Contribution par Dr. Konaté Siendou, Comparatiste
La guerre est certainement une pire chose qui puisse arriver à un pays, surtout un pays comme le nôtre qui a été reconnu comme un parangon de stabilité politique et de développement économique dans la sous-région ouest-africaine, et même sur le continent noir. La guerre dont le dénouement a causé plus de 3000 morts et d’innombrables personnes disparues en Côte d’Ivoire est survenue à cause d’une tentative de la part d’une partie du peuple de dénuder certains Ivoiriens de leurs droits inaliénables en leur imposant en même la rigueur des devoirs républicains. Chose qui s’inscrit dans le paradoxe politique qui fâche, et qu’on devra se résoudre à affronter pour repartir sur de nouvelles bases. La tentative de spoliation, d’oppression de l’Autre par celui qui croit avoir éternellement une parcelle de pouvoir est la source de la violence qui a été plusieurs fois, et continue d’être, évoquée dans le débat politique ivoirien. Elle est même invoquée comme un moyen pour accéder au pouvoir d’État.
Qu’est-ce que la violence ? Selon Françoise Héritier, la violence c’est « […] toute contrainte de nature physique ou psychique susceptible d’entraîner la terreur, le déplacement, le malheur, la souffrance ou la mort d’un être animé; tout acte d’intrusion qui a pour effet volontaire ou involontaire la dépossession d’autrui […]. Des violences se veulent légitimes: ce sont celles de la loi, et des peines appliquées à ceux qui l’enfreignent. Selon leur nature et leur diversité, elles posent la question des conditions de légitimité de la révolte et de l’insoumission » (Héritier, De la violence, Tome I, Paris, Odile Jacob, 1991, p.17). De cette définition on pourrait soumettre que la contreviolence est la révolte, la rébellion, la « désobéissance civile » et/ou l’insoumission à la loi lorsqu’on la pense injuste et immorale. La légalité de la contreviolence de l’individu et du groupe est nulle, car dit-on, « dura lex sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi). Cependant, la contreviolence peut être légitime pour l’État, et même pour l’individu et la collectivité dans certaines circonstances, mais elle demeure toujours illégale pour les deux catégories d’acteurs.
Pendant les tentatives de validation de sa propre violence ou pendant les campagnes présidentielles de 2010 où l’ex-président Laurent Gbagbo cherchait à se tailler une part considérable de l’électorat anti-Ouattara, le Front Populaire Ivoirien (FPI) a utilisé l’argument de la violence et de la contreviolence. La violence, selon ce parti, est le fait de l’irruption inconcevable d’Alassane Ouattara et le Rassemblement des Républicains (RDR) dans l’espace politique ivoirien. La contreviolence, cette violence réciproque que le FPI opposait à la supposée violence du RDR, devenait donc nécessaire car étant un moyen de survie dans la politique ivoirienne devenue une véritable jungle après 1993 quand commença la « guerre » Bédié-Ouattara pour maintenir ou accéder au pouvoir. La Côte d’Ivoire est véritablement sujette à la violence depuis le 24 décembre 1999 jusqu’à ce jour où celle violence se décline sous presque toutes ses formes: violence verbale, institutionnelle, interpersonnelle et psychologique. A y voir de près, le FPI, ainsi que les formations politiques qui parasitaient autour de ce parti, charrie la responsabilité de la violence dans notre pays plus que quiconque.
