Les cadres de l’ex-majorité présidentielle qui se sont réfugiés au Bénin après le 11 avril et l’orgie de violence qui a coûté la vie à des milliers d’Ivoiriens soupçonnés d’être pro-Gbagbo, seront-ils «livrés» à la «justice des vainqueurs» de leur pays, dénoncée par la quasi-totalité des organisations internationales de défense des droits de l’Homme ?
Le régime Ouattara, qui manoeuvre à fond et traque partout où ils peuvent se trouver les cadres proches du président Gbagbo, parviendra-t-il à ses fins au Bénin ? En tout cas, il semble avoir l’oreille de l’administration Yayi Boni. En effet, par le Soit-Transmis n° 0187/PRC du 20 Janvier 2012, le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Cotonou a fait parvenir au Commissaire chargé du Bureau Central National Interpol Cotonou, treize (13) mandats d’arrêts internationaux décernés par le juge d’instruction en charge du 6ème cabinet du Tribunal de Première Instance d’Abidjan contre des cadres pro-Gbagbo. Le macabre s’ajoute à l’arbitraire dans ce cas précis : en effet, le premier sur la liste de ceux que le gouvernement béninois s’apprête à livrer est… Paul- Antoine Bohoun Bouabré, ancien ministre d’Etat, décédé le 12 janvier dernier à Jérusalem, en Israël, alors que ses avoirs étaient gelés.
Les motifs au nom desquels le régime Ouattara veut «capturer» ces treize Ivoiriens sont les mêmes motifs génériques qui sont opposés à tous ceux qui sont considérés comme des obstacles à l’hégémonie de l’homme fort d’Abidjan : vols en réunion, à main armée, commis avec infraction ou violence, détournement de deniers publics et complicité, atteinte à l’économie publique et complicité, concussion, pillage.
C’est la presse de Cotonou qui a révélé le «coup» qui, selon toute évidence, était en préparation. Si l’on ne peut pas affirmer que le président Boni Yayi a donné son accord, une lettre du ministre de l’Intérieur Benoît Assouan C. Degla au chef de l’Etat, qui a fuité dans la presse, notamment dans le quotidien Fraternité, est très claire sur ses intentions. «D’ores et déjà, les services compétents de la Direction générale de la Police nationale ont engagé les recherches subséquentes à l’exécution desdits mandats et tout fait nouveau fera l’objet de compte-rendu à votre Haute Autorité».
D’ores et déjà, la classe politique et les médias béninois, très puissants, sont en émoi. La chaîne de télévision Canal 3 a consacré sa chronique à un projet d’ores et déjà désapprouvé par l’opinion publique nationale. Toutes les radios se sont emparées de la polémique. «Le président Boni Yayi livrera-t-il, sans distinction aucune les 13 cadres ivoiriens à la justice ivoirienne ? S’il le faisait, ne porterait- t-il pas entorse à la réconciliation en Côte d’Ivoire ? Autant de questions qui doivent amener le président Yayi à réfléchir par trois fois avant d’agir. En effet, rien ne dit que les conditions sont remplies en Côte d’Ivoire pour que ces personnes soient jugées de façon équitable et transparente. Aussi, rien ne dit que ces 13 présumés coupables de divers crimes en Côte d’Ivoire ne rentreront pas d’eux-mêmes si la reconstruction nationale est effective. Le Bénin, un pays de liberté et de paix n’aidera aucunement le président Alassane Ouattara en lui livrant ses compatriotes sans faire la part des choses. Au président Yayi d’en tenir compte», écrit le quotidien Fraternité. D’autres commentateurs s’étonnent que Yayi Boni, en sa qualité de nouveau président de l’Union africaine, pense à s’adonner à un jeu qui renforcera les fractures ivoiriennes.
Rappelons que l’Union africaine a en quelque sorte «abandonné» la Côte d’Ivoire après le 11 avril en renonçant à y envoyer un Représentant spécial chargé d’appuyer résolument la réconciliation nationale. En dépit des résolutions qu’elles avaient librement prises en mars 2011.
Philippe Brou
Le Nouveau Courrier
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