Par DOUA GOULY – Grand Reporter Fraternité Matin
Usé par le temps, miné par des divisions internes et affaibli par le manque d’un leader charismatique, le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) s’est mué, au fil du temps, en bandes armées incontrôlables. Ce mouvement dont la naissance a suscité beaucoup d’espoir chez les populations du sud du Sénégal, parce qu’il réclamait l’indépendance de cette région, inquiète désormais, à la fois les Casamançais et l’armée sénégalaise.
Tout a commencé le 26 décembre 1982. Le jour où le Mouvement des forces démocratiques de Casamance, mouvement séparatiste, organise une marche pacifique à Ziguinchor. Les manifestants, une fois sur place, décident alors de descendre le drapeau sénégalais, hissé chez le gouvernorat sénégalais, en Casamance, pour le remplacer par leur drapeau.
L’État du Sénégal ne tolérant pas cet acte considéré comme séditieux, la marche est réprimée dans le sang. Plusieurs personnes, dont le leader des indépendantistes, l’abbé Diamacoune Senghor sont arrêtées. Le Mfdc décide alors de prendre le maquis.
Depuis lors, la région est en proie à des représailles des indépendantistes et de l’armée. Jean est chauffeur de taxi à Ziguinchor. Il ne veut plus entendre parler du Mfdc. L’homme, la quarantaine révolue, a tout perdu, il y a deux ans, lors d’une attaque d’un véhicule de transport entre Bignona et Ziguinchor. «Je partais à Ziguinchor pour les fêtes de fin d’année. Nous avons été braqués en pleine journée par des éléments du Mfdc. Ils nous ont dépouillés de tous nos biens», se rappelle-t-il encore comme si c’était hier. Depuis lors, l’homme s’est résigné à bannir une quelconque idée de soutien aux indépendantistes casamançais, bien qu’il soit de la région.
Dans la capitale régionale, tous les voyageurs retiennent leur souffle, dès qu’ils prennent les routes qui mènent vers Bignona, la seule sortie vers la Gambie et Dakar. «On ne sait plus si cette rébellion a été créée contre les populations», renchérit un gérant de bar à Ziguinchor. Qui ajoute: «Notre région vit les affres d’une situation de ni paix ni guerre qui empoisonne notre existence».
La rébellion casamançaise, selon plusieurs sources contactées sur place à Ziguinchor, a commencé dès l’indépendance du Sénégal. Des Casamançais, notamment ceux de la communauté diola (l’ethnie majoritaire sur ce territoire) souhaitaient ardemment être autonomes.
«Nous les casamançais, sommes, en général, animistes dans un Sénégal très islamisé», explique Djatta Fulgence, étudiant à l’université de Ziguinchor. Il poursuit: «Notre peuple est marqué aussi par une grande détermination. Il a rejeté l’esclavage, tant européen qu’africain, et s’était rebellé contre les tentatives de mainmise de l’administration coloniale française».
Par ailleurs, l’enclave gambienne dans le territoire national faisait ressentir aux Casamançais avec d’autant plus d’acuité leur position marginale. En effet, pour se rendre à Dakar, ils sont obligés de transiter par la Gambie. Ils se soumettent donc à quatre reprises aux formalités de police (immigration). Pire. A Dakar, les Casamançais sont occupés, en grande partie, par des tâches de basses classes.
«Nos parents se sont davantage sentis marginalisés quand les musulmans sont arrivés par grandes vagues, à cause de la richesse de notre région. Nos sœurs servent de filles de ménage à Dakar. Les jeunes sont utilisés comme vigiles. Malgré celà, si rester rattachés au Sénégal nous évite la psychose dans laquelle nous vivons, il vaut mieux l’accepter», soutient Djatta Fulgence.