Le 19 septembre 2002, le régime de l’ex-président Laurent Gbagbo a été attaqué par les hommes armés de l’actuel Premier ministre Soro Guillaume –à sa guise le lecteur peut exercer la liberté d’ajouter à la liste des mandataires de cette rébellion qui il veut– parce que, selon les combattants des (ex-)Forces nouvelles de Soro, Laurent Gbagbo utilisait l’« ivoirité » pour continuer à spolier les Ivoiriens issus de la partie septentrionale du pays de leurs droits inaliénables et de leur appartenance à la Nation ivoirienne. Au lieu de rassembler les Ivoiriens des quatre points cardinaux du pays, Gbagbo a considérablement contribué à fragiliser la cohésion sociale en figeant de plus en plus le paradigme géographique Nord/Sud qui se construit sur la base de la religion et de l’ethnicité pour déboucher sur le schéma suivant: Nord musulman et Sud chrétien. On prendra le raccourci usuel en me répondant que Laurent Gbagbo s’est marié coutumièrement à Nady Bamba, une femme musulmane. Ou qu’il aurait fait plus de bien et de faveurs aux musulmans ivoiriens que ses prédécesseurs. Tant mieux. Mais ces faits aussi significatifs soient-ils n’enlèvent rien aux choses fondamentales qui l’incriminent. L’ex-président Gbagbo a avoué que l’article 35 de la loi fondamentale de notre pays a été amendé pour empêcher Alassane Ouattara, actuel locataire de la Présidence de la République d’y accéder. On lui donnera le crédit d’avoir irréprochablement réussi cette entreprise pendant les dix dernières années, mais cette attitude est anti-démocratique. Ainsi donc, quoique n’ayant pas créé l’« ivoirité », le FPI et Laurent Gbagbo ont cherché et ont réussi à tirer plus de dividendes de cette notion que son créateur, Henri Konan Bédié.
De plus, là où un chef d’État devait se révéler supérieur, c’est-à-dire être le premier de ses compatriotes en étant au dessus d’eux, assurer la sécurité de tous, et s’assurer de ce que tous soient égaux devant la Loi – même si cela est la mer à boire que la science politique et la démocratie imposent aux hommes d’État –, Laurent Gbagbo a usé de l’arme des forts : le glaive (donc la violence) qu’il convoqua depuis l’Italie où il état en visite d’État pendant l’attaque de 2002. Certes, pour défendre sa patrie, la violence légitime (la carte blanche que l’État se donne pour user de la force contre l’individu et/ou la collectivité) est ce qui s’offrait à Gbagbo Laurent. Et, « [p]our un grand but, il faut risquer gros. […] La véritable prévoyance consiste, lorsqu’on s’expose à un risque à la guerre, à choisir et à mettre en œuvre soigneusement les moyens les plus propres à atteindre le but et à ne rien négliger par nonchalance, ou légèreté » (Carl von Clausewitz, Principes essentiels pour la conduite de la guerre, trad. De l’allemand et du russe par le général Dragomiroff et publié à Paris en 1889, p.22). L’ex-président Gbagbo n’a pas lésiné sur les moyens financiers et humains comme le préconise Carl Von Clausewitz pour conserver le pouvoir d’État. Autant plusieurs marchands de mort ont été mobilisés, autant l’idéologie ultra-ethno-religieuse a été mobilisée en vue de monter certains Ivoiriens dits « pure sang » contre d’autres considérés comme « Ivoiriens de circonstance ». Cependant, il est impératif de se poser la question de savoir si la violence déchainée contre l’opposition politique et civile de 2000 à 2010 en valait vraiment la peine et les moyens herculéens qui furent déployés.
Pour mémoire, on retiendra qu’en octobre 2000, les militants du RDR et les sympathisants de ce parti redescendirent dans les rues pour réclamer de nouvelles élections puisqu’ils estimaient que Laurent Gbagbo n’était pas un « enfant des élections ». C’est bien légitime en démocratie de manifester, et c’est fort bien ce que le FPI cherche à faire par ces temps qui courent sous le pouvoir d’Alassane Ouattara. Il y eut plusieurs manifestants tués parce que pour éviter de donner suite à une telle revendication, il fallait empêcher toutes manifestations sous prétexte d’une situation militaro-politique exceptionnelle. Laurent Gbagbo donnait l’ordre, en tant que nouveau Président, d’utiliser « tous les moyens nécessaires » pour empêcher que le RDR lui gâche la fête. En matière militaire, cette expression est bien chargée de conséquences. C’est pourquoi, par exemple, lorsque Malcolm X utilisait l’expression « by any means necessary» (par absolument tous les moyens) aux USA pendant les manifestations antiracistes qu’il organisait, les gouvernements successifs américains le prenaient au sérieux, le qualifiaient d’extrémiste violent, et le surveillaient tel du lait sur le feu. En Côte d’Ivoire l’ordre était on ne peut plus clair, et il se résumait en ces termes aux forces de l’ordre: « ayez recours à la force si nécessaire pour rétablir l’ordre !» Et, avec cet ordre, les manifestations du mois d’octobre 2000 ont été réprimées dans le sang, mâtées comme des actes de sédition. Il y eut la découverte des 57 corps sans vie que certains ont a appelé le charnier de Yopougon, fameux quartier qui se veut omniprésent dans la violence politique en Côte d’Ivoire parce qu’un élément du Capitaine Bé Kpan alors commandant du camp commando d’Abobo est « tombé en pleine mission », au combat. (Il va falloir rappeler que même si les militaires sont des humains, ils sont formés et payés pour le combat. Ce qui est triste et à accepter, c’est qu’ils meurent au combat en nous protégeant.) Ces manifestants, s’ils ont usé de quelque forme de violence que ce soit, n’ont (ré)agi ainsi que parce qu’ils ne voulaient pas se laisser tuer tels des moustiques (car tuer du manifestant était la règle sous la Refondation) par les forces de l’ordre. Ils ont simplement réagi par nécessité d’auto-préservation, par contreviolence.
