Source: Le Nouvel Observateur | Par Sarah Diffalah
Cela faisait un petit moment que Nicolas Sarkozy n’avait pas accueilli un chef d’Etat avec un tel faste. De son arrivée à l’aéroport d’Orly mercredi 25 janvier à son diner d’Etat à l’Elysée le lendemain, le parcours du président ivoirien, Alassane Ouattara, lors de ces trois jours de visite, a été jalonné d’intentions toutes particulières.
Le journal ivoirien « L’expression » rapporte avec fierté les honneurs rendus à leur président : « Cinq sections de l’armée française ont été mobilisées. Trois de l’armée de l’air, une de la marine nationale et une des forces paramilitaires. »
A son arrivée à l’aéroport, accueilli par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, le ministre de la Défense, Gérard Longuet, au « son de musique de la garde républicaine », le chef d’Etat étranger a passé en revue les troupes. Ensuite, il a rallié la place des Invalides à bord « d’un hélicoptère présidentiel escorté par deux autres hélicos de combat ».
De la place, Alassane Ouattara est monté à bord « d’une Citroën hors série blindée escortée par une centaine de motards de la police et de la gendarmerie. Le point de chute étant l’hôtel cinq étoiles Le Meurice où il a pris ses quartiers. » Au programme de jeudi, le chef d’Etat ivoirien s’est rendu sur la tombe du soldat inconnu avant de remonter l’avenue des Champs-Elysées décorée aux couleurs des deux pays, sous escorte de la cavalerie. Sur le plan des symboles, Paris a décidé de frapper fort.
A l’ancienne
« On a l’impression que la France a accueilli Houphouët Boigny (premier président de la Côte d’Ivoire et acteur de la Françafrique, ndlr) au temps de la guerre froide! », s’étonne Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef de « La lettre du continent », spécialiste de l’Afrique. « Il y a quelque chose de très rétro qui ne correspond pas à la mondialisation de l’Afrique. C’est un accueil anachronique, d’un autre temps ».
En effet, d’avis d’observateurs, aucun chef d’Etat ivoirien n’avait eu autant d’honneurs depuis ceux qui avaient été rendus au père de l’indépendance ivoirienne. A l’ancienne, Nicolas Sarkozy renoue ainsi avec un protocole loin de la rupture et en contradiction de la distance qu’il avait dit vouloir mettre avec les anciennes colonies lors de son élection en 2007.
Pour le spécialiste, c’est « l’échec d’une politique d’ouverture, une forme de régression ». « Nicolas Sarkozy a eu la volonté de sortir du pré-carré français. Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’est d’ailleurs appliqué ces derniers temps à se rendre en Afrique du Sud et au Nigéria délaissant les anciens partenaires. Voir aujourd’hui le président français recevoir Alassane Ouattara comme s’il représentait le pivot de la stratégie de la France en Afrique est un retour en arrière ».
Une rupture non consommée
Et si la France n’avait jamais vraiment rompu son partenariat privilégié avec la Côte d’Ivoire ? C’est ce pense Gilles Labarthe, journaliste et auteur « Sarko l’Africain » : « On est dans la continuité de la politique françafricaine. La promesse de Nicolas Sarkozy de rompre avec les anciennes méthodes n’a pas été appliquée. Il poursuit la démarche de clientélisme initiée dans les années 1980. La différence aujourd’hui c’est qu’on est dans la période des fils à papa. »
Le contexte a cependant évolué. L’interventionnisme français a largement diminué. Mais Alassane Ouattara est aussi venu à Paris pour remercier la France de l’avoir soutenu lors de l’épisode électoral. Les soldats français ont même aidé les Ivoiriens à déloger Laurent Gbagbo.
« Cet accueil en fanfare est aussi une manière pour Nicolas Sarkozy de s’auto-congratuler, de se mettre en valeur. Il estime que son action en Côte d’Ivoire a résolu le conflit et a aidé à l’instauration de la démocratie », estime Gilles Labarthe.
