2e partie – Sidiki BAKABA, comédien et réalisateur: « Il y a comme un déficit culturel qui menace la Côte d’Ivoire »

De notre envoyé spécial MODOU MAMOUNE FAYE lesoleil.sn

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Le comédien et réalisateur ivoirien, Sidiki Bakaba, 62 ans, a vu la mort de près. Le 11 avril 2011, jour de l’arrestation de Laurent Gbagbo, des soldats proches de Alassane Ouattara ont voulu l’exécuter. Il a été sauvé de justesse par des militaires français. La veille, un obus tiré par un hélicoptère de la Licorne a failli le réduire en bouillie. Au Festival de Tanger, il nous a raconté son incroyable odyssée. Voici la dernière partie de ce récit dont la première avait été publiée dans notre édition d’hier.

« Des soldats proches du président Alassane Ouattara ont voulu m’exécuter, tout simplement, parce que j’étais un ami de Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, malgré toutes les souffrances endurées, je n’en veux à personne. Des gens comme moi seront réhabilités quand il y aura une véritable démocratie en Côte d’Ivoire. Ce qui est arrivé à mon pays est dû, en grande partie, à un déficit au niveau culturel. Cela n’arrivera jamais à un pays comme le Sénégal. Et vous devez remercier le président Senghor d’avoir favorisé une politique culturelle qui a permis aux Sénégalais d’être ouverts sur l’extérieur et de débattre entre eux, en dépit de leurs différences. C’est la culture qui donne à un peuple la possibilité de grandir.

Les Ivoiriens sont allergiques à la culture et cela, c’est le président Houphouët Boigny qui l’a favorisé. Il ne voulait pas d’intellectuels qui réfléchissaient et qui pourraient contester son pouvoir. Sous son règne, et bien après sa mort, la culture a été mise de côté, marginalisée. Pendant que les autres se cultivaient, l’Ivoirien ne pensait qu’à s’amuser et à gagner de l’argent. Il pensait que le monde s’arrêtait à Abidjan. C’est comme si les politiques avaient peur des hommes de culture, de leurs idées et des débats contradictoires que cela pourrait susciter. Quand je dirigeais le Palais de la Culture, j’avais du mal à remplir la salle où, pourtant, on jouait des pièces classiques comme « La tragédie du roi Christophe » ou « L’exil d’Alboury ». Les conseillers du ministère et de nombreuses personnalités du pays préféraient sponsoriser des concours de beauté ou des spectacles de musique. Notre ciné club hebdomadaire parvenait, à peine, à rassembler 20 spectateurs, alors que l’entrée était gratuite !
C’est cette inculture qui explique, peut-être, des actes ignobles comme ces jeunes militaires des Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (proches de Ouattara, Ndr), qui sont allés braquer et piller la maison de l’écrivain Bernard Dadié, un homme de 90 ans qui s’est battu pour les indépendances africaines. Les soldats lui ont tout pris : ses biens, ses manuscrits, les bijoux de son épouse qui a failli mourir de crise cardiaque. C’est de l’inculture tout ça ! On ne doit pas toucher à un patrimoine mondial de la trempe de Dadié. Il y a eu des révolutions en France et un peu partout, mais certains symboles sacrés ont toujours été épargnés.

« On ne touche pas à un symbole comme Bernard Dadié »

La diversité de nos origines (il y a une soixantaine d’ethnies en Côte d’Ivoire) devrait être notre richesse, mais elle est devenue, malheureusement, notre faiblesse. Dès qu’un Ivoirien est en face d’une personne compétente qu’il considère comme un adversaire, son seul argument est de lui dire : « tu n’es pas Ivoirien ! ». Pourtant, la Côte d’Ivoire a toujours été une terre de rencontres, de brassages. Dans un quartier d’Abidjan comme Treichville, on se croirait à Colobane, en plein cœur de Dakar.
Aujourd’hui, on parle de réconciliation, mais je suis écarté de ce processus. Celui qui est chargé de cette réconciliation, Konan Banny, a fait appel à des personnalités comme le footballeur Drogba, les musiciens Alpha Blondy (fervent souteneur de Gbagbo avant de retourner sa veste au dernier moment), Tiken Jah Fakoly (toujours constant dans ses idées), mais a oublié des gens comme moi, sous prétexte que je suis un ami de l’ex-président. Je dis toujours que Gbagbo n’est pas un président qui est devenu un ami, mais un ami qui est devenu un président. Moi je ne renie jamais une amitié, d’autant plus qu’il est loin d’être le dictateur sanguinaire décrit par les médias occidentaux.
A Abidjan, certains commencent même à dire que je ne suis pas Ivoirien. Et il est dommage que l’entourage de Ouattara reprenne à son compte des idées et des concepts (l’ivoirité, Ndr) dont l’actuel président a été victime dans le passé. M. Ouattara doit proposer autre chose, au lieu de laisser les gens du Nord s’imposer partout comme s’ils étaient animés d’un désir de vengeance. Ce n’est pas avec une telle politique qui écarte une bonne partie du pays qu’on va régler les problèmes de la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, après ce que j’ai vécu, j’ai honte d’appartenir à la race des Africains, car ce n’est pas de cette Afrique-là dont j’ai rêvé durant mes années d’adolescence, lorsque le continent accédait à l’indépendance… L’Afrique risque de devenir un continent sans mémoire. Et le paradoxe est que c’est ma francité qui m’a sauvé la vie… »

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