinet de la présidence. On m’a appris qu’en dehors de certains conseillers, ils ont reçu leur salaire de mars et d’avril. Ils ne songent même pas à m’envoyer quelque chose quand je pense à tout ce qu’on a fait pour les faire recruter par Kouassi Blé. » Selon donc nos sources et sur la base de cet échange, « Bohoun » (feu Bohoun Bouabré, ancien ministre du plan et du développement de Gbagbo), « Ottro » (Ottro Zirignon, ancien Pca de la Sir et oncle de Laurent Gbagbo) « Kassoum » (Kassoum Fadiga, ancien Dg de Petroci), « Aubert », (Aubert Zohoré, conseiller spécial de Laurent Gbagbo à la présidence de la République), « Kouassi Oussou (ancien directeur général de l’Economie, l’homme qui avait perdu 500 millions de FCFA dans une banque à Abidjan), « Bertin » (Kadet Bertin, ancien ministre de la Défense et conseiller en sécurité de Laurent Gbagbo), n’ont rien voulu (ou pu) faire pour aider « le chef » (Laurent Gbagbo). « Georges Chikoti », (ministre angolais des relations extérieures et ami de Kadet Bertin), n’aurait, apparemment pas voulu aider de nouveau Kadet Bertin.
Côté Ouattara, on sort la notion de « justice transitionnelle »
Dans le camp Ouattara, après la remise de plusieurs rapports à la CPI, le cap est mis sur une deuxième stratégie. Comment faire en sorte que seul le camp Gbagbo se retrouve à la CPI et que ceux qui sont soupçonnés dans son camp d’avoir commis des crimes ne se retrouvent pas devant la même Cour ? Tout de suite, les grands mots. Les juristes travaillent sur la question et trouvent la notion appropriée. Il s’agit de la « justice transitionnelle ». Cette notion se trouve dans un rapport de l’Onu et elle concerne « la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit ». Dans l’entendement du camp Ouattara, il s’agira de s’appuyer sur cette notion pour livrer « ceux qu’on peut livrer à la CPI, juger à l’interne ceux qu’on peut juger et pour les autres, on s’arrange avec la Commission Dialogue Vérité Réconciliation ». Mais pour en arriver à cette étape devant cette Commission, il faut créer une commission d’enquête nationale. Ainsi, les déclarations fortes sur la volonté du pouvoir Ouattara de livrer quiconque serait épinglé par la CPI n’ont été faites que dans un objectif unique : gagner du temps et en profiter pour inculper au moins 179 personnes (civiles comme militaires) dans le camp Gbagbo. Personnes contre lesquelles des mandats d’arrêts internationaux seront lancés, pour ce qui concerne celles qui sont à l’extérieur. Ce qui sera fait, par vagues. Les derniers mandats d’arrêts ont été lancés le 22 février dernier et concernent 13 pro-Gbagbo dont Alain Dogou, Koné Katinan, Alphonse Mangly, etc.
La liste secrète de la CPI
Selon nos sources qui sont formelles sur cette question, quoi que feront les deux camps, la CPI est obligée de montrer son impartialité dans le traitement de la question ivoirienne. Aussi, assurent-elles, une liste confidentielle dressée par la Cour sur la base des rapports des ONG internationales de défense des droits humains et du Haut-commissariat des nations unies pour les Droits de l’Homme, se décline comme suit : Mandats d’arrêt : Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo, Marcel Gossio et Kadet Bertin. Citations à comparaître : Alain Dogou, Seka Seka Anselme, tous les généraux ayant servi sous les ordres de Gbagbo sauf un. Lequel ? Nos sources ne le précisent pas. Commentaire de Géraldine Odehouri quand elle apprend cela ? « Les Com’zones en citation et Laurent Gbagbo en mandat d’arrêt ? C’est quand même le comble ! » . Cette liste était disponible depuis la fin du mois de juillet 2011. Un autre rapport du Haut-commissariat des nations unies pour les Droits de l’Homme a épinglé en plus, 43 personnes dans le camp LMP et 36 dans celui de Soro Guillaume. L’information sur la présence de son nom sur la liste des personnes à transférer à la Cpi avant la fin de l’année a-t-elle été donnée à Laurent Gbagbo ? Nos sources répondent qu’il n’en a rien su. En tout cas pas dans un premier temps. Mais Koné Katinan, Alain Dogou, Gossio Marcel, Kadet Bertin le savaient.
