Le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO) a foulé hier le perron de l’Elysée pour la toute première fois en tant que chef d’Etat. Cette visite officielle est formellement dite visite d’Etat car, au cours de son séjour parisien, ADO aura à discuter avec son homologue français Nicolas Sarkozy d’affaires impliquant les intérêts des deux pays. Il sera notamment question de la signature d’un nouvel accord de défense et de sécurité entre la France et la Côte d’Ivoire.
Cet acte sera d’autant plus crucial voire historique, qu’il permettra une importante révolution dans les rapports militaires entre les deux nations. La future nouvelle entente ne devrait contenir aucune clause secrète et devrait être rendue publique. Elle serait, en outre, délestée de son principe datant de 1961 et qui autorisait une intervention française automatique en cas d’attaque contre le régime ivoirien. Une évolution majeure dans les relations franco-ivoiriennes qui s’inscrit en droite ligne de la vision commune de l’actuel locataire du palais de l’Elysée et de son hôte de marque. En effet, après son élection en 2007 à la tête de l’Etat français, le successeur de Jacques Chirac s’était fixé pour objectif, entre autres, la désacralisation de la Françafrique.
Cette démythification des relations entre les pays africains et l’ancien colonisateur devait nécessairement passer par la minimisation de l’immixtion de l’ex-puissance coloniale dans les affaires internes de ses ex-colonies. Certes, les visions et projets idéalistes du candidat victorieux de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) se sont heurtés à la réalité du terrain. Si bien que les exigences de la realpolitik l’ont contraint à réviser à la baisse ses prétentions pour les rendre réalisables dans leur contexte. Qu’à cela ne tienne ! Sans chercher nécessairement à révolutionner le système politique, le premier des Français n’hésite pas, quand l’occasion se présente, à desserrer l’étau français autour de certains pays africains.
Même si le chef de l’Etat ivoirien a lui-même souhaité le maintien de la base militaire française de Port-Bouet, s’il y a une chose qui reste au moins sûre et certaine, c’est que rien ne devrait se passer comme avant. Non seulement les effectifs seront réduits de 450 à 300 soldats français, mais aussi, l’abrogation du principe d’intervention systématique constitue un garde-fou de taille. Nul doute que le président ivoirien profitera des trois jours qu’il passera en France pour réitérer sa gratitude à ses « sauveurs » d’un jour. Pour qui sait le grand rôle que l’armée française a joué dans l’éviction de Gbagbo, le gangster électoral, ce qui a permis de rétablir la victoire électorale du candidat des houphouétistes, la reconnaissance renouvelée de ce dernier aux autorités françaises va forcément de soi.
Ouattara et Sarkozy ne manqueront assurément pas de trinquer à cette amitié retrouvée et renforcée et à la nouvelle direction qu’ils comptent donner aux rapports existant entre les deux pays. Un dîner a d’ailleurs été servi dans la salle des fêtes de l’Elysée à l’honneur du couple Ouattara et du reste de la délégation présidentielle le soir même de leur arrivée qui fut ponctuée d’honneurs militaires. En tous les cas, le déplacement à l’Hexagone du président Ouattara aura le mérite de contribuer à dissiper le brouillard qui pesait sur les relations entre les deux pays sous l’ère Gbagbo. Il consacrera ainsi la fin d’une décennie de brouille entre deux pays amis de par leur peuple et leurs échanges notamment militaires et commerciaux. Cette normalisation de l’axe Paris-Abidjan ne pouvait mieux tomber à une période où toutes les opportunités sont à saisir pour rebâtir une nation ivoirienne qui se remet douloureusement de son chaos.
Tout le mérite de cet effort de reconstruction revient au peuple ivoirien tout entier qui s’échine, non sans peine, en témoignent les accrochages répétés entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, à tourner la triste page de la crise. Nul doute que des lueurs d’espoir finiront par poindre à l’horizon, peu importe le temps que cela prendra. L’espoir est d’autant plus permis que préside aux destinées du pays de l’espérance et de l’hospitalité, un homme de paix et de raison. Fidèle à l’esprit de son père spirituel Félix Houphouët-Boigny, ADO, contrairement à son prédécesseur Laurent Gbagbo, semble préférer à une puissante armée, une institution militaire plutôt républicaine et adaptée. Il aura probablement recours à la coopération sous-régionale et française pour construire une armée à même de faire de la Côte d’Ivoire une référence sous-régionale en matière de sécurité.
Ainsi pourra-t-il lutter efficacement contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée, le jihad et le trafic de drogue qui ne sont pas loin de ses frontières. Et pour mieux combattre ces fléaux qui sapent les efforts de reconstruction économique, le gouvernement ivoirien entend reprendre ses vieilles bonnes relations, les adapter aux exigences du moment tout en en nouant d’autres.
C’est ainsi qu’une coopération militaire avec l’Amérique figurerait sur la liste des projets du nouveau pouvoir d’Abidjan. Autant d’ambitions qui permettront au pays de reprendre sa place de poumon économique de l’Afrique de l’Ouest et de jouer la partition qui est la sienne dans le concert des nations.
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