Instaurée par les Nations Unies, c’est journée de lutte contre les mutilations génitales féminines, lundi 6 février 2012. 100 à 140 millions de femmes sont excisées dans le monde. C’est en Afrique où la pratique est la plus ancrée, touchant 28 pays. Malgré des lois répressives et des campagnes de prévention, l’excision recule peu… trop peu. Explications de Richard Beddock, vice-président de l’ONG française Gynécologie sans frontières.
Propos recueillis par Camille SarretAprès plus de 15 ans de prévention et de sensibilisation, la pratique de l’excision est-elle en régression en Afrique ?
Je parlerais d’une régression molle. La tendance s’est, au moins, stabilisée et sans doute inversée très modérément dans certaines zones. Mais ça reste largement insuffisant. En Côte d’Ivoire, par exemple, les autorités se glorifient de chiffres en baisse mais quasiment une femme sur deux subit encore l’excision alors que la pratique est illégale. C’est tout à fait scandaleux.
Il y a aussi des bastions de l’excision qui restent sourds à toutes les recommandations internationales, tels que l’Ethiopie et le Soudan dans la corne de l’Afrique. Il est vrai que ces pays qui ont connu la guerre et la famine ont d’autres affaires à gérer. En tant que médecin, ça me révulse mais je peux le comprendre.
En revanche, le double discours que tient l’Egypte m’horripile. L’Etat organise des conférences internationales sur l’abolition de l’excision alors que presque 100% des Egyptiennes sont toujours mutilées. C’est grotesque ! D’autant que les autorités encouragent non pas l’abandon mais la « médicalisation » de l’excision. Mais ça reste tout autant dramatique et inacceptable. D’ailleurs, une jeune fille est morte lors de son excision médicalisée – ce qui est rarissime. Elle a fait un choc infectieux à l’anesthésiant !
Zoom:
Des fillettes qui viennent d’être excisées dans un village de Côte d’Ivoire. Une photo prise pour l’association ACZA.(cliquez sur l’image pour l’agrandir)
Sur quels leviers les Etats peuvent-ils agir ?
On ne sait pas vraiment comment prendre le problème. Quand les lois n’existaient pas, on se disait : « Dès que la pratique sera proscrite, ça ira mieux ». Aujourd’hui, les lois existent et ça bouge à peine ou pas ou pas assez. Je pense qu’il faudrait réussir à appuyer sur plusieurs leviers en même temps : social, politique, religieux…. Mais le levier fondamental, c’est l’humain, l’individu. Je suis persuadé que c’est par les hommes que cela passera. Tant que les hommes resteront fondamentalement persuadés que les femmes sont sales et infidèles quand elles ne sont pas excisées, ils resteront hermétiques à toute évolution. Rien ne changera.
N’y a-t-il pas aussi un manque d’argent pour financer les actions de prévention et inciter notamment les exciseuses à abandonner leur « gagne-pain » ?
Je me souviens qu’en Guinée des exciseuses avaient manifesté criant « Vives les traditions, vive l’excision ». Une manière pour elles de défendre leur portefeuille. Mais franchement, en Afrique, il y a toujours moyen de les réorienter vers une autre activité quand on en a la volonté. Le problème de fond, c’est vraiment les hommes. Ils ont réussi un tour de force absolu : convaincre toute la société que pour être propre, honnête, vertueuse, il fallait être excisée. Ce qui leur donne une main mise totale sur la sexualité de leurs femmes.
Votre ONG parvient-elle à mener des actions sur le terrain contre l’excision ?
Nous sommes une petite ONG et pour nous c’est très difficile. Notre préoccupation première en Afrique, ce sont ces 1000 femmes qui meurent chaque jour en couche. On cherche avant tout à réduire la mortalité maternelle et les maladies infantiles. Et pour ça, il faut entrer dans le pays, rencontrer les gens, circuler librement et facilement. Donc si, en plus, on parlait de mutilations génitales, les portes ne sous seraient pas aussi ouvertes.
On peut nous reprocher notre manque de courage mais nous préférons rester pragmatiques. On a quand même des outils pédagogiques et de sensibilisation sur l’excision que l’on distribue. Par exemple, au Burkina Faso, on a fourni des documents à une troupe de théâtre qui, passant d’un village à l’autre, parlait de l’excision. Mais ça reste modeste.
Restez-vous optimiste malgré les faibles progrès ?
Je suis optimiste de nature ! Je me dis que ce n’est pas possible qu’une pratique aussi délétère subsiste encore. Avec le temps, cela disparaitra, j’en suis persuadé. Le développement de la téléphonie, du web et des réseaux sociaux peuvent changer la donnée et devenir des catalyseurs !
Quand vous exercez à l’hôpital en France, que vous disent les femmes excisées que vous rencontrez ?
Elles me disent très souvent qu’on leur a « volé » leur intimité, qu’elles n’ont pas eu voix au chapitre. Quand elles arrivent en France et qu’elles découvrent que leur état n’est pas la norme, elles prennent une énorme claque. Elles se rendent compte de leur différence. Et ça, c’est douloureux pour elles.
Source: tv5.orgm
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