Pas d’argent pour prendre des avocats outillés, Odehouri n’en peut plus
Sur renseignement de son contact auprès de la CPI, Odehouri reçoit des noms d’avocats capables d’inverser les choses en faveur de Gbagbo et surtout capables d’établir un lien indissociable entre la crise post-électorale et les évènements survenus en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2010. Car, alors que la plupart des proches en exil de Gbagbo pensent que la période 2002 à 2010 est dépassée et qu’il faut plutôt se concentrer sur la période décembre 2010-avril 2011, Odehouri est convaincue quant à elle, que la clé de l’affaire, c’est la rébellion armée de Soro Guillaume. Et non, comme le pense le camp Ouattara, que tous les crimes ont été commis parce que Laurent Gbagbo a refusé de reconnaître sa défaite électorale. Ainsi donc, pour que la CPI épouse aussi cette idée, il est conseillé à Odehouri de rentrer en contact avec Essa Faal, Magistrat de nationalité Gambienne comme Fatou Bensouda (future remplaçante d’Ocampo en juin prochain), procureur à la CPI et qui a démissionné le 31 mars 2011 pour s’installer au Kenya et se consacrer à défendre des gens poursuivis devant la CPI. Nos sources ajoutent que sa démission tire sa source dans une brouille avec le procureur Ocampo. Le 22 avril 2011, il avait informé Ocampo qu’il entendait défendre devant la Cour, Francis Kirimi Muthaura, ancien directeur de la Fonction publique et secrétaire général du gouvernement de la République du Kenya, cité à comparaître devant la CPI pour les violences survenues au Kenya après l’élection présidentielle. Mais le procureur Ocampo s’opposera à ce que son ancien collaborateur défende Muthaura, au motif qu’il a eu connaissance, pendant sa présence au parquet de la Cour, de certains éléments confidentiels concernant le dossier sur le Kenya. Le deuxième nom qui est proposé à Odehouri est celui de l’avocat Nicholas Kaufman, représentant des victimes à la CPI. Deux autres noms d’avocats sont cités : sir Geoffrey Nice et Rodney Dixon. Ils sont tous deux spécialisés dans les actions des rebelles comme ceux du Soudan, etc. Réaction de Odehouri s’adressant à son contact, devant ces noms d’avocats célèbres : « Tu oublies que ce sont les mêmes FPI pingres et ploucards. Où tu veux que je trouve l’argent pour payer ces avocats ? » Le contact : « Je rigole de savoir que vous voulez vous battre sans argent. C’est quand même grave ! » Odehouri : « Tu sais, je suis au stade où je veux juste parler à mon papa et me tirer de là. Mais je me demande qui va réparer cette injustice. Et tous ceux que les FRCI tuent à longueur de journée, qui va leur rendre justice ? Il faut donc tuer pour être adulé et payer des boites de communication ensuite pour nettoyer son image ? », gémit-elle. C’est que malgré toutes ses relances, ni Nady Bamba, ni les autres proches de Gbagbo qui possédaient hors du pays de l’argent non placé sous contrôle, rechignaient à participer au combat pour la défense de la cause de leur « chef ».
Nouvelle stratégie de combat de Odehouri
Ne parvenant pas à réunir les moyens financiers nécessaires pour défendre la cause de son chef, la plupart des riches collaborateurs de ce dernier étant « rentrés en brousse », sa conseillère juridique décide de changer de stratégie. Contacter des groupes de pression pour les amener à convaincre la CPI d’ouvrir une enquête sur la période de 2002. Ainsi, l’Union Européenne est contactée. Il en est de même pour le Parlement européen. Des sénateurs américains et des politiques français sont aussi contactés. A tout ce beau monde, plusieurs rapports extrêmement sensibles sur les actes posés par la rébellion armée en Côte d’Ivoire sont remis. Il est aussi envisagé de convaincre un président africain, membre de la CPI, de saisir la Cour pénale d’une demande d’enquête sur la période de 2002. Mais selon nos sources, cette voie n’a pas prospéré. Bien que beaucoup de chefs d’Etats africains auraient reproché à Ouattara de se plier sans concession aux désidératas des occidentaux, aucun d’entre-eux n’a eu cependant le courage d’introduire une telle demande. Entre-temps, du côté de la CPI, la décision de sortir d’abord Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire est prise. Reste à trouver les modalités pratiques et le temps propice pour mettre à exécution cette décision. Par ses contacts, Odehouri en est informée. Nous sommes alors à la mi-juillet 2011. Elle veut informer des Ong de cette décision, mais selon nos sources, Alain Dogou l’en dissuade et lui conseille plutôt d’informer des politiques tels que Guy Laberti (fidèle ami socialiste de Gbagbo), Thabo Mbeki (ancien président Sud-africain et partisan de la cause de Gbagbo), Bernard Houdain (un conseiller français de Gbagbo), Jacob Zuma (le président Sud-africain), Obiang Mguema Mbasogo (président de la Guinée Equatoriale, ami de Gbagbo), Yaya Jammeh (président de la Guinée Bisau, fidèle ami de Gbagbo), etc. Toutes ces personnes savaient dès la mi-juillet, que Laurent Gbagbo devait être transféré à la CPI. L’information est aussi donnée sans précisions, à trois journaux bleus. Juste de quoi les réveiller. Ces derniers multiplieront alors les appels à la vigilance et à la mobilisation. En exil au Ghana, Damana Pikas, membre de la galaxie patriotique, mis au fait de cette situation, déclare, pour mettre la pression sur le camp Ouattara, dans les colonnes d’un quotidien ivoirien : « le transfèrement de Gbagbo entraînera la destruction totale de la Côte d’Ivoire ». Rien que ça ! De son côté Blé Goudé, le chef de la galaxie patriotique, depuis son lieu d’exil, appelle « tous les démocrates d’Afrique et du monde à faire barrage au complot ourdi par l’occident, contre Laurent Gbagbo ». Mais tout cela ne suffira pas. Le 29 novembre, Laurent Gbagbo sera transféré à La Haye. Deux jours plus tôt, le président ivoirien Alassane Ouattara avait discrètement rencontré, comme l’a rapporté « L’Express », le procureur de la CPI Louis Moreno Ocampo, dans un hôtel parisien. Odehouri ne pouvait donc pas grand’chose elle-seule et sans grands moyens, devant la puissance financière et relationnelle du camp Ouattara.