En septembre 2002, les quartiers à forte majorité malinké et musulmane ont été ciblés par les (ex-)FDS. Les quartiers précaires ou bidonvilles où résident les étrangers majoritairement venus du Burkina voisin ont été détruits soi-disant pour venger la mort de bien d’Ivoiriens « pure sang » et surtout celle de Maître Boga Doudou (une violente mort que le FPI n’a jamais sérieusement cherché à élucider), mais aussi pour préparer le terrain à l’exécution sommaire de certains Ivoiriens qui avaient commis le crime de penser autrement, d’être différents en terme de religion, d’ethnicité et d’apparence physique. Comme l’écrit le Baron de Jomini, « on comprend qu’un état combatte ses propres enfants pour étouffer des factions politiques qui affaiblissent l’autorité du trône et la force nationale ; mais qu’il fasse mitrailler ses sujets pour les forcer à prier en français ou en latin […] voilà ce que la raison peine à concevoir » (L’Art de la guerre ou nouveau tableau analytique des principales combinaisons de la stratégie, de la grande tactique et de la politique militaire, Paris, 1838, p. 85). Certes, si Gbagbo n’a pas forcé les étrangers et les Ivoiriens issus du Nord de notre pays à prier en Bété (sa langue) ou en Abouré (langue de sa femme), mais certains ont été froidement abattus pour délit de faciès, de patronyme et d’opinion. Il faut avoir le courage et l’honnêteté de reconnaître que les escadrons de la mort ciblaient tous sauf les partisans du FPI, les pro-Gbagbo et les non-Nordistes. Les 25, 26 et 27 mars 2004, plus de 120 personnes selon l’ONUCI ont perdu la vie pour avoir tenté une marche sur le Plateau alors déclarée zone rouge par Dogbo Blé Bruno et Ahouma Brouha Nathaniel. Les morts sont en majorité des militants du RDR à qui Laurent Gbagbo disait : « si vous marchez l’armée fera son travail ». L’armée a fait son travail. Or les spécialistes autoproclamés des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire ne demandent pas que le droit soit dit, que les responsabilités soient situées pour les cas ne touchant pas leurs parents comme si la vie des uns vaut mieux que celle des autres. Ils prônent l’oubli du passé pour qu’on avance. Cela est clairement inhumain.
Aussi, la prévoyance dont parle Clausewitz commandait que Gbagbo ne négligeât rien « par nonchalance et légèreté ». Or ces deux vices se traduisent par son refus d’explorer d’autres voies de résolution de la crise. Pour défendre sa patrie, il y avait une autre arme plus efficace qu’il pouvait utiliser : le dialogue qu’il feignait à travers ce qui était plutôt un cri de guerre : « Asseyons-nous et discutons !» Nous avons pourtant tous appris qu’approximativement 800 milliards de nos francs ont été engloutis dans l’achat d’armes sophistiquées nonobstant l’embargo des Nations Unies sur les armes en Côte d’Ivoire. Cette somme colossale avalée par les armes réduisait ainsi au néant, et ce par anticipation, les efforts de discussion qu’il entreprenait en 2007 avec Soro Guillaume sous la rubrique de « dialogue direct ». Il fallait explorer la voie de la Parole d’abord, et celle de la Force comme dernier recours. La déroute de l’armée clanisée et tribalisée de Gbagbo Laurent permet, jour après jour, de découvrir les stocks d’armes dissimulés dans nos villages et hameaux des régions favorables à l’ex-président.
