Côte-d’Ivoire Santé: La gratuité ciblée des soins n’est-elle pas une mauvaise politique ?

Dr DIOMANDE Mamadou

La gratuité totale des soins offerte aux populations ivoiriennes par son excellence le président Alassane OUATTARA au lendemain de son arrivée au pouvoir vient malheureusement de connaître sa fin. Elle est remplacée par celle dite ciblée et sélective.
Cette politique de gratuité totale des soins, qui devait permettre aux populations d’avoir accès à des soins de bonne qualité sans participation financière, a été finalement perçue comme un calvaire pour les malades et un gâchis aussi bien sur le plan humain que financier à cause du manque de volonté technique observé sur le terrain.
En effet, comment comprendre que malgré les 4 milliards mensuels dégagés par le chef de l’état au cours de la période post crise, et ce depuis le mois d’Août 2011 jusqu’en Janvier 2012 pour soutenir cette politique de gratuité des soins, nos hôpitaux n’arrivaient non seulement à payer les agents non fonctionnaires et les fournisseurs mais aussi, ils étaient toujours en rupture de médicaments essentiels, de fournitures de bureau et de produits d’hygiène. Sans oublier que les services de blocs opératoires (gynéco-obstétricaux et chirurgicaux), de réanimations, de laboratoires des analyses biologiques et de radiologies étaient presque toujours non fonctionnels.
Au vu de tout ceci, nous pouvons affirmer que cette politique de gratuité des soins a été sabotée et combattue par ceux, qu’ hier au cours de la période
électorale la traitaient d’illusion, de flatterie et de canular. Tout a été mis en œuvre pour qu’elle échoue. Dans l’un de mes précédents articles sur la gratuité des soins, j’avais souligné que cette politique était une politique innovante qui ne pouvait être conduite que par de bons managers en santé avec un esprit évolutionniste. Dans le cas contraire, malgré les moyens colossaux engagés, les résultats attendus, ne seront ni satisfaisants et ni bien perçus par les populations.
Si nous voulons dans notre société, une vision d’équité en termes d’accessibilité aux soins et d’égalité en termes de niveau de bonne santé, l’approche de la gratuité totale des soins bien appliquée et structurée devrait être la meilleure c’est-à-dire : Faire une exemption des frais de santé pour les pauvres estimés à environ 65% de nos populations dans notre pays.

La gratuité des soins sélective et ciblée
En ce qui concerne la gratuité sélective et ciblée, elle ne touchera que:
• Le couple mère-enfants (0-5ans), avec des pathologies et actes
très restrictives
• Le paludisme.
• Les assujettis et les personnes démunies (encore très confus)
• Les urgences médicales et chirurgicales.

Nous pouvons dire, que cette politique peut avoir l’avantage de pouvoir réduire « les dépenses publiques de santé » mais à l’analyse profonde, elle pose beaucoup d’inquiétudes. Elle va :

1. empêcher l’accès aux soins de la plus grande majorité de la population dite pauvre par des tracasseries inutiles.

2. favoriser l’in équité et l’inégalité en santé dans une société où les personnes pauvres ont déjà de très mauvais indicateurs de santé.

3. occasionner un manque d’attention particulière aux femmes (non enceintes) qui sont les soutiens de beaucoup de famille dans notre pays.

4. favoriser l’injustice et la discrimination entre les malades (ciblés et non ciblés) au niveau d’un même palier de soins de la pyramide sanitaire.
5. Amener les malades pauvres à mendier leur accès à des soins.
6. favoriser encore des dépenses excessives et imprévues en santé pour les
malades en générale.
7. provoquer une perturbation du circuit de l’accès aux soins dans notre pyramide sanitaire.
8. exposer les personnels et agents de santé à toutes sortes de menaces, de
récriminations et d’humiliation de la part des malades, de leurs parents et des autres.
9. favoriser la réapparition de certains comportements pervers (le racket,
le trafic des malades vers les cliniques privées, les bons de prises en charge maladie, la tricherie, le mensonge, la démotivation et les détournements).

10. favoriser la chute de la qualité des prestations dans nos structures
sanitaires publiques surtout au niveau des CHU.
A notre avis, cette stratégie ne nous semble pas la bonne, pour servir de politique de transition pouvant évoluer vers la couverture maladie car elle a plus une option plus affairiste que sociale. Elle créera, tout comme la précédente politique de gratuité des soins, beaucoup de problèmes pouvant encore influencer sur les activités des services médicaux, sur les indicateurs de santé avec aussi entrainer trop de gâchis.
Il faudrait maintenant penser non seulement à arrêter de mettre la santé des ivoiriens en difficulté avec des politiques de santé qui font inutilement beaucoup de dégâts humains et financiers mais aussi à arrêter de faire croire que le candidat ADO n’avait pas une bonne lisibilité sur la santé des ivoiriens dans son projet de gouvernement proposé aux ivoiriens au cours de la campagne électorale. Pourtant dans “ADO SOLUTIONS POUR LA SANTE “ nous avons une vue claire avec une option plus sociale:

1. offrir des soins de bases gratuitement aux populations démunies et
assujetties de notre société.