DOUA GOULY
La mort, en janvier 2007, de l’abbé Diamacoune Senghor a laissé un grand vide au sein du Mouvement des forces démocratiques de Casamance.La branche armée du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) est divisée aujourd’hui en deux grands groupes. L’un opère sur le front dit Nord, à la frontière de la Gambie, et l’autre, sur le front Sud, adossé à la République de la Guinée-Bissau. Le premier, tenu par Salif Sadio, est le plus important et le plus actif ces derniers temps. Les attaques dans le département de Bignona (le plus grand département de la Casamance) en décembre dernier sont de son fait.
«Depuis six mois, nous inquiétons les militaires sénégalais. Nos hommes multiplient les attaques contre les cantonnements de l’armée dans le département de Bignona». Celui qui tient ces propos est un fidèle combattant de Salif Sadio. Il se présente sous le nom de guerre de Diatta le Lion. Il est sorti du maquis le dimanche 18 décembre 2011. «Nous avons appris depuis Dakar qu’un journaliste ivoirien voulait nous rencontrer. C’est moi qui ai été choisi par le chef Salif Sadio pour cette rencontre. Je suis à vous», ajoute Diatta le Lion. Puis, il précise : «Je suis un combattant. Le chef m’a choisi juste parce qu’il ne rencontre plus les gens n’importe comment. Il n’a plus confiance en personne. Il demande toujours qui est derrière ceux qui veulent le voir».
Salif Sadio, maître
du front nord
La rencontre a eu lieu dans un grand hôtel de Ziguinchor. Loin de tous les regards. Et Diatta le Lion a parlé. Il a commencé d’abord donner le parcours de Salif Sadio. Qui s’est signalé, début 2004, sur le front Sud, à la frontière de la Guinée- Bissau. Très vite, il est rentré en conflit avec ses camarades du maquis. «Nous avons été infiltrés. Et l’armée bissau-guinéenne a failli éliminer Salif Sadio avec la complicité de ses frères d’armes», souligne Diatta.
Le combattant le plus en vue en ce moment vise, selon son lieutenant, un seul idéal. L’indépendance de la Casamance. «C’est une mission qui a amené Kamougué Diatta en Gambie où il a été pris», poursuit Diatta le Lion.
En avril 2006, Salif Sadio a fui son quartier général de Baraka-Mandioka, une localité située à cheval sur la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau. Il y a été délogé après un mois d’intenses combats avec les forces armées bissau-guinéennes, sur instruction du Président João Bernardo Vieira, dit Niño. En effet, le Chef de l’Etat bissau-guinéen prenait ainsi sa revanche sur Salif Sadio qui, en 1999, avait militairement soutenu son «tombeur», le général bissau-guinéen Ansumane Mané, mort en novembre 2000, au cours d’une tentative de putsch contre le Président Kumba Yala.
Et à la mort de Mané, Salif, affaibli par les divisions internes du maquis, devient orphelin et se lance dans une politique de terre brûlée avec de multiples exactions sur les routes de la Casamance.
C’est dans ce contexte qu’en 2000, Me Abdoulaye Wade arrive au pouvoir et promet de résoudre la crise «en trois mois». Un pari qu’il ne gagnera pas.
Parti du front Sud, Salif Sadio regagne le Nord où des hommes de Kamougué lui ont fait allégeance. Pas tous. D’autres sont restés fidèles à Magne Diembé, un autre chef de guerre casamançais. L’armée sénégalaise se redéploie très rapidement aux trousses de Salif Sadio. En sollicitant le soutien des hommes de Magne Diémé allié à César Atoute Badiat qui, également, évolue au Sud. «L’armée sénégalaise ayant appris notre mouvement a prétexté la sécurisation des populations des arrondissements de Sindian et Diouloulou. En réalité, elle est venue s’allier avec ceux qui nous combattaient dans la zone», assure Diatta.
Selon lui, les deux groupes du front Nord ne s’entendent pas. Il leur arrive de se tirer dessus. La grande difficulté, aujourd’hui, serait la réunification des forces. «Si nous arrivons à cette réunification, ce sera fini. Mais nous sommes freinés par l’orgueil des chefs. Ousmane Niatang veut être le chef d’état-major. Quand César Atoute Badiat a créé sa branche, il s’est autoproclamé chef d’état- major du maquis. Or quand le fondateur du maquis, Sidy Badji, est parti, Salif était le chef d’état-major. Kamougué était le commandant du front Nord. Tous répondaient de Sidy Badji. Nous souffrons de l’orgueil de nos chefs», regrette Kamougué Diatta.
