Après plus de 10 ans de présence des casques bleus des NU en RDC, il est quasiment certain que la cartographie de tout le pays a été remise à jour grâce aux nouvelles technologies qui permettent de constituer une base de données complexes et complémentaires à la disposition des services occidentaux. Et la fameuse peur de voir le pays balkanisé n’est qu’une vue d’esprit car, pour les stratèges, c’est une étape techniquement franchie. Que nos dirigeants arrêtent de nous raconter des sornettes avec les fameux cinq chantiers dès lors que la sécurisation du territoire nationale, des populations et de leurs biens dépend du bon vouloir des services occidentaux.
En 2009, la CIA en collaboration avec vingt-cinq experts internationaux et le National Intelligence Council (Conseil national du renseignement américain) avait publié un rapport intitulé Mapping the Global Future in 2050 (Comment sera le monde en 2050). Dans ce document précieux, il y a une présentation de nombreux scénarios, stratégique principalement, qui est très intéressante et qui ouvre au débat notamment en ce qui concerne les réseaux du djihad dont cette conclusion : » D’ici 2025, la diffusion des technologies et des connaissances scientifiques mettra les moyens les plus dangereus du monde à la portée des terroristes alors en activité. […]. L’histoire suggère que le mouvement terroriste islamique mondial survivra à la disparition d’Al-Qaïda en tant que tel. Les efforts antiterroristes devront se concentrer sur les raisons d’être et les conditions d’apparition d’un éventuel successeur dans les dernières années de la vague terroriste islamique « .
Pour les régions des Grands Lacs et de l’Est africain, les services occidentaux (essentiellement américains) ont orienté leurs viseurs sur les rebelles islamistes somaliens El Shabab et leurs sous traitants parmi lesquels nous avons les ADF (Allied Democratic Forces) qui sont actuellement basés dans l’Est de la RDC (région de Rwenzori). L’insouciance et l’irresponsabilité des dirigeants congolais ont obligé les services occidentaux à circonscrire par eux-mêmes l’étendue de cette menace pour deux principales raisons : l’inefficacité de services congolais de renseignements et de sécurité et surtout l’implication des ADF dans les opérations commerciales florissantes sur l’axe Butembo-Beni-Kasindi. Pour ne pas éveiller l’attention des dirigeants congolais empêtrés dans une gestion magouilleuse du pays, les Occidentaux ont chargé une équipe des NU constituée d’experts en renseignements pour mener une enquête fouillée sur la structure et l’organisation des ADF, leurs sources de financements internes et externes, leur capacité de nuisance, leur localisation et les liens avec les populations locales. Afin de réussir ce travail, ces experts ont collaboré avec les services ougandais tout en interrogeant en privé certains officiers Fardc sur terrain, des commerçants congolais, certains cadres administratifs et des intellectuels de la région de Beni-Oicha-Mutwanga-Kamango-Kasindi. Probablement qu’ils ont dû éviter de traiter avec les services de renseignements congolais pour raisons d’efficacité et de discrétion.
Il y a un mois, le rapport final a été déposé au bureau du SG/NU et communiqué aux responsables ougandais dont certains extraits ont été récemment publiés dans le quotidien ougandais Red Pepper Vol. 11 n° 200 du 09/01/2012. Nous ne savons pas si les services de l’Ambassade de la RDC en Ouganda ont réellement percuter sur l’info en procédant à l’analyse de ces extraits (dont nous avons eu la chance de lire l’entièreté du document) mais il nous semble que le réseau des barbus est en train de s’incruster profondément à l’Est de la RD Congo en utilisant la fibre tribale pour un double objectif : profiter de la misère des populations pour reconvertir la jeunesse congolaise au djihadisme et ensuite injecter des sommes importantes dans le circuit commerciale de la région (or, café, bois et commerce général) en vue de fructifier/diversifier les sources de financement du mouvement rebelle.
Recrutement, financement et localisation de ces ADF
Au moment où l’armée congolaise par le biais du porte-parole de l’opération Rwenzori, le Col. Célestin Ngeleka, présente les ADF comme une rébellion en perte de vitesse et dont des éléments disparates sont continuellement traqués par les FARDC, le rapport des experts NU donne des détails sur l’organisation du mouvement, le mode de recrutement, l’origine des recrues, les capacités militaires de cette rébellion et sa localisation actuelle dans la région de Rwenzori à l’Est de la RD Congo.
