Pouvoir sénégalais et Gbagbolisation ! Décryptage d’une crise politique

AFP PHOTO/ ISSOUF SANOGO
AFP PHOTO/ ISSOUF SANOGO

A un mois de la date effective des élections présidentielles du 26 février 2012 nombre d’observateurs avisés, experts et institutions traitant de la sécurité des élections sur le continent sont encore étonnés de la similitude de la posture globale du pouvoir sénégalais avec les prises de positions et pratiques pré-électorales de Laurent Gbagbo au cours de l’année 2010 !

Comme nous le soulignent déjà avec leur humour habituel nos collègues anglophones, « s’il est vrai que Gbagbo est effectivement pensionnaire á la Haye avec la CPI, force est de constater également que ses méthodes et pratiques semblent avoir subies une translation maritime depuis les rivages de la Lagune Ebrié pour un nouveau port d’attache sur les rochers du Cap Manuel » ! Avec bien sûr des variantes locales compte tenu des spécificités de la société sénégalaise.

En effet le Sénégal a actuellement le malheur de présenter, d’une manière délibérée et peut être préméditée, tous les indicateurs conflictuels internationaux du processus électoral : les dérapages de la période pré-électorale étant eux-mêmes des causes de conflit pour les phases suivantes, il convient d’envisager logiquement une situation explosive, á moins que les forces du mal ne soient domptées en temps opportun.

Il y’a d’abord des violations flagrantes des principes et recommandations de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance qui demeure pour tous les démocrates africains « le point culminant des engagements qui ont été pris collectivement par les Etats Membres au cours des dernières décennies »:
1. Désignation d’un Ministère des élections, en doublure d’une CENA, tous sous tutelle gouvernementale en lieu et place d’un organe électoral national indépendant du genre CEI (Commission Electorale Indépendante),
2. Aucune initiative du pouvoir destinée à la mise en place d’un Code de Conduite consensuel agréé par l’ensemble des acteurs impliqués dans les élections : ici c’est plutôt le Forum Civil qui prend l’initiative et qui essaie de regrouper les acteurs ….

3. Refus de valider le bulletin unique approuvé cependant par l’ensemble des acteurs et validé par les partenaires internationaux du processus ; en lieu et place c’est une option unilatérale de ramener les sénégalais au choix de couleurs qui est imposée …comme s’ils ne pouvaient plus reconnaitre les photos de leurs propres leaders politiques !
Ensuite c’est l’initiative ou la couverture d’actes délibérés de violence á l’endroit de l’opposition grâce á l’instrumentalisation de la jeunesse ou de groupes spéciaux …comme les lutteurs ( loubards ou escadrons de la mort du temps de Gbagbo !) : des cas d’étude typiques où le pouvoir en place est le propre initiateur ou instigateur de la violence par affidés ou partisans interposés :

1. Attaque préméditée et délibérée en plein jour de la mairie de Mermoz – Sacré Cœur dirigée par un responsable de l’opposition : des sources concordantes affirment que les acteurs se sont repliés au siège du parti majoritaire au pouvoir á l’issue de leur forfait,
2. Arrestation de responsables de jeunesse de l’opposition : l’un après une provocation flagrante évoquée ci-dessus et l’autre pour des raisons jugées par nombre d’observateurs á la limite de la régularité,
3. Décision unilatérale de libération de ce dernier sans qu’aucune raison n’ait été annoncée officiellement,
4. Harcèlement permanent de membres de la société civile avec des interdictions de manifestations pour des motifs pas convaincants du tout alors que les Forces de sécurité sont bien présentes pour assurer leur travail régalien d’encadrement de manifestations,
5. Sans oublier dans ce chapitre l’envoi d’équipes de loubards aux domiciles de responsables politiques de l’opposition aux fins d’intimidation.

Il convient de noter enfin les mesures et pratiques habituelles communes á l’ensemble des dirigeants africains ayant opté pour l’option «Gbagboienne» du maintien coûte que coûte ou du «on gagne …ou on gagne » :
1. Dotation exceptionnelle des forces de sécurité en vue de répressions á mener contre les populations …avec comme premières cibles désignées les membres de l’opposition qualifiés d’avance de «perturbateurs de l’ordre public»,
2. Tournées de pré-campagne déguisées en visites économiques, religieuses ou inaugurations alors que les organes de régulation n’ont pas encore accordé les autorisations à l’ensemble des acteurs concernés,
3. Achat des consciences et instrumentalisation de l’électorat par une distribution tous azimuts d’énormes sommes d’argent au profit de clientèles politiques, sociales, ethniques ou religieuses, et bien sûr de laudateurs traditionnels ou opportunistes désormais si caractéristiques de la société sénégalaise,
4. Non respect de la diversité religieuse de la communauté nationale en marquant ouvertement un parti-pris au profit de confréries particulières vis-à-vis d’autres groupes religieux, mettant en péril la cohésion nationale, alors que les leaders politiques africains sont invités par le NEPAD au respect scrupuleux de la diversité ethnique , confessionnelle , régionale , politique ….compte tenu de son rôle potentiel dans l’émergence de conflits internes difficiles á maitriser même dans le long terme ,
5. « Cadeautage institutionnel ciblé multiforme » comme le disent si bien nos collègues du Sud, marqué par :
a. Super-soldes ou indemnités de dernière minute pour chefs d’institutions judiciaires, en sus de moyens roulants aux prix exorbitants,
b. « Pluie d’étoiles » au profit des forces de sécurité battant ainsi et comme Gbagbo le record de nominations au grade de général depuis l’indépendance du pays,
c. Poursuite du « cadeautage » jusqu’au niveau du commandement territorial avec les plus récentes indemnités et augmentations de salaires offertes – généreusement dit – on – á des personnels subalternes qui peut être ne s’y attendaient guère …ou plus !

