Gnenema Coulibaly: « En le transférant à la CPI, Ouattara a rendu service à Gbagbo ! »

2012 Afriquinfos – Interview de Mamadou Gnenema Coulibaly , ministre ivoirien des Droits de l’Homme. (Propos recueillis à Abidjan par David Youant)

La France, les Etats-Unis et certaines ONG ont condamné la récente agression contre le meeting du Front populaire ivoirien (FPI), qui a finalement été annulé. Ces événements constituent-ils pour vous une violation des Droits de l’Homme ?

Bien sûr ! Toute violence et toute négation de la liberté d’un individu ou d’un groupe d’individus est déplorable. Mais, nous ne pouvons pas jeter la pierre ni aux uns ni aux autres tant que les investigations en cours ne sont pas terminées. Nous déplorons qu’on ait pu déboucher sur une telle situation, mais nous estimons que ce sont les contrecoups de comportements antérieurs, les dernières manifestations de ce qui avait cours entre 2000 et 2010.

Cela dit, je déplore les blessés tout comme le ou les décès, et je présente mes vœux de prompt rétablissement aux blessés, mes condoléances aux familles des victimes. Aux organisateurs de cette cérémonie, je voudrais exprimer toute ma compassion, parce que ce n’est pas aisé de se retrouver dans pareille situation.

Avez-vous des nouvelles des prisonniers politiques du FPI ? Dans quelles conditions sont-ils détenus ?

Le fait qu’on ne parle plus de leurs conditions de détention montre que les choses sont de plus en plus dans les normes. Au moment où les premières personnes avaient été mises en détention, les services pénitentiaires fonctionnaient tant bien que mal. Il est évident qu’on ne pouvait pas rêver, à ce moment-là, d’être dans les conditions de détention d’un Etat normal.

Avec la reprise en main des institutions judiciaires et pénitentiaires par l’Etat, les conditions de détention sont devenues plus acceptables. Nous avons été leur rendre visite lorsque nous en avons eu la possibilité et nous avons émis le vœu que leur situation s’améliore.

J’ai dit à ceux qui étaient à Bouna, dont bon nombre sont aujourd’hui en liberté provisoire, que lorsque vous êtes dans une situation de précarité, certains de vos amis politiques devraient éviter de provoquer ceux qui vous détiennent. Je l’ai dit à Affi N’guessan (NDR, le président du FPI) et à Diabaté Bêh (ex-Conseiller économique et social). Si je vous mets en détention et que vous proférez tout le temps des menaces contre ma personne, que vous menacez de me renverser par un putsch, il est clair que je ne vous ferai pas de cadeaux. C’est chaque détenu, avec son entourage, qui crée l’atmosphère qui entoure sa détention.

Beaucoup disent qu’il y a une justice des vainqueurs en Côte d’Ivoire ?

Lorsqu’on parle de justice des vainqueurs, on anticipe déjà sur la procédure judiciaire elle-même. Tous ceux qui sont encore en détention le sont pour des crimes économiques. Personne n’est poursuivi pour atteinte aux Droits de l’Homme ou pour des crimes de sang. A l’exception de Laurent Gbagbo, personne n’est poursuivi pour des violations des Droits de l’Homme, puisque la Commission nationale d’enquête et la cellule spéciale d’investigation n’ont pas encore déposé les résultats de leurs travaux. On ne peut donc pas parler de justice des vainqueurs.

Vous avez été en première ligne dans le dossier du transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale, notamment parce que vous estimiez qu’une telle mesure favoriserait la réconciliation en Côte d’Ivoire. Maintenez-vous cette position ?

Je suis encore dans le même état d’esprit. Mais je voudrais clore ce chapitre. Quand je dis que le transfèrement de Laurent Gbagbo à la CPI favoriserait la réconciliation, il faut comprendre ceci : lorsqu’un individu, qui a beaucoup de monde derrière lui, est accusé d’un fait délictueux, il me semble que la justice doit être rendue, non pas par son adversaire direct, mais par un tiers. Seul un tiers peut garantir la neutralité et l’équité d’un jugement. Le président Laurent Gbagbo lui-même m’a donné raison, puisque lors de sa première comparution à la CPI, il a affirmé qu’il se sentait mieux à La Haye qu’à Korhogo, dans le nord ivoirien. Je lui ai donc rendu service parce que je lui ai permis de se retrouver dans des conditions de détention plus convenables. Je suis heureux d’apprendre qu’il consacre ses journées à la lecture, à la prière, à la réflexion et au sport.

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