L’AUTEUR Venance Konan
Abidjan crise post-électorale dialogue Grand-Bassam paix politique réconciliation société
Il est toujours très intéressant d’avoir le regard de personnes étrangères sur sa propre situation. Ainsi, il y a quelques jours, j’ai dîné avec des amis tunisiens qui cherchent à investir en Côte d’Ivoire, du côté de Grand-Bassam (à l’est d’Abidjan). L’un d’eux, qui n’est pas dénué d’humour, m’a dit ceci:
«Je viens souvent dans votre pays depuis 2005. Et je peux témoigner du gros travail qui est fait depuis la fin de votre crise post-électorale. Je vois tout ce que votre chef de l’Etat fait pour remettre le pays en marche. Mais, lorsque l’on est à l’extérieur, les titres de vos journaux que l’on voit sur Internet donnent souvent le sentiment que le pays est toujours en guerre, ou tout au moins, pas encore en paix. Par ailleurs, le maître mot, ici, est la réconciliation. On n’entend que ce mot dans tous les discours; et il y a même une commission qui en est chargée. Or, lorsque l’on parle de réconciliation, cela veut dire qu’il y a au moins deux personnes ou groupes de personnes qui sont fâchées, antagonistes, qui s’affrontent ou sont sur le point de le faire. Cela non plus, n’est pas très rassurant pour ceux qui ont envie de venir investir dans votre pays. Alors, de grâce, réconciliez-vous, mais faites-le en silence.»
Ne plus se regarder en chiens de faïence
J’ai également échangé avec un confrère français qui revenait d’un reportage à Duékoué, cette ville qui a cruellement souffert de notre crise et où l’on a parlé de massacres de populations civiles. Voici ce qu’il m’a dit:
«J’ai eu l’impression, là-bas, que deux camps sont enfermés dans deux logiques inconciliables. Avec, d’un côté, les vaincus qui s’estiment victimes d’une grande injustice, et de l’autre, les vainqueurs, sûrs de leur victoire, et qui ne font aucun effort pour tendre la main aux autres, les regardent avec mépris et veulent tout s’accaparer. Ce sont deux groupes qui ne vivent pas ensemble, mais l’un à côté de l’autre.Tout le monde parle de la nécessité de se réconcilier, mais il suffit de gratter un peu pour que les masques tombent. Alors, tous les vieux démons de l’ivoirité, de l’autochtonie, de l’allochtonie et de la possession des terres resurgissent. Les populations autochtones estiment, à tort ou à raison —ce n’est pas à moi d’en juger—, qu’elles ont été massacrées, dépossédées de leurs terres par les allogènes, et justice ne leur a pas été rendue. Il est clair que la haine habite toujours les cœurs.
Il faudra autre chose que des mots pour guérir les blessures de ce côté-ci de votre pays. Il faudrait, peut-être, aussi que le pouvoir se résolve à attraper, au moins, un des auteurs des massacres qui ont eu lieu dans cette région et à l’envoyer à La Haye pour tenir compagnie à Gbagbo.»
Bien faire et ne pas braire
Ce confrère m’a aussi parlé des villages détruits, des personnes vivant dans des camps ou au Liberia, et qui ne peuvent rentrer chez elles parce qu’elles n’ont plus de maison. Et je me suis alors demandé si, dans l’optique de la réconciliation, l’État ne pourrait pas reconstruire les villages détruits, afin que ceux qui n’ont plus de toit puissent rentrer chez eux. Surtout qu’il ne s’agit pas de construire des villas, mais souvent de simples cases. Pourquoi, au nom de la solidarité, ne demanderait-on pas, par exemple, aux Ivoiriens d’apporter leur contribution pour la reconstruction de ces villages?
Cela pourrait se faire par le biais d’une émission télévisée comme ce fut le cas, il y a bien longtemps de cela, pour un village au nord, Poundjou, qui avait été ravagé par un incendie. Sans doute qu’un tel geste serait beaucoup plus parlant que les incantations sur la réconciliation dont nous sommes coutumiers, et mettrait du baume aux cœurs meurtris.
Si l’on devait situer géographiquement les lieux où la réconciliation est nécessaire, ce serait certainement dans les parties méridionale et occidentale de notre pays. C’est sans doute là que les vainqueurs devraient se montrer le moins arrogants. Il est vrai que les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo doivent avoir l’humilité de reconnaître, d’abord, que leur leader a bel et bien perdu l’élection présidentielle, mais aussi qu’il a failli plonger le pays dans une interminable et meurtrière guerre, et que ce n’est pas à eux que l’on doit demander de pardonner aux autres. Mais il est aussi vrai que lorsque l’on veut réellement la réconciliation, le vainqueur doit savoir également parler au vaincu, aller vers lui, lui tendre la main, l’aider à se relever et surtout ne pas chercher à l’humilier.
Venance Konan (Fraternité Matin)
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