Ouattara: « Rendre la démocratie irréversible en Côte d’Ivoire »

LEMONDE.FR |

Abidjan Envoyés spéciaux – Huit mois après son installation à la présidence de la Côte d’Ivoire, au terme d’une crise politique causée par la contestation par Laurent Gbagbo de sa défaite à l’élection de novembre 2010, Alassane Ouattara se rend à Paris, le 25 janvier, pour une visite d’Etat. Dans un entretien au Monde, il fait le point sur les premiers mois de son action.

Neuf mois après la fin des violences, où en est la réconciliation en Côte d’Ivoire ?

Rétablir le dialogue, enrayer la violence, assurer la réconciliation entre les différentes composantes de la population : ce sont là pour moi des objectifs impératifs. Les Ivoiriens veulent vivre en paix et tourner la page. Même si je suis encore préoccupé par la sécurité, la Côte d’Ivoire avance. Je suis absolument déterminé à faire en sorte que la démocratie devienne irréversible dans notre pays. Depuis que je suis installé à la présidence [le 27 mai 2011], j’ai constamment tendu la main aux partisans de Laurent Gbagbo. Ils la refusent et je le regrette. J’ai mis en place la commission Dialogue, vérité et réconciliation. J’ai demandé à son président, comme au ministre de l’intérieur, de rencontrer les responsables de l’opposition. Moi-même, je leur ai fait savoir que j’étais prêt à les recevoir de nouveau. Je leur avais proposé des postes au gouvernement. Ils n’ont pas accepté. Ils ont boycotté les élections législatives de décembre. Je continuerai ainsi, même si un noyau dur du FPI [Front populaire ivoirien, le parti de l’ancien président Gbagbo] refuse d’aller de l’avant.

Vous faites allusion à des responsables du FPI qui se trouvent en exil ?

Il y en a ici, il y en a d’autres qui sont à l’étranger, en exil, c’est vrai. Nous n’accepterons pas que certains, installés dans des pays voisins, attaquent le pouvoir démocratiquement élu à Abidjan.

Il y a encore eu des violences lors d’un meeting du FPI samedi à Abidjan. Un mort, une quarantaine de blessés. Des militants de votre parti sont mis en cause.

D’où qu’elles viennent, je condamne ces violences. Nous avions autorisé cette manifestation après beaucoup d’hésitation. Etait-ce le moment ? Je ne voulais pas donner le sentiment qu’il n’y a pas d’état de droit. Ce sont les populations qui sont sorties dans la rue, même s’il devait y avoir aussi des militants du RDR [le parti de M. Ouattara]. Tous ces gens voient [dans les dirigeants du FPI] des concitoyens qui ont tué leurs parents. Il y a eu pendant cette période plus de 3 000 morts, jamais de regret exprimé, et jamais de repentance. J’ai demandé une enquête et les responsables seront sanctionnés.

L’un des éléments de la réconciliation, c’est l’instauration d’une justice équitable ?

Oui. Pour cela, j’ai installé la commission Dialogue, vérité et réconciliation qui doit amener les uns et les autres à dire leur part de vérité. Parallèlement, il y a d’ores et déjà eu une série d’inculpations pour les responsables d’exactions commises pendant la crise post-électorale. Enfin, je viens de mettre en place une commission nationale d’enquête qui a commencé ses travaux. Il ne peut y avoir de discrimination entre les criminels. Ceux qui ont tué, de quelque bord qu’ils soient, seront jugés et feront l’objet de sanctions. Ce n’est pas une question d’opposition ou de parti au pouvoir.

Il y a une grande impatience dans la population. A quand les premiers procès ?

Cette dernière commission devrait terminer son travail à Abidjan fin janvier et se déplacer ensuite dans l’ouest du pays, là où il y a eu les plus grosses violences. Elle fera ensuite son rapport. Des procès seront engagés. Il n’y aura aucune discrimination, aucun favoritisme, pas d’acharnement non plus à l’égard de qui que ce soit. Le drame de ce pays a été l’impunité. Je veux y mettre fin. C’est par une justice équitable que nous y parviendrons. Nous mettons en place notre justice de manière beaucoup plus rapide que je ne l’avais imaginé. Bientôt, la justice ivoirienne sera en mesure de prendre tous ces dossiers en main. La Cour pénale internationale continue tant que la justice ivoirienne n’a pas les moyens de juger. Nous préférons bien sûr juger les uns et les autres ici, en Côte d’Ivoire. Il ne faut pas que les proches des victimes attendent trop longtemps, il y a un besoin de réparations.

