André Silver Konan (journaliste-écrivain): « Le FPI montre qu’il demeure une force politique avec laquelle il faut compter »

André Silver Konan est journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de plusieurs pays d’Afrique de l’ouest, dont la Côte d’Ivoire, son pays. Il est aussi écrivain, son deuxième livre, « Raison d’Etat », sorti en octobre 2011, fait partie des meilleures ventes en librairie. Dans cet entretien, ce journaliste, témoin de l’actualité politique de son pays, nous parle en toute indépendance et sans compromissions, de la situation politique en Côte d’Ivoire, de l’avenir du FPI, de la responsabilité de la presse dans la crise ivoirienne…des Eléphants.

En ce début d’année 2012, quelle est votre appréciation de l’évolution de la situation politique en Côte d’Ivoire ?

La situation politique a sensiblement évolué depuis la débâcle de Laurent Gbagbo. D’un côté, on a le RHDP, la mouvance présidentielle, amenée par le RDR, le parti présidentiel et le PDCI, le parti de Bédié. Cette mouvance, en dépit de quelques grognes internes au PDCI et des coups de gueule sans réelle portée d’Anaky Kobena, président du MFA ; n’a pas explosé, comme certains analystes le prévoyaient. Je crois qu’elle ne va pas exploser durant ces quatre prochaines années. On est même parti pour que Ouattara soit le candidat unique de cette mouvance à la prochaine présidentielle de 2015-2016, face à un Gbagbo, qui pourrait être désigné, même à La Haye, par le FPI, comme son candidat. Bien sûr, on n’en est pas là, pour l’heure. De l’autre côté, on a une opposition qui commence à se décliner entre radicaux et modérés, avec des courants toutefois dans chaque camp. L’opposition radicale est regroupée au sein du CNRD, dont la tête de pont reste le FPI de Laurent Gbagbo. Au sein de cette opposition radicale, il y a ceux qui disent ouvertement (ils sont pour la plupart en exil au Ghana) qu’il faut renverser par les armes, le pouvoir d’Alassane Ouattara et il y a les tenants de l’option démocratique, par des actions vigoureuses mais légales, en atteste le boycott des législatives. Au sein de l’opposition modérée, il y a aussi deux courants. Celui conduit par Mamadou Koulibaly, plus convaincu et plus posé et celui conduit par Gervais Coulibaly, plus opportuniste et moins clair dans sa ligne politique. En somme, on assiste à une réelle bipolarisation de la vie politique en Côte d’Ivoire, avec des complexités qui pourraient certainement évoluer au cours de l’année.

Vous aviez récemment affirmé sur votre page facebook que « le RDR a fait du tribalisme son combat politique de ces dernières années », comment appréhendez-vous les nominations du Président Ouattara à la tête des structures étatiques ?

Vous ne me citez pas bien et ce n’est pas ce qui était écrit sur ma page facebook. La phrase exacte, elle-même tirée d’une interview que m’a accordée Ivoiremedia, est : « Le RDR a trop dénoncé les maux tels le tribalisme et l’exclusion dont il a du reste souffert, pour tomber dans le même jeu du tribalisme et de l’exclusion ». Pour le reste, je suis mal placé pour « appréhender » les nominations du Président Ouattara, à la tête des structures étatiques. Il nomme qui il veut à la place qu’il veut, c’est son droit constitutionnel.

Revenons au FPI. Ce parti peut-il selon vous rebondir après la tragédie qu’il a vécu en 2011 ?

Le FPI est déjà un parti fort. Il a lancé un mot d’ordre de boycott des législatives, qui a été massivement respecté, dans ses fiefs électoraux. Le samedi 21 janvier, il a organisé sa rentrée politique à Yopougon et personnellement, j’ai vu les images de ce rassemblement, qui a d’ailleurs été prématurément dispersé par des partisans présumés du pouvoir, prompts à réagir de façon totalement inconséquente, voire violente. Le FPI montre qu’il demeure une force politique avec laquelle il faut compter. Pour le reste, s’il veut revenir au pouvoir, il a intérêt à revoir sa stratégie dominante qui est l’intransigeance.

Votre commentaire sur le cas Mamadou Koulibaly. Est-il devenu un épiphénomène dans le paysage politique ivoirien après sa défaite aux dernières législatives?
Mamadou Koulibaly aura du mal à rebondir, pour reprendre votre expression. Il reste une force de contre-proposition et une voix forte, écoutée surtout à l’international, mais sur le plan national, son parti risque de devenir comme le PIT de Francis Wodié, c’est-à-dire une formation d’intellectuels, qui a du mal à avoir une assise politique. Koulibaly savait qu’il jouait gros en prenant la décision de sortir du FPI. Il a joué et a perdu. Figurez-vous, il est rare de voir le président, fut-il par intérim, d’un parti politique, démissionner de ce parti, pour aller créer son propre parti. C’est bien ce qu’a fait le président sortant de l’assemblée nationale, fidèle à sa réputation d’homme des antagonismes : un ultralibéral mais socialiste, un partisan de la fin du CFA mais qui n’a jamais pris d’initiative dans ce sens à l’assemblée nationale, un homme qui voyait que Gbagbo s’enfonçait droit dans le mur, mais s’est contenté de se retirer à Accra, pour en revenir, faire allégeance à Ouattara, mais en bras de chemise…

Quel est selon vous l’agenda politique ivoirienne de l’année 2012 après la visite de Hilary Clinton?