La violence postélectorale, de décembre 2010 à avril 2011, défie l’entendement de celui qui se veut raisonnable. Il est inconcevable qu’un musulman ivoirien tue un Ivoirien d’une religion ou d’une ethnie autre que la sienne pour quelque raison que ce soit, a fortiori pour son bord politique. C’est simplement anti-islamique, et un tel acte est le passeport parfait pour la Géhenne. Il est tout aussi difficile de rationnaliser l’usage de l’« article 125 » pourtant naturalisé par les miliciens guinéens, libériens, et angolais que l’ex-pouvoir avait employés –car je doute bien que des Ivoiriens aient pu soumettre leurs compatriotes à de tels supplices quelque soit le crime que ces derniers aient pu commettre– pour décimer les Nordistes et les personnes supposées être pro-Ouattara à Adjamé et ailleurs, et surtout à Yopougon où les découvertes macabres de charniers se poursuivent.
A Abidjan, l’on a fabriqué des monstres qui se croyaient indomptables tellement ils excellaient dans les différentes déclinaisons de la violence. Nos jeunes étudiants ont été milicianisés à souhait. Les préparatifs à cette milicianisation étaient déjà en cours quand ces étudiants agressaient leurs maîtres sans avoir peur de représailles réglementaires (i.e. disciplines universitaires et affiliés). Ces mesures disciplinaires ne pouvaient prendre effet de toutes manières étant entendu que ceux qui devaient les faire appliquer étaient ceux-là même qui encourageaient les étudiants à la violence contre leurs collègues enseignants à cause de la différence d’opinion et d’idéologie. Les démonstrations de force et les défilés militaires d’étudiants sont, à n’en point douter, un oxymore effroyable que nos campus universitaires ont vécu. Pis encore, à la place des livres et des stylos pour cultiver l’esprit contre les reflexes naturels et instinctuels, on leur offrit des kalachnikovs qu’ils manient mieux à ce jour. C’est pourquoi, même si les autorités doivent plus s’investir dans la réhabilitation de nos lieux de culture et du savoir avec la même ferveur autant qu’elles éprouvent pour les secteurs dits plus importants, les lamentations des étudiants « fescistes » pour une réouverture immédiate des universités semblent hypocrites. Ils ont détruit l’université ivoirienne : les infrastructures et l’ambiance universitaire authentique ont subi la violence des étudiants militarisés. La bonne nouvelle est que ceux qui ont encouragé à la dépravation de la jeunesse estudiantine ainsi qu’à la violence sur nos campus se connaissent, et mieux ils savent qu’ils sont connus. Le bon sens commande qu’ils fassent amende honorable devant l’Histoire nationale, et qu’ils répondent de leurs actes.
En somme, il va falloir se réconcilier avec la mémoire collective ivoirienne: donner un nom à ceux qui sont tombés sous les balles assassines, et tuer la réticence à dire ce qui s’est passé, n’en déplaise à la réconciliation de façade, celle qu’on appelle de tout cœur au grand dam de la justice pour les victimes de tous les bords. Qu’elle soit à Abobo, à Yopougon ou à Duékoué, point de départ des hostilités anti-Gbagbo en 2011.
Aussi, ces jours-ci, l’Ivoirien assiste-t-il à un gémissement fallacieux qui provient de celui qui gérait son pays hier, celui qui a le « blues » à cause du pouvoir perdu. C’est que le FPI a un rapport ambigu à la mémoire. C’est la mère des violences. En effet, la mémoire a ceci de particulier qu’elle est bien partagée. Comme Peter Tosh et Bob Marley, deux reggaemen jamaïcains influents, le chantaient, « you can fool some people some time, but you can’t fool all the people all the time» (certes, on peut tromper certaines personnes pendant un certain temps, mais pas tout le monde tout le temps). Le bourreau d’hier veut brouiller sa propre mémoire ; avec celle-ci, il ne veut plus rien à voir. Malheureusement, en brouillant sa propre mémoire il pense avoir la capacité de brouiller celle des autres. Il veut subitement se constituer en victime, pas nécessairement parce qu’il est persécuté par celui qu’il persécutait hier, mais parce que l’ordre social où doit régner l’application de la loi et la lutte contre l’impunité signifie pour lui une rencontre avec le souvenir des actes posés et leurs conséquences légale et pénale. C’est une tendance à l’alchimie psychosociologique qu’il faut dénoncer.