Comment faire rentrer les militaires qui vous ont soutenu (les FRCI) dans les casernes ?

Nous avons déjà suspendu près de cinq cents militaires et il ne s’agit pas que d’anciens membres de l’armée de Laurent Gbagbo. Ce n’est pas une justice des vainqueurs. Nous sommes sans pitié vis-à-vis de toutes les violations des droits de l’homme, de tous les vols, et L’intégration [avec les ex-forces armées] a eu lieu. Il y a eu des nominations à tous les niveaux. Au départ, entre les deux groupes armés, il y avait bien sûr des problèmes. Le matin, au moment de l’exercice physique, ils s’insultaient, il y avait des bagarres. On a aussi connu des débordements avec les jeunes qu’on appelle les associés, ceux qui se sont joints à la bataille d’Abidjan. Cela représente 25 000 à 30 000 personnes. Nous en démobilisons un certain nombre. D’autres demandent à être recrutés dans l’armée. Nous mettons en place une réforme de l’armée. Tout cela prend du temps. Les gens oublient que ce pays était en guerre en avril. Cela ne fait pas un an. Le premier ministre était il y a peu de temps au Rwanda, le président Kagamé lui a dit : « Ce que vous avez fait en six mois, nous, cela nous a pris trois ans. » On va y arriver, je suis très confiant.

La question de la nationalité est dans le pays un sujet sensible. Avez-vous l’intention de l’aborder rapidement ?

Absolument. C’est un dossier qui sera traité par l’Assemblée nationale dès qu’elle pourra commencer ses travaux. Il faut qu’on en finisse avec ce problème, qui a pollué notre environnement et divisé la population. Je souhaite un débat sain. On ne peut pas continuer de considérer que le nom de quelqu’un détermine sa nationalité. Nous allons reprendre l’identification des populations et la compléter. Il y a 5,7 millions de personnes avec une carte d’identité. Il y a à peu près un million à ajouter. On ne va pas donner la nationalité à n’importe qui mais ceux qui y ont droit doivent l’avoir.

Vous aviez promis à votre allié, le parti du président Bédié, le poste de premier ministre. La promesse tient-elle toujours ?

A l’issue des élections législatives de décembre qui se sont très bien déroulées, mon parti, le RDR, dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le président de l’Assemblée sera donc issu du RDR. Quant au poste de premier ministre, le président Bédié et moi-même allons en reparler. Guillaume Soro [actuel premier ministre] fait du très bon travail. C’est un excellent premier ministre, nous allons voir ce qui est dans l’intérêt du pays et prendre les décisions appropriées.

La meilleure arme de la réconciliation, c’est la reconstruction, dites-vous. Vous avez promis un million d’emplois en cinq ans. Comment comptez-vous y parvenir ?

Au cours des dix dernières années, notre pays a été totalement dévasté. L’investissement avait fortement chuté, sauf pour les achats d’armes. L’environnement avait été ravagé. Le pays s’était fermé aux échanges extérieurs. La corruption était générale. Nous sommes arrivés après cette crise meurtrière. Il nous fallait sortir le pays de ses profondeurs. J’ai toujours estimé que la réconciliation passait aussi par la reconstruction. C’est pour cela que nous avons mis en place, alors que j’étais encore à l’Hôtel du Golf, un programme présidentiel d’urgence de manière à rétablir l’eau, l’électricité, l’accès aux soins et aux médicaments, etc. Nous avons été aidés, sur le plan financier, par des pays amis et les organisations internationales. La France par exemple nous a apporté un soutien de 400 millions d’euros fin avril, ce qui nous a permis de payer les mois d’arriérés de salaire des fonctionnaires. Nous avons pu faire redémarrer la machine économique. Nous sommes très reconnaissants à tous ceux qui nous ont aidés. Maintenant, nous devons mettre en œuvre une vraie politique de développement.

Votre ambition, c’est un nouveau « miracle économique ivoirien » ?

Je souhaite que la Côte d’Ivoire, elle en a les moyens, rejoigne rapidement la famille des pays émergents. Notre objectif, c’est de parvenir d’ici à 2020 à un doublement du PIB par an et par habitant, de le porter à 2 500 dollars. Cela est parfaitement possible. Il faut que rapidement nous ayons une croissance à deux chiffres. L’an dernier, la chute de la production a pu être limitée à 5 %. Dès cette année, malgré la crise mondiale, nous espérons une croissance de 8 à 9 %. Nous allons pour cela développer massivement les infrastructures (routes et autoroutes notamment) et accroître nos capacités de production d’électricité pour devenir un fournisseur important dans la région. Nous allons aussi soutenir le secteur agricole.