Voici certains extraits intéressants que nous avons sélectionnés à ce sujet :
» Les ADF sont estimés à environ 1.000 combattants. Selon l’UPDF (armée ougandaise), en 2011, les rebelles ont recruté plus de 200 nouveaux combattants en RD Congo, en Ouganda, au Kenya, au Burundi, en Tanzanie ainsi que de réfugiés Somaliens dont la présence à été signalée à proximité de la localité de NZELUBE. Les ex-combattants reconvertis indiquent que les ADF disposent d’un important appui clandestin en Ouganda, qui facilite le recrutement. L’ONU a interviewé quatre dernières recrues ADF de l’Est de l’Ouganda, où il ya un terrain plus fertile parmi la population musulmane, historiquement favorables à l’opposition politique ougandaise. Ces combattants ont raconté avoir été introduits par les passeurs jusqu’aux environs des camps d’entraînement pour rejoindre plus de 70 autres nouvelles recrues. […] Il existe une cellule active des ADF à Goma, Nord Kivu, au sien de la Comico (Communauté Islamique de la RDC), qui facilite les déplacements des nouvelles recrues congolaises et burundaises vers ces camps. La même cellule de Goma reçoit des fonds importants qu’elle dispache chez des commerçants de la région pour fructifier. Goma constitue également une plaque tournante des activités des réseaux islamiques car c’est par cette ville que transitent certains responsables ADF dont le chef Jamil Mukulu (disposant d’une dizaine de passeports avec différents noms) pour atteindre leur base en RD Congo. Des sources ont indiqué qu’en RD Congo, le commandant opérationnel sur terrain est David Lukwango, secondé par le chef des renseignements Kisonkornye Benjamin. Le commandant congolais le plus haut gradé s’appelle Braida.
Les rebelles ADF ont cherché à garder des bonnes relations avec les communautés locales et ils n’ont jamais été impliqués dans le pillage des populations civiles. Selon des officiers FARDC déployés dans la localité de Bulongo, les ADF bénéficient d’une large popularité et de l’appui de près de la moitié des populations congolaises et ougandaises du territoire de Beni. Cela a facilité la création d’entreprises largement gérées par les collabos congolais de ces rebelles ougandais qui produisent des revenus mensuels à partager avec leurs sponsors ADF. Selon les agents du renseignement militaires congolais et les leaders locaux, les ADF sont propriétaires de beaucoup de motos, des camions, des pharmacies et des magasins qui fonctionnement pour leur compte dans les villes de Butembo, Beni et les localités d’Oicha, de Kasindi et d’Eringeti. Ils ont également investi énormément dans le business lucratif d’or de la localité de Kantine.
En 2011, deux individus, Donatien Kambale Manzame et Mbambu Sirimirwa Abigail, ont été arrêtés à Beni pour avoir facilité les transferts d’argent des ADF s’élevant à plus de $ 10.000 par mois, selon les sources bien informées. Des officiels ougandais et des ex-combattants ont témoigné auprès des enquêteurs de l’ONU que les transferts d’argent organisé par Jamil Mukulu passent actuellement par Kampala avec l’aide de hauts responsables de l’armée ougandaise et sont amenés par des passeurs à la frontière dans la région congolaise occupée par les ADF. Cette manne financière permet aux ADF de payer des salaires mensuels des combattants d’environ 100 $, selon les soldats ougandais et les ex-combattants interrogés par les enquêteurs de l’ONU. Les propriétaires de magasins ouverts dans les localités congolaises de Mutwanga et d’Oicha ont confirmé que les ADF utilisent très souvent des shillings ougandais et des billets de 100$ sur les marchés locaux.
D’après l’armée ougandaise, la localité congolaise de CHUCHUBO a remplacé NADUI comme nouveau quartier général des ADF dans le territoire de Beni. La localité de MWALIKA, au sud de la route principale menant de Beni à Kasindi, reste l’emplacement principal qui comporte le centre de formation des combattants ADF bien que certaines formations continuent à se dérouler à NADUI.
Profitant du processus de réorganisation des FARDC en régiments, les ADF sont devenus plus mobiles, changeant souvent de position au cours de 2011 et même cherchant à faire des incursions dans l’Ituri, ont révélé des sources FARDC.
Selon les ex-combattants ADF, cette rébellion détient un nombre important de grenades propulsées par roquette et des fusils AK-47 d’assaut. Ces ex-combattants ont informée les enquêteurs de l’ONU que la rébellion détient de stocks importants de munitions gardés dans chaque camp et distribués seulement avant les opérations d’attaques. L’armée ougandaise UPDF estime que les ADF disposent également des armes antiaériennes pour contrer les attaques possibles d’hélicoptères militaires. En outre, les mêmes sources UPDF ont confirmé les renseignements reçus par l’ONU à travers les dirigeants congolais de la région, que lorsque les ADF avaient repris des camps de NADUI et de MAKAYOVA en chassant les Forces armées de la RD Congo, ils avaient récupéré une grande quantité de munitions et d’armes, y compris de nombreux fusils, des mortiers 60mn et d’autres armes lourdes que les FARDC avaient abandonné dans leur fuite. Dans des cassettes vidéo des Fardc récupérées par les rebelles ADF à NADUIi, un système complexe de tunnels souterrains est visible; des officiers FARDC affirment qu’ils ont été utilisés pour les caches d’armes. Les rebelles ont aussi trouvé de nouveaux uniformes de camouflage FARDC, qui, selon les agents de renseignements civils, ont été achetés auprès des épouses des soldats UPDF. Des officiers FARDC qui sont arrivés au NADUI en 2010 y avaient découvert un héliport, même si des sources proches de l’armée ougandaise indiquent que cette piste n’a pas été utilisée pour fournir des armes et de munitions depuis 2009.