Voilà une panoplie non exhaustive des constatations faites á ce jour pour le cas du Sénégal par la quasi-totalité des experts et institutions chargés de la gestion de la sécurité des élections á travers l’Afrique, au regard de la Charte Africaine évoquée plus haut et des différentes recommandations et leçons apprises á l’issue de séminaires, conférences et travaux organisés á travers le continent depuis une dizaine d’années maintenant.
Les risques liés à de pareilles situations sont désormais connus á travers le continent africain et les cas concrets vécus au Kenya, au Zimbabwe, au Niger, en Guinée et bien sûr en Côte d’Ivoire ne sont pas des «propriétés privées» réservées uniquement á ces pays : le Sénégal n’étant plus classé comme pays de référence en matière de bonne gouvernance démocratique n’est assurément pas á l’abri de perturbations politico-sécuritaires de l’avis des spécialistes de la sécurité en Afrique.

Répressions violentes et disproportionnées contre les populations civiles, exaspération des populations, cycles de violences par groupes politiques interposées, climat d’insécurité généralisée pendant le cycle du processus électoral de la phase pré – électorale á la phase postélectorale menant finalement á l’entrée subite ou progressive du pays dans le cycle infernal de la déstabilisation sociopolitique !

Telles sont les conséquences qui pendent sur la tète du Sénégal á cause seulement d’un désir effréné de conservation du pouvoir où de conquête du pouvoir : mais dans ce cas précis les constatations et conclusions de mes collègues – que je partage entièrement – sont unanimes pour désigner le pouvoir comme premier responsable – comme ce fut le cas pour Tandja , Gbagbo et autres Mugabe et Kibaki – alors que la mission régalienne et les engagements pris au devant des instances africaines invitaient davantage á initier toutes les mesures adéquates pour une organisation d’élections propres , transparentes et crédibles , aptes á rehausser la réputation du Sénégal et á apaiser ses populations !

La situation volatile qui prévaut, similaire sur de nombreux points á celle qui prévalait lors de la période pré-électorale ivoirienne , pose également, et á titre collatéral, le problème majeur de la sécurité physique des membres du Conseil Constitutionnel, que leur décision aille dans un sens ou dans l’autre : ce n’est pas le cas de Yao N’Dré qui nous interpelle cette fois ci, mais bien celui de Youssouf Bakayoko, Président de la CEI , contraint de se «réfugier» sous la couverture des forces des Nations Unies pour déclarer officiellement les résultats provisoires des élections .

Mais le Sénégal n’a pas de forces des Nations Unies et le souvenir de l’assassinat de Maitre Seye reste encore vivace dans les esprits des sénégalais!

Dieu fasse que la sécurisation des élections soit bien organisée selon les normes internationales et qu’elle soit impartiale, inclusive et destinée en premier lieu á la protection des populations …et de toutes les populations, toutes obédiences politiques confondues !

Par Alioune Diop, Colonel (Er) – Expert : Sécurité – Défense – Réinsertion –
Mail : aldiop30@gmail.com

sudonline.sn

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Me Konaté décrypte la crise politique du Sénégal au bord d’un « Printemps »

Décidément le Sénégal est plus que jamais au bord du gouffre, celui d’une crise politique qui n’évoque plus son nom. Face à une telle nébuleuse qui menace la construction démocratique d’un Etat qui aura été jusque là une démocratie modèle en Afrique, notre Chroniqueur Maître Mamadou Ismaila KONATE, avocat d’affaires aux barreaux de Bamako, décrypte méticuleusement cette crise politique qui constitue sans doute un frein conséquent à l’évolution démocratique du Sénégal.

Me Konaté décrypte la crise politique du Sénégal au bord d’un « Printemps »

De l’âge du capitaine candidat ?

Le pays de Léopold Sédar SENGHOR et de Abdou DIOUF devra désormais répondre à cette double équation en cette veille de dépôt des candidatures pour l’élection du Président de la République de février 2012 :

– comment mériter encore une réputation, acquise jadis, de pays de démocratie, de liberté et d’Etat de droit où règne la paix et la concorde, et,

– laisser libre cours aux revendications mais toutes celles de nature politique, sans que l’Etat ne tombe dans l’euphorie et la terreur, donnant ainsi l’impression d’être comme dans un Etat policier dont le propre et le fort sont la chasse aux sorcières et aux opposants.