La réforme de la filière café-cacao est l’une des conditions que le Fonds monétaire international (FMI) a posée à son aide ?

Elle est faite. J’ai signé vendredi le décret mettant en place la nouvelle structure (le Conseil Café-Cacao). Dès le 1er octobre 2012, les paysans bénéficieront d’un prix fixe garanti représentant environ 60 % du prix mondial, au lieu des 25 % qu’ils perçoivent en réalité actuellement. Le pétrole et les mines vont aussi contribuer davantage au PIB et aux recettes fiscales du pays. Nous espérons tripler celles-ci, notamment en luttant contre la corruption. Nous intenterons des procès pour que l’argent volé retourne dans les caisses de l’Etat. Dans les secteurs agricole, de l’énergie et de l’exploitation pétrolière, nous avons donc réalisé les réformes demandées par le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement pour atteindre le point d’achèvement du programme pour les pays pauvres très endettés. Ceci conduira à un allègement de 6 milliards de dollars de la dette extérieure de la Côte d‘Ivoire. Cet allègement devrait nous permettre de dégager des ressources pour des actions dans le domaine social. La Côte d’Ivoire a fait ce qu’elle devait faire. Il n’y a plus de raison d’attendre, ce serait vraiment injuste. J’en parlerai jeudi au président Sarkozy.

Vous serez effectivement cette semaine à Paris. Quelles seront les sujets à l’ordre du jour de cette visite d’Etat ?

Les relations entre nos deux pays sont excellentes. Il n’y a aucun nuage. Je viens ainsi d’abord remercier le président Sarkozy et son gouvernement pour l’intervention menée en avril sous mandat des Nations unies. Sans elle, il y aurait eu en Côte d’Ivoire un génocide pire qu’au Rwanda. Abidjan, c’est six millions d’habitants. Tel que c’était parti, on aurait pu avoir un million de personnes assassinées. L’intervention française a été opportune et décisive. Elle a sauvé de nombreuses vies humaines.

De nouveaux accords de défense doivent être signés, prévoyant le maintien de forces françaises armées en Côte d’Ivoire. En êtes-vous satisfait ?

La Côte d’Ivoire est désormais un pays démocratique. Nous n’avons pas besoin de clauses secrètes. Nous souhaitons un accord de partenariat ambitieux et transparent. La France doit rester dans notre pays plus longtemps et de manière plus substantielle. Je comprends bien sûr les contraintes budgétaires qui pèsent sur ses finances. Mais Paris doit bien prendre en compte la fragilisation de l’Afrique du Nord. Il est important que nous ayons une coopération plus forte en matière d’équipement et de formation mais aussi dans le renseignement et dans la lutte contre le terrorisme. La France devrait investir plus dans ces domaines.

Vous souhaitez diversifier vos échanges économiques. Cela risque de se faire aux dépens de la France, le premier partenaire de la Côte d’Ivoire ?

Non. La France demeure notre partenaire privilégié. Je lancerai, vendredi, au Medef un appel aux entreprises françaises pour les inciter à accélérer leur retour en Côte d’Ivoire. Les entreprises des autres pays reviennent au galop, pas les sociétés françaises et je le regrette. La crise post-électorale est derrière nous. Sur un certain nombre de grands projets, les entreprises françaises ne sont souvent pas les premières à se manifester. Nous évoquerons aussi la question de l’obtention des visas. Cette question a créé un problème de perception du gouvernement français en Afrique, il faut regarder cela de près. C’est une affaire française. Mais entre amis, on peut se faire des suggestions.

Pendant votre visite à Paris, aurez-vous des contacts avec le PS ?

J’ai beaucoup d’amis au PS mais je suis l’invité du chef de l’Etat et je suivrai le programme établi par les autorités françaises. Je n’aurai donc pas d’entretiens bilatéraux avec des chefs d’entreprise ou des hommes politiques. J’aurai d’autres occasions de les rencontrer.

Votre amitié avec Nicolas Sarkozy ne risque-t-elle pas d’être un handicap en cas de victoire de François Hollande à la présidentielle ?

Nicolas Sarkozy est bien mon ami. Les relations, d’Etat à Etat, sont au-dessus des amitiés personnelles. D’ailleurs, quand Laurent Gbagbo a commencé à se dévoyer, le PS a pris ses distances avec lui. Je ne me mêle pas des affaires politiques françaises.
Propos recueillis par Erik Izraelewicz et Jean-Philippe Rémy

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