Charles Konan Banny veut réconcilier les Ivoiriens après douze ans de guerre civile (Audio)

RFI

Réconcilier les Ivoiriens après douze ans de guerre civile. C’est le défi que doit relever l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, à la tête de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR). Mais six mois après son lancement, la Commission reste invisible. Que fait-elle ? A quoi sert-elle ? Il était l’invité de Christophe Boisbouvier, ce vendredi 10 février 2012.

Charles Konan Banny, ancien Premier ministre ivoirien, président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR)

 

Charles Konan Banny, ancien Premier ministre ivoirien, président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR)

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10/02/2012 par Christophe Boisbouvier

RFI : Voilà six mois que la Commission dialogue, vérité et réconciliation a été mise en place. Mais pour l’instant, elle n’est pas très visible. Qu’est-ce que vous avez fait depuis le mois de juin ?

Charles Konan Banny : Quand vous avez décidé de construire une maison, vous identifiez le terrain. Ensuite, vous faites le plan. Vous essayez de creuser les fondations. Tout ça n’est pas visible. C’est exactement ce que nous faisons.

RFI : Cette partie invisible, elle consiste en quoi depuis six mois ?

C. K. B. : D’abord, j’ai mené des activités pour sensibiliser les populations. J’ai rencontré des millions de personnes pour savoir si oui ou non, nous étions tous prêts à aller à la réconciliation.

RFI : Vous avez fait tout ça, mais dans un message transmis à New York la semaine dernière, l’Onuci [l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire] a montré des signes d’impatience. Vos travaux ne vont pas assez vite, dit-elle ?

C. K. B. : Je ne sais pas de quoi l’Onuci parle. J’ai suffisamment d’expérience, j’ai suffisamment été acteur de ce processus de normalisation de la Côte d’Ivoire, je me méfie des avis intempestifs des uns et des autres. L’Onuci est présente en Côte d’Ivoire depuis plus de dix ans. Est-ce que l’Onuci a empêché que les Ivoiriens s’entredéchirent ? Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Je vous dis une chose : moi, je veux bien que ceux qui veulent nous aider, nous aident. Mais on ne peut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Je n’ai pas l’intention de laisser ce processus échapper aux Ivoiriens. J’ai bien conscience que nous devons gérer l’impatience des gens. C’est normal, si on veut une paix durable, qu’on nous laisse travailler. Nous avons deux ans pour finir le processus. Ceux qui sont responsables se gardent bien de porter des jugements avant terme.

RFI : Est-ce que vous n’avez pas fait un petit peu de people en nommant par exemple Didier Drogba dans cette Commission. On sait bien que ce footballeur n’aura pas beaucoup de temps à vous consacrer. Est-ce que ce n’est pas un gadget pour journalistes ?

C. K. B. : Non, je ne crois pas. D’abord c’est un Ivoirien. Deuxièmement, Drogba est fils d’une région [originaire de la région de Gagnoa au centre NDLR], qui à tord ou à raison, se sent aujourd’hui un peu victime. Hier, des Ivoiriens considéraient que cette région-là -la région de l’ex président Laurent Gbagbo, la région des Bété- était responsable. Je pense qu’il n’y a pas de responsabilité collective. Mais en appelant Drogba qui est considéré comme un fils, un digne fils de cette région, de même qu’un digne fils de la Côte d’Ivoire. C’est une icône. Et c’est vrai que son métier fait qu’il n’aura pas beaucoup de temps à nous consacrer. Mais la réconciliation, ce n’est pas un travail de postier où il faut aller pointer tous les matins à une heure fixe. C’est un travail de relations et de persuasion. Je crois que Didier Drogba a la qualité pour ça.

RFI : C’est comme en Afrique du Sud, pour réconcilier il faut interroger les bourreaux et les victimes. A l’heure actuelle, plus de soixante cadres de l’ancien régime de Laurent Gbagbo sont en prison. Est-ce que vous allez les auditionner ?

C. K. B. : Non, pour le moment ils sont en prison. La seule chose que je peux faire, c’est aller leur rendre visite et je le ferai pour avoir leur opinion sur le processus de réconciliation. Mais il y a un temps pour tout. S’il y a quelque chose sur laquelle nous sommes tous d’accord, c’est qu’il faut donner droit et priorité aux victimes, celles qui ont souffert dans leur corps, qui ont été mutilées, d’autres même sont mortes et leurs parents sont là. C’est ça les victimes. Il faut apporter de la compassion. Ceux qui sont en vie, il faut les mettre en situation d’accepter d’aller de l’avant, d’oublier leurs peines pendant un certain temps et de se réconcilier avec l’ensemble des Ivoiriens.

RFI : Donc vous allez entendre les victimes, vous allez entendre les criminels supposés. Est-ce que vous allez organiser des confrontations ?

C. K. B. : oui, le moment venu et c’est inéluctable. C’est cette étape là que tout le monde attend d’ailleurs.

RFI : C’est la plus connue en Afrique du Sud avec Desmond Tutu ?

C. K. B. : Voilà et ça ne se fait pas du jour au lendemain. Et cette phase va nous permettre de rechercher la vérité. Qu’est-ce qui s’est passé ? Et pourquoi ?

RFI : Ces criminels et ces victimes sont déjà interrogés par la Commission nationale d’enquête mise en place par le président Alassane Ouattara. Est-ce que vous ne faites pas double emploi ?

C. K. B. : Non, chacun fait son travail selon le mandat qui lui a été donné. Nous, nous faisons une justice de réparation, de pardon si nécessaire, pas une justice de condamnation. Ce qui est sûr, c’est qu’il peut y avoir complémentarité. S’il y a des éléments des enquêtes qui me semblent dignes d’intérêt qui doivent être pris en compte, pourquoi pas ? Nous allons échanger, nous n’allons pas s’ignorer. Nous faisons le même travail mais je conduis un processus mené par une autorité indépendante. C’est important d’insister là-dessus, non pas que je soupçonne la commission gouvernementale mais elle est gouvernementale.

RFI : Pour l’instant la réconciliation ne marche pas. La preuve, ces législatives de décembre qui ont été boycottées par le FPI [le Front populaire ivoirien] de Laurent Gbagbo. Est-ce qu’il faudrait libérer un certain nombre des quelque 60 personnalités actuellement en prison, comme le demande le FPI ?

C. K. B. : Non, je ne suis pas d’accord quand on dit que la réconciliation ne marche pas. Mon opinion est que nous ramenons trop le sort d’une nation à la nomenklatura politique. Et la nation, c’est plus que les partis politiques.

RFI : Est-ce qu’il ne faut pas envisager la libération d’un certain nombre de cadres du FPI ?

C. K. B. : C’est la justice. Je ne suis pas certain que s’ils n’avaient pas été mis en prison, la Côte d’Ivoire serait réconciliée. De la même façon, vous avez raison, le fait qu’ils soient en prison ne facilite pas le processus. Mais il faut trouver un équilibre.

RFI : A l’heure actuelle, plus de soixante personnes d’un camp sont en prison, zéro personne de l’autre camp. Est-ce que c’est équitable ?

C. K. B. : Je ne suis pas ministre de la Justice. Laissez le processus continuer. A un moment donné, si le processus ne prend pas en compte tout ce que je dis et tous les a priori que les uns et les autres ont, et dont vous vous faites le porte-parole. Et à ce moment-là, vous pouvez venir me poser la question.

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