En attendant les preuves tangibles d’un tel comportement contre Abdoulaye WADE, largement décrié dans son pays, les épreuves à venir au Sénégal enseignent aux analystes et aux observateurs que la paix et la stabilité y sont fortement menacées.

La raison : Les échéances électorales de février 2012 et l’hypothèse, plus que probable aujourd’hui, de la troisième candidature de Maître Abdoulaye WADE, si cette dernière était validée par le Conseil constitutionnel dont la décision est fortement attendue ce matin. Le Président WADE est plus que jamais déterminé à poursuivre son dessein de briguer la magistrature suprême. Arrivé au pouvoir en 2000, à la faveur d’un vaste mouvement populaire, dirigé à l’époque contre le socialisme, les sénégalais avaient exprimé leur dégoût de la longueur de la durée au pouvoir de leurs dirigeants. L’alternance a été également facilitée par le fait que Abdoulaye WADE était l’opposant politique le plus ancien au Sénégal, tant dans la durée que dans l’action. Le Président Abdoulaye WADE, fort de ces états de service, entend se représenter aujourd’hui pour reconquérir le suffrage des sénégalais pour un troisième mandat. Ce troisième mandat est sans doute le mandat de plus, visiblement celui de trop sans aucun doute. Pour justifier le bien fondé de sa démarche vers ce troisième mandat, le Président Abdoulaye WADE, pour échapper à la foudre de la règle constitutionnelle issue de la dernière réforme, argue de la postériorité de cette révision, survenue selon lui après sa prise de fonction. Décidément, Abdoulaye WADE et les tenants de cette thèse de la « postériorité » défendent la légalité de sa candidature à l’élection de février 2012 par tous les moyens. Ils indiquent par exemple que le décompte des mandats déjà exercés par le Président WADE ne devrait commencer qu’en 2007, date de sa réélection à la tête de l’Etat du Sénégal.

Cette question cruciale constitue le principal point de discorde entre Abdoulaye WADE et ses opposants. La réponse à cette question qui se pose aujourd’hui au Sénégal, intéresse plus d’un. Elle va bien au-delà de ce seul pays, le Sénégal, et concerne aujourd’hui tout un continent, l’Afrique. C’est pourquoi la réponse à cette question est importante et implique en premier les cours constitutionnelles dont celle du Sénégal en premier. La haute juridiction constitutionnelle sénégalaise, devrait, une fois saisie, se prononcer en premier et avant tout en termes de recevabilité. Ce préalable ne saurait en rien être éludé ni repoussé.

Décidément, la candidature à venir de Maître Abdoulaye WADE, en plus d’être celle de la discorde, de toutes les discordes est celle de trop. Les meilleurs spécialistes de constitution du Sénégal soutiennent son caractère impossible. Pour cela, ils ont avancé des arguments implacables à leurs yeux.

Au-delà de toutes ces arguties à forte connotation juridique et sur fond de divergence de fond, disons le tout net, plus que le nombre de mandats et le caractère rétroactif ou non de la dernière révision constitutionnelle, c’est l’âge du Président WADE qui est en cause et qui gêne. Quatre vingt cinq, six ou sept, peu importe en définitive, la première grosse lacune est et demeure l’absence de précision constitutionnel en ce qui concerne l’âge du candidat. A quatre-vingts ans passés, on est infailliblement en train de devenir inapte et incapable d’exercer le pouvoir d’Etat. Or, le pouvoir d’Etat n’est pas celui de la royauté ou de l’empire. Bien évidemment, le Sénégal est une République et non une Monarchie. La dévolution du pouvoir se fait au moyen des règles constitutionnelles et non par le sang et suivant une quelconque lignée. Le contexte politique sénégalais est assez pollué en raison des nombreux écarts et reproches imputables au Président WADE. La propre interprétation du Président WADE du texte de la constitution révisée, notamment sur le point relatif à la limitation du mandat, est on ne peut plus claire. Toutes autres interprétations ne seraient que tergiversations de nature à créer le doute et la suspicion autour de cette candidature et son bien-fondé. Le Président WADE ne fait rien pour se départir de cette autre opinion, profondément ancrée dans la tête des sénégalais et largement propagée qui lui reproche de vouloir « installer » son fils Karim WADE au pouvoir. Or, plus que « renié » par ses compatriotes, celui-ci a fait la preuve évidente de ce qu’il n’y arrivera sans doute pas tout seul, le suffrage universel lui ayant comme définitivement tourné le dos.

D’un point de vue tout autrement que politique, il est à noter que toutes les dernières réformes constitutionnelles dans le continent se sont évertuées à limiter non seulement le nombre de mandats, mais aussi ont fixé un âge limite aux candidats voulant briguer la magistrature suprême. L’absence de disposition comme celle indiquée est de nature à créer un contexte à la BOURGUIBA. Pour ce qui a été le sort de Habib BOURGUIBA, il faut prier le tout puissant que d’autre ne connaisse ce même sort.

Afreeque.net

Dimanche 29 Janvier 2012 – 21:49

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