La division ne se vit pas seulement qu’au maquis. L’aile politique du mouvement est également scindée en deux groupes. Jean-Marie Biagui qui a été nommé secrétaire général du mouvement, lors des assises de Bajul de 1999, et Mamadou N. Sané revendiquent chacun ce poste.
«Je suis le premier responsable politique du Mfdc jusqu’à ce jour», indique Jean-Marie Biagui. Cependant, il reconnaît tout de même l’existence d’une fronde contre lui. «C’est évident, avoue-t-il, dans toute structure, le responsable n’a pas que des fans. En interne comme en externe, il y a certainement des gens qui sont réfractaires à l’idée même que Biagui puisse être le secrétaire général du Mfdc. C’est naturel. Mais il n’empêche qu’officiellement, bien avant la mort de l’Abbé Diamancoune Senghor, il n’y avait qu’un seul leader politique du Mfdc. Et il s’appelle Jean-Marie François Biagui».
D’ailleurs, répondant, le 31 décembre 2011, à un communiqué de presse du Cercle des universitaires et intellectuels du Mfdc basé en Allemagne qui «s’est réjoui» quand, le 28 décembre 2011, l’armée a reconnu que le Mfdc a pris 6 prisonniers de guerre dans ses rangs, Jean-Marie Biagui a estimé que «la seule volonté d’absurdité doublée de lâcheté en Casamance a un nom».
«Cette absurdité personnifiée, c’est Docteur Apakena Diémé qui s’exalte, sans retenue et revendique, avec triomphe les derniers attentats perpétrés contre les positions de l’armée nationale à Kabeum et à Diégoune… Il jubile, crie son triomphe. Et tant pis si la mort qu’il fait semer ça et là va faucher deux lycéens à Diégoune», écrit Jean-Marie Biagui dans son message de vœux de nouvel an.
Bien avant ces échanges par médias interposés, Jean-Marie Biagui a donné le ton à l’issue «des états généraux» du processus de paix en Casamance qu’il a organisés les 17 et 18 décembre 2011 à Ziguinchor. Des assises dont l’une des résolutions «recommande au secrétaire général du Mfdc d’entreprendre toutes les démarches permettant de créer les conditions du dépôt immédiat des armes de tous les belligérants pour s’inscrire dans une vraie dynamique de dialogue, de réconciliation et de paix».
Jean-Marie Biagui :
“ le peuple ne veut
plus la guerre ”
Cependant, la grande curiosité des assises de Ziguinchor a été l’absence des combattants du maquis. Et justement Diatta le Lion de dire à ce propos: «Jean-Marie Biagui a faim. Il veut que Wade continue de lui verser la pension alimentaire qu’il percevait par le passé».
Jean-Marie Biagui, lui, soutient le contraire. «Si c’était par intérêt, je ne ferais pas ici en Casamance. Je viens de Lyon, en France, où je vis depuis 23 ans. Si c’était pour de l’argent, je serais resté là-bas. Certains pensent que j’ai été acheté. Non. Biagui est l’opposant de Wade le plus libre». Il se veut plutôt partisan de la paix. «L’adversaire du pouvoir central, en termes de dangerosité politique, c’est bien Biagui. Si mon objectif était de faire la guerre, je pouvais m’organiser plus efficacement de Lyon. Je suis venu affronter l’adversité sur le terrain politique, à proximité des uns et des autres», dit-il.
Docteur Apakena Diémé qui, lui, parle au nom du Cercle des universitaires et intellectuels du Mfdc balaie du revers de la main toutes ces déclarations. «Jean-Marie Biagui a fait son choix depuis 1995. Il a décidé de collaborer avec l’ennemi. Naturellement, il n’a plus rien à faire dans notre mouvement séparatiste», révèle-t-il.