Je n’en sais strictement rien. Je ne suis pas dans le secret des dieux et je ne souhaite pas y être dans tous les cas (rires).

Quel a été l’impact de la presse (ivoirienne et internationale) dans la dégradation de la situation politique ivoirienne?

Cette question me plait. Ma position là-dessus est très claire. La presse internationale n’a rien à voir dans la dégradation de la situation politique ivoirienne. Cela a toujours été ma position, même quand je travaillais pour le compte d’une publication ivoirienne. Les archives d’interviews passées peuvent être consultées dans ce sens. La presse internationale fait son travail. Elle récolte des informations, enregistre des sons, prend des images, destinés à un public, généralement international. Ce qui fait que cette presse est obligée de rendre simples, des situations difficiles à comprendre par des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs, qui ne suivent pas toujours l’actualité ivoirienne. Cette situation fait que la presse internationale développe souvent des clichés, fait des analyses caricaturales. Les journalistes ivoiriens font de même quand ils vont couvrir l’actualité dans d’autres pays. C’est la règle de la concision pour un public non expert. Par contre, certains journaux et journalistes ivoiriens ont une réelle part de responsabilité dans la crise. Cela tient au fait que certains journalistes sont carrément des militants politiques, quand les promoteurs des journaux ou les dirigeants des médias publics eux-mêmes ne le sont pas. Très peu, parmi cette espèce de journalistes politiciens, prennent la peine de vérifier leurs informations avant de les publier. Et comme notre peuple est « titrologue », alors bonjour les rumeurs, donc les dégâts. Il y a aussi que certains responsables de médias ne connaissent même pas les règles d’éthique, à fortiori faire respecter celles-ci à leurs collaborateurs. C’est aussi la faute au Conseil national de la presse (CNP) qui n’œuvre pas suffisamment, à mon sens, pour mettre les patrons de presse, face à leurs devoirs. Par ailleurs, les gouvernants de leurs côtés, ne font pas grand-chose pour amener la presse à revenir à ses fondamentaux, à savoir le respect du code de la déontologie et la recherche effrénée du professionnalisme. L’un des grands biens que les dirigeants feraient, pas seulement aux journalistes, mais à la démocratie, c’est de régler le problème de l’accès aux sources. Tel marché a été passé pour tel projet. Qui a raflé la mise ? A combien ? Comment la sélection a été faite ? Telle décision a été prise en faveur d’un groupe. Quelle est la teneur de cette décision ? Pourquoi une telle décision ? Qui en sont les bénéficiaires ? Tel budget est attribué à tel ministère. Comment est utilisé ce budget ? Le ministère est-il prêt à ouvrir ses livres comptables à un journaliste pour voir quel poste budgétaire a été ouvert pour quelle dépense ? Etc. Voyez-vous, en Afrique, les dirigeants (politiques, économiques, sociaux, financiers, diplomatiques, etc.) accusent les journalistes de diffuser des rumeurs, pourtant, ils ne sont pas encore disposés eux-mêmes, à œuvrer dans le sens de la transparence dans leur gestion quotidienne, et ferment, de ce fait, les accès aux sources, aux journalistes, qui malgré toute leur bonne foi, tout leur professionnalisme, sont souvent obligés d’user du conditionnel, donc de relayer des rumeurs. Une partie de la presse ivoirienne est donc responsable en partie de la situation politique délétère, les hommes politiques eux, sont totalement responsables du pourrissement de cette situation. Très souvent, le journaliste ne fait que relayer leurs phrases assassines, leurs citations dénuées de responsabilités et leurs mots d’ordre incendiaires. Et là-dessus, ma position est connue, n’en déplaise au CNP : la faute n’est pas au journaliste qui relaie la phrase assassine, mais à celui qui prononce cette phrase assassine.

Un mot sur la participation ivoirienne à la CAN 2012. Les éléphants gardent-ils intact leur chance de remporter la coupe?

En début d’année, dans mes prévisions 2012, j’ai pronostiqué la victoire des Eléphants lors de cette CAN. Vingt ans après Sénégal 92, je crois que les conditions sont réunies pour une deuxième coupe pour les Eléphants. Mais en même temps, s’ils nous déçoivent, comptez sur moi, pour ne pas être parmi ceux qui vont dresser une bâche pour aller pleurer à Ficgayo (rires).

Interview réalisée par Alex Fullone
Source : abidjanlivenews.com

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