Alors qu’on crie à l’implantation d’un pouvoir dictatorial à Abidjan, il y a quand même une presse « bleue » qui insulte le Président de la République, Alassane Ouattara. Or, dans les dictatures dignes de ce nom, une telle presse est saccagée, interdite de parution. Dans ce cas de figure toujours, le parti politique dont une telle presse se réclame est dissout. Les animateurs dudit parti sont pourchassés de jour comme de nuit. Le FPI est pourtant, bien là en Côte d’Ivoire, avec ses sautes d’humeur d’enfant gâté que nous gérons. Avec le soutien des agitateurs dans le monde virtuel ainsi que ceux dissimulés parmi la population, ce parti entend rééditer « l’assaut final » du 16 février 1992, modèle incontesté et incontestable de la violence. De plus, il vient d’engranger 125 millions de nos francs pour sa participation dans la vie publique nationale. Pour la sécurité défaillante que tous dénoncent, celle pour laquelle certains critiques demandent qu’on brûle les FRCI qu’on appelle prosaïquement « Frères Cissé », on me répondra qu’il y a toujours des exilés politiques au Ghana, au Togo et ailleurs dans la sous-région qui ont peur pour leur vie. Soit. Certes, certains « Frères Cissé » ne respectent pas l’orthodoxie de leur métier d’armes. Cependant, force est de reconnaître que bien des Refondateurs sont bien vivants en Côte d’Ivoire. Certains barons de l’ex-parti au pouvoir ont leurs comptes au contenu douteux libres de tout mouvement. En sus, ils parlent librement et insultent toujours. Amani Nguessan Michel, Laurent Akoun et Justin Koua vocifèrent et montrent bien qu’ils n’ont aucun remords pour les actes violents que leur parti a posés. Assurément, leur arrogance est de nature à couper le souffle. Autant ces trois personnes, parmi tant d’autres, démontrent qu’il n’y a pas de dictature à Abidjan, autant ils sont l’épitomè de l’extrémisme militant et de la morgue du FPI qui refuse de se repentir, de demander pardon au peuple ivoirien, et ainsi de « rentrer dans la République », si je puis m’approprier cette fameuse expression que le même FPI utilisait pour tourner en dérision feu Guei Robert alors réfugié à Kabacouma, ou bien Alassane Ouattara en exil à Paris après avoir essuyé des tentatives de liquidation physique. Il faut le retenir que des pro-Gbagbo, purs et durs, et autres militants du FPI sont rentrés au pays, et ceux qui ne le font pas jusqu’à présent se reprochent bien quelque chose. Utilisons donc cette lapalissade : la Côte d’Ivoire, c’est le pays à tous les Ivoiriens. Ces auto-exilés doivent rentrer, avec courage et humilité, pour faire face à l’adversité qu’ils ont créée de toutes pièces.
C’est parce que l’environnement social s’y prête en 2012 que certains partis politiques organisent des manifestations de contestation. On ne marche pas dans un pays où prévalent la dictature et le despotisme, car la marche est un outil de cet engrenage qu’on appelle la démocratie. En effet, les extrémistes du FPI disent : « on marchera et rien ne se passera ». Tant mieux. Certains titres « bleus » barrent toujours qu’il « n’y a rien en face ». Ils oublient, comme le disait le sage Chinois Lao Tseu, que « Quoi qu’on fasse aux hommes, ils rendent la pareille » (Lao Tseu Tao Te King [Le Livre de la voie et de la vertu], trad. Stanislas Julien, Paris, Imprimerie royale, 1842, p.113). Chez nous en Côte d’Ivoire, on dit : « Le renard passe, chacun à son tour ». Proverbialement encore, les Dioulas disent que « lorsque vous crachez en l’air, le crachat vous tombe dessus ». Les parents des victimes ne sont pas nécessairement, et ne sont pas souvent prêt à l’être, sur la même longueur d’onde que les politiciens. Ces derniers veulent seulement plaire à Croix/Croissant Rouge, Reporter Sans Frontières, Amnesty International, et Human Rights Watch, etc. (ces groupes qui n’existent que parce que certains comme nous se tranchent la gorge pour qu’on leur donne des millions de dollars de fonctionnement) afin de s’épargner les feux de la soi-disant communauté internationale qui les a soutenus pendant la crise préélectorale et postélectorale. Ces parents blessés pensent plutôt à la justice pénale, à la punition que leurs bourreaux doivent écoper. Ils sont à dédommager. Lorsque les bourreaux se pavanent sans être inquiétés, couvrent la victime de morgue et de menaces, alors celle-ci se rend justice.