L’ami de Sarkozy
Les liens particuliers qu’entretiennent Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara peuvent aussi expliquer tout ce décorum. Les deux hommes ne cachent pas leurs années d’amitié. Le couple ivoirien avait été reçu l’année dernière par Nicolas Sarkozy et Carla Bruni dans leur résidence d’été en Cap Nègre. Martin Bouygues, ami du chef d’Etat français, a assisté au mariage d’Alassane Ouattara et de son épouse Dominique –qui a fait le voyage aussi. RFI rappelle que pendant la traversée du désert de Nicolas Sarkozy, après la défaite d’Edouard Balladur en 1995, Alassane Ouattara n’a jamais rompu les liens.
Intérêts économique, militaire et diplomatique
Bien sûr, même les non-avertis savent que les intérêts économiques priment et que derrière ces honneurs affichés se cachent la préservation de la cinquantaine de grands groupes français présents en Côte d’Ivoire. « Bouygues va avoir un troisième pont important sur la lagune, Bolloré continue d’être très bien implanté. Total, arrivé en même temps que Laurent Gbagbo, devrait signer un contrat d’exploration pétrolier pour un gisement très prometteur qui se trouve à la frontière du Ghana », détaille Antoine Glaser. Le groupe Accor devrait signer officiellement la reprise de l’Hôtel Ivoire à Abidjan.
Sur le plan diplomatique, l’influence de la Côte d’Ivoire reste importante. « On peut imaginer qu’aux Nations Unis, la France puisse obtenir le soutien d’un bloc de voix africaines sur les différents sujets, par exemple. Ce qui avait manqué à Paris lors de l’intervention en Libye », fait remarquer le spécialiste de l’Afrique.
Sur le plan militaire, la priorité a été donnée à la signature d’un nouvel accord de défense. Quelque 300 soldats français devraient rester stationner en Côte d’Ivoire. Certes loin des milliers présents il y a encore quelques années, mais suffisamment pour asseoir une présence française en Afrique.
« Cette présence équivaut à mon sens à l’installation d’une base militaire permanente en Afrique », juge David Mauger de l’association Survie qui milite pour plus de transparence dans les relations franco-africaines.
La réconciliation en France mais pas en Côte d’Ivoire
Surtout cette visite tranche fortement avec la situation sur le terrain. Alors que la France et la Côte d’Ivoire célèbre la « réconciliation », à Abidjan les populations ne sont pas encore prêtes à oublier les violences post-électorales. Mercredi 24 janvier, à Yopougon, un quartier d’Abidjan fief de l’ex-président Laurent Gbagbo, la justice ivoirienne a exhumé le corps d’un homme découvert dans une fosse.
L’existence de nombreuses autres fosses a déjà été signalées. Les Nations unis avaient déjà fait état en 2011 de la découverte de 68 corps dans dix fosses communes. Dans un rapport datant d’octobre 2011, l’ONG Human Rights Watch (HRW), a appelé le président ivoirien a accentuer ses efforts pour enquêter sur les auteurs des massacres et note une « approche déséquilibrée » de la quête de justice. « Le gouvernement Ouattara a pris des mesures louables pour poursuivre en justice certains dirigeants du précédent régime […] Cependant, la justice doit être au service des victimes des deux bords qui ont vu leurs proches être tués […] et ne peut être un outil au seul service des vainqueurs. »
Dans le rapport 2012 de HRW, on peut aussi lire que « les initiatives de justice nationale partiale, dans le cadre desquelles aucune charge n’a été portée contre des membres de son camp, ont menacé d’approfondir les divisions entre les communautés et ont mis à mal le retour à l’État de droit ». « Le Président Ouattara doit rapidement traduire en actes ses belles paroles sur la fin de l’impunité, en poursuivant de manière crédible ceux qui, dans son camp, ont commis des crimes graves », encourage le rapport. « S’ils (les bailleurs de fonds et les gouvernements) veulent que la Côte d’Ivoire redevienne le moteur pacifique et prospère de l’Afrique de l’Ouest qu’elle a été dans le passé, ces partenaires doivent s’assurer que justice soit faite, et de manière visible, pour les crimes commis par les deux camps ».
Un sujet qui ne semble pas être la priorité de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara.
Par Sarah Diffalah
Mis à jour le 27-01-2012
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