Victoire à retardement pour Odehouri ?
Le jeudi 23 février 2012, la Chambre préliminaire III de la CPI a rendu publique, à la surprise générale du camp Ouattara, sa décision d’étendre les enquêtes de cette institution judiciaire internationale à la période allant de 2002 à 2010. « Les événements violents en Côte d`Ivoire au cours de la période allant du 19 septembre 2002 au 28 novembre 2010, bien que d`intensité variable et commis à des endroits et à des moments différents doivent être considérés comme une seule situation », c`est-à-dire faisant l`objet d’une seule enquête. Ainsi donc, alors que le camp Ouattara n’a jamais fait de demande d’enquête sur la période de 2002 à 2010, mais sur seulement celle de la crise post-électorale, la CPI a décidé de fondre ces deux périodes en une seule. Mettant du coup la pression, non plus sur un seul camp, mais sur les deux. « C’est un renversement de situation spectaculaire. On va en apprendre de belles choses à la CPI et les passeports diplomatiques distribués aux Com’zones ne pourront les protéger nulle part si un mandat d’arrêt international est lancé contre eux », a réagi un avocat que « L’Eléphant » a interrogé. Selon nos sources, cette décision est une grande victoire, non pas pour « les anciens barons du Fpi en exil, mais une victoire pour Géraldine Odehouri qui aura démontré par sa détermination à faire triompher la vérité, son attachement à Laurent Gbagbo ». Interrogée via un mail par « L’Eléphant », cette dernière n’a pas encore trouvé le temps de réagir pour exprimer ses sentiments. Sans doute pour cause de discrétion. A Abidjan, les journaux pro-Gbagbo ont unanimement salué cette décision qu’ils considèrent comme « une grande victoire pour Laurent Gbagbo ». Ainsi « Notre Voie », le porte-voix de Gbagbo écrit, le sifflet à la bouche : « Disons-le tout net ! La décision des juges de la Cour pénale internationale (Cpi) d’étendre les enquêtes sur la crise ivoirienne à la période allant de 2002 à 2010 constitue une grande victoire pour le camp Gbagbo. En effet, Alassane Dramane Ouattara et tous ses soutiens n’ont jamais voulu que les enquêtes sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Côte d’Ivoire prennent en compte la période allant de 2002, année du déclenchement de la rébellion armée pro-Ouattara à 2010, année de la tenue de l’élection présidentielle. Pour eux, seule la période post-électorale doit être prise en compte par les enquêtes de la Cpi(.) », « si Gbagbo voulait des enquêtes sur la période de 2002 à 2010, il n’avait qu’à saisir la Cpi pendant qu’il était au pouvoir. Nous, nous avons saisi la Cpi pour qu’elle enquête uniquement sur la période post-électorale », avait soutenu, il y a plusieurs mois, Coulibaly Gnénéma, le ministre des droits de l’Homme du gouvernement Ouattara. « La décision que viennent de prendre les juges de la Cpi d’inclure dans leurs enquêtes la période allant de 2002 à 2010 est un premier pas vers l’instauration d’une justice internationale impartiale. En ce sens que ces enquêtes vont véritablement ouvrir le procès de la rébellion armée en Côte d’Ivoire », écrit le journal. Evidemment, de leur côté, les journaux pro-Ouattara ont vu dans cette décision, une aggravation de la situation de Gbagbo. Une bataille donc, entre les deux camps vient de nouveau de s’engager. D’un côté, toute la machine du pouvoir Ouattara avec sa puissance financière et ses relations à travers le monde. Et de l’autre, Géraldine Odehouri, la conseillère juridique de Gbagbo, qui n’en démord pas malgré les tours de cochon que lui jouent quelques anciens collaborateurs de Gbagbo. Après la présidentielle et la guerre qui s’en est suivie, le « grand match » LMP-RHDP se poursuit donc maintenant, sur le plan judiciaire, aux abords et dans les couloirs de la CPI. Et chacun utilise les moyens qui sont à sa disposition. Trois buts pour le moment, pour le camp Ouattara : La victoire électorale, la victoire militaire et le transfèrement de Gbagbo. Un but contre le cours du jeu (l’élargissement de l’enquête à la période de la rébellion armée), pour le camp Gbagbo. Mais un but qui a eu pour vertu, à lui seul, d’équilibrer le match et d’installer une sorte d’« équilibre de la terreur » dans les deux camps. Bataille épique en perspective sur fond de rétrospective.
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