Un mort est une personne de moins pour l’humanité, et cela l’est bien plus pour la Côte d’Ivoire. Les morts de Yopougon, le samedi dernier (21 janvier 2012), sont une affliction pour la Nation ivoirienne entière. C’est dans cette veine qu’il faudra appréhender les autres cas de mort d’hommes pendant les manifestations politiques dans notre pays. De plus, ces violences sur les pro-Gbagbo n’honorent pas le Président Ouattara qui tient à prouver sa distance de la violence que certains critiques lui collent à la peau comme moyen d’accéder au pouvoir. Elles n’arrangent pas non plus l’image de son parti, le RDR. Toutefois, il faudra souligner que cette réaction instinctuelle des militants pro-Ouattara –s’il est bien prouvé que ces derniers sont les auteurs de ces attaques anti-pro-Gbagbo à Yopougon– s’explique toujours. En effet, les auteurs de cette violence ne veulent pas que le FPI se croie en 1990, où il avait le monopole de la violence (or chaque être humain est une bête féroce en latence), ou bien les années 2000 où il était maître du jeu politique en Côte d’Ivoire. Le FPI semble oublier cette affirmation de Carl von Clausewitz : « Ce qu’il y a dans la guerre après la victoire, c’est la poursuite » (Clausewitz, p. 45). « Poursuite » au sens propre qu’au sens figuré. En d’autres termes, ce parti est en position de faiblesse et « l’autre en face » n’est pas du tout « maïs » ; « l’autre en face » est le plus fort pour le moment. En conséquence, les partisans de l’ex-président doivent le reconnaître, se faire petits et savoir garder Raison. Dans le cas contraire, il est prévisible que leurs victimes ne prendront pas en compte les consignes du « vivre ensemble » et du dialogue que donne le président Alassane Ouattara. Elles poursuivront leurs bourreaux, car « c’est la poursuite de l’ennemi battu qui seule cueille les fruits de la victoire » (Clausewitz, pp. 68-9). C’est dire que le radicalisme du FPI ne créera qu’un extrémisme débridé des partisans du président actuel. Or, c’est malheureux, mais il faut bien daigner le dire, ces partisans ont le « pouvoir politique et militaire » (l’incarnation de la violence par excellence) de leur côté. La violence du FPI engendrera toujours une contreviolence « légitime », qui sera regrettablement lourde de conséquences pour l’ex-parti au pouvoir ; les militants supposés du RHDP ou du RDR répondront, coup pour coup, aux provocations et aux injures du FPI.
Enfin, il faut se soumettre à un exercice constant de questionnements qui doit déboucher sur les réponses aux questions suivantes : Pourquoi le FPI croit-il qu’il peut réussir ce bras de fer qu’il tente d’engager avec le pouvoir du Président Ouattara ? Pourquoi les animateurs de ce parti ne veulent-il pas reconnaître leurs erreurs et leurs fautes et finalement demander pardon aux Ivoiriens blessés par leur arrogance et tués par leur violence ? Pourquoi le FPI croit-il que les militants du RDR et autres partis politiques qui ont été ses victimes le laisseront-ils vociférer, et les narguer sans lui jeter de grosses pierres quand l’occasion se présente ? Quand on aura répondu à ces interrogations simples, alors on saura qui, dans l’arène politique, entretient un rapport de dépendance et sans ambiguïté avec la violence. Enfin, on découvrira les sentiers qui mènent au désarmement des cœurs, préalable à la fin de la violence et ses avatars dans notre pays.
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