2. mise en place de l’assurance maladie pour des soins plus poussés.

3. rendre gratuit l’accouchement et la césarienne.

4. augmenter le budget de fonctionnement et d’investissement des
centres de santé, des hôpitaux et des services de prévention.

5. Cotisation annuelle de 12.000F/ personne/an.
6. Investir dans la prise en charge des malades infectés par le VIH.
7. Valoriser la fonction médicale.
A voir ce projet de gouvernement, nous comprenons la volonté politique du président Alassane OUATTARA, de trouver des solutions à la prise en charge des malades pauvres et des populations à hauts risques.
Si nous faisons alors une analyse sur les dépenses publiques en santé (DPS), nous constatons que l’Etat a investi:

• 5% dans les soins primaires.
• 30% dans les soins secondaires.
• 65% dans les soins tertiaires

Ensuite, nous faisons une analyse de la demande des soins des populations en fonction de la pyramide de la santé, nous constatons encore que, les 65% des populations dites pauvres fréquentent plus les centres offrants des soins primaires et secondaires (elles bénéficient directement de 35% des DPS) alors que les 35% des populations dites riches fréquentent plus les centres où les soins tertiaires sont offerts (elles bénéficient alors de 65% des DPS).
Nous concluons que 35% des DPS sont destinées aux 65% des malades pauvres contre 65% des DPS destinées aux 35% des malades riches.
Alors, pourquoi ne pas faire une gratuité des soins, tenant compte des DPS, de la demande des soins et de la pyramide sanitaire?

Ainsi, à travers ces analyses, nous pouvons avoir deux modèles de solution.

1. Modèle 1
Faire une gratuité totale des soins dans le niveau 1 et dans le niveau 2 avec une liste bien précise de médicaments indispensables, et ensuite imposer un ticket modérateur ou une contribution financière de 30% des frais de soins dans le niveau 3
2. Modèle 2
Faire une gratuité des soins dans le niveau 1.
Mettre un ticket modérateur de 15% des frais de soins du niveau 2 et de 30% pour les frais de soins du niveau 3.

Les deux modèles, nous semblent des ébauches de solutions mais le modèle 1 en termes de perspectives d’approches de lutte contre la pauvreté, l’équité, l’égalité et la justice, nous paraît plus pertinent et humanitaire.
Dans tous les deux cas, l’accès aux soins de niveau 1 doit être gratuit avec une liste bien précise de médicaments essentiels.
Notre objectif est de réduire la charge de la maladie sur les 65% des populations qui souffrent déjà de la charge de la pauvreté et non de les enfoncer dans la pauvreté et la misère parce que nous voulons réduire nos dépenses.
Nous pouvons ainsi affirmer que “ADO SOLUTIONS POUR LA SANTE “ est pour le moment la meilleure stratégie pour trouver une solution durable dans la santé, c’est après tout une promesse électorale sur laquelle, le président OUATTARA aura à rendre des comptes aux ivoiriens dans 05 ans.

Nous avons proposé “ ADO SOLUTIONS POUR LA SANTE “ aux ivoiriens et les ivoiriens l’ont accepté car ces solutions sont propices à la situation actuelle d’extrême pauvreté dans notre pays. Ces solutions cadrent bien avec les OMD.

Pour atteindre ces objectifs dans l’intérêt des personnes pauvres, il faut penser à:

1. créer une direction autonome et indépendante pour coordonner les
soins gratuits.
2. créer une direction autonome et indépendante pour coordonner les
soins soumis au ticket modérateur.
3. reprendre la gestion des FSUCOM qui sont actuellement des cliniques
publiques privées.
4. financer effectivement les centres de santé du niveau 1 et 2 en fonction
de leurs paquets d’activités fournies.

5. faire des CHU, des véritables structures de productions médicales.

6. penser à la motivation du personnel de santé et à leur revalorisation
salariale.
7. utiliser la CIE, la SODECI et le trésor public pour le recouvrement individuel des cotisations (à partir de la taille du ménage), dont les montants sont évalués à 300 Milliards de nos francs.

8. prévoir des prélèvements sur les revenus (agricoles, miniers, commerciaux et des assurances automobiles)

La gratuité doit être perçue comme le socle de la solidarité ivoirienne autour duquel doit s’établir un contrat clair entre les différentes parties concernées c’est-à-dire l’Etat, les malades et les personnels de santé. Chacune de ces parties doit jouer son rôle et respecter ses engagements pour que cette solidarité se matérialise.
Toutes les autres approches à part ces deux modèles ci- dessus cités, nous paraissent inadaptées à la situation de pauvreté massive dans notre pays surtout dans nos zones rurales où les maladies infectieuses et parasitaires sévissent de plus en plus.

Dr DIOMANDE Mamadou
Médecin
Economiste santé et développement.
dr_diomande@yahoo.fr
bek_3@hotmail.com

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