Selon Dr Apakena Diémé, le Mfdc reproche à Biagui «d’être au service du gouvernement du Sénégal».
Dr Apakena : “ Biagui
nous a infiltrés ”
«Sa mission, souligne le représentant des universitaires et intellectuels, est de nous infiltrer. Biagui a beaucoup contribué à l’installation de la guerre en Casamance».
Les camarades de Biagui estiment qu’il a abandonné l’idéologie nationaliste et indépendantiste. Qu’il se serait coupé du maquis. «J’ai des hommes sur le terrain, contrairement à ce que pensent les autres. Et je suis en contact permanent avec eux», leur rétorque Biagui. Qui précise: «Biagui ne veut plus de guerre. Il ne fait rien pour avoir un réseau de maquisards à sa cause pour faire la guerre. Tous ceux qui n’ont pas rompu avec cette logique ne font pas partie du Mfdc que j’incarne». Il soutient que le peuple ne veut plus la guerre. Continuer dans cette logique équivaut à «un acte de banditisme». «Le peuple nous l’a dit de façon claire et nette. Il ne veut plus l’indépendance de la Casamance. Alors, en tant que responsable politique, qu’est-ce que je fais», interroge-t-il.
Réponse de Docteur Apakena Diémé: «Notre population se prononcera un jour de façon formelle et là, on pourra objectivement dire s’il est contre nous ou pas. Si le cessez-le-feu est signé, cela impliquerait une certaine sécurité, condition de toute vie politique, alors on verra bien si notre peuple est favorable ou pas à l’autodétermination.
Néanmoins ce sur quoi ces différentes factions du Mfdc sont d’accord, c’est leur opposition à Me Abdoulaye Wade, Chef de l’Etat sénégalais. En dépit de leur division visible, tous ceux qui se réclament du Mfdc ont un point commun. Leur opposition au gouvernement du Sénégal. Particulièrement à Me Abdoulaye Wade, le Chef de l’Etat. Selon Diatta le Lion, le Président Wade a «décidé de faire table rase des acquis» de son prédécesseur, Abdou Diouf. «Il y avait la Mission d’observation des cessez-le-feu et des accords de paix qui regroupait les militaires sénégalais, le Mfdc, les militaires gambiens et bissau-guinéens. Cette organisation devait résoudre les problèmes. Wade a fait table rase de tout ça en faisant comprendre à la communauté nationale et internationale que le problème de la Casamance est réglé. Il a corrompu certains comme César Atoute Badiat et ses éléments, mais ça ne marche pas. Parce qu’il ne peut pas acheter tout le monde en même temps», indique-t-il.Pour Docteur Apakena Diémé, le problème, c’est la tactique de la guerre de l’usure choisie par Me Wade. «Il mise sur notre capitulation. Pour cela, le Sénégal se cache derrière son petit doigt, en disant au monde
«vous voyez, nous n’avons pas de problème, nous sommes un pays de paix», alors que le monde le voit tout nu. Et donc «ne venez pas à notre secours, car nous n’avons pas de problème comme la Côte d’Ivoire ou les autres africains», s’indigne-t-il.
Même son de cloche avec Jean-Marie Biagui qui dit: «Moi, j’ai déjà fait le deuil de Wade en ce qui concerne la Casamance. Tout a été mis en œuvre pour détruire la Casamance. S’il n’y avait pas le Mfdc, il serait parvenu. Nous avons la faiblesse d’espérer que le prochain Président ramènera la paix en Casamance».
Nos tentatives d’avoir le point de vue du gouvernement sénégalais dans la gestion actuelle de cette crise sont restées vaines. En effet, M. Abdoulaye Baldé, ministre d’Etat, ministre de l’Industrie et maire de Ziguinchor, n’a jamais pu se dégager pour honorer les rendez-vous sollicités.
D’ici là, la guéguerre continue entre les deux groupes. Les souffrances des populations aussi.
DOUA GOULY
Fraternité Matin
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