Selon la plupart des anciens combattants interrogés par l’ONU, l’objectif principal des ADF est de renverser le gouvernement de l’Ouganda en plaçant un musulman au pouvoir. Deux officiers qui avaient déserté les ADF au début de 2011 ont parlé d’établir le royaume RWEZURURU sous l’autorité du chef suprême des Nandes (RD Congo) et des Bakonjo (Ouganda), des tribus qui vivent près du mont Rwenzori et qui parlent la même langue. Pour leur part, les sources proches des UPDF ont soutenu que l’objectif visé par les ADF va au-delà des frontières ougandaises pour s’étendre sur toute la région de l’Afrique de l’Est.
L’intelligence géographique de l’Est de la RD Congo maitrisée par les services étrangers
Au-delà de ces éléments récoltés par les services de renseignements étrangers, ce qui nous a fortement intrigué c’est l’accaparement par ces services des connaissances physiques (relief et nature du terrain, volumes bâtis et forêts), humaines (habitudes, langues locales, hostilité ou appui des populations), économiques (circuits et types de business) bref ce que les initiés appellent le renseignement et intelligence géographique qui constitue actuellement les conditions indispensables à tout succès d’une opération militaire ou d’ordre public menée par l’armée d’un pays.
Pour permettre à nos compatriotes de réaliser à quel point la RD Congo n’est plus sécurisée, nous nous permettons d’éclairer brièvement l’opinion sur certains aspects importants du renseignement géographique opérationnel comme outil de maitrise de la sécurité du pays.
L’influence de la géographie dans une opération militaire et de maintien de la paix est décisive et sa connaissance constitue traditionnellement un avantage pour le commandement. Ce fait explique que la géographie au sens large est considérée par le stratège et le tacticien comme une forme de renseignement militaire. Ce n’est donc pas un fait du hasard que les armées des pays voisins ont, lors de l’avancée de l’AFDL en 1996, récupéré toute la cartographie de la RD Congo et obligé leur soldats à apprendre les langues nationales pour s’en servir au moment opportun.
En effet, l’un des aspects de l’intelligence géographique est le renseignement terrain indispensable pour rassembler des éléments sur les aspects physiques du pays en faisant ressortir les articulations d’ensemble concernant les principaux reliefs, les voies de communication naturelles, la nature du sol, etc… Ce travail est réalisé par les services de documentation géographique dans toute armée moderne dans la phase de planification opérationnelle en amont pour informer sur l’espace de la manœuvre ; dans la phase de déploiement, pour renseigner en permanence les états-majors sur les conditions du milieu physique et humain ; dans la phase de sortie de crise, au profit des affaires civilo-militaires. Vous comprendrez, chers compatriotes, que la géographie opérationnelle est une forme d’appui direct aux forces et exerce une fonction essentielle dans toute les phases d’une intervention puisque l’une de ses premières fonctions repose sur l’anticipation des besoins lors de la planification grâce à des études sur le milieu physique et humain.
Deux exemples pour mieux comprendre l’importance de l’intelligence géographique : l’opération Licorne, menée en Côte d’ivoire par l’armée française (2.500 hommes) depuis 2002 et qui a fini par emporter le régime Gbagbo. Les forces françaises ont dû rapidement reconnaître un terrain qui n’était pas cartographié récemment car les dernières cartes au 1/200.000 stockées à la section géographique militaire de Vincennes dataient des années 1960. Elles se sont révélées déficientes compte tenue des informations dépassées ou de leur incompatibilité avec une lecture des coordonnées techniques. L’armée française à dû rapidement refaire les cartes pour réussir son coup. L’autre exemple plus près de chez nous c’est l’opération bâclée de Mushaki en décembre 2007 où l’on a assistée à une hécatombe au sein d’une armée régulière de plus de 10.000 hommes super équipés face à une milice de 2.000 qui a su maitriser l’intelligence géographique et militaire du milieu d’action.
Après plus de 10 ans de présence des casques bleus des NU en RD Congo, il est quasiment certain que la cartographie de tout le pays a été remise à jour grâce aux nouvelles technologies qui permettent de constituer une base de données complexes et complémentaires à la disposition des services occidentaux. Et la fameuse peur de voir le pays balkanisé n’est qu’une vue d’esprit car, pour les stratèges, c’est une étape techniquement franchie. Que nos dirigeants arrêtent de nous raconter des sornettes avec les fameux cinq chantiers dès lors que la sécurisation du territoire nationale, des populations et de leurs biens dépend du bon vouloir des services occidentaux.
Il faudrait partir sur des nouvelles bases en procédant à une refonde complète de nos services de renseignements et de sécurité afin de les adapter aux normes connues basées sur l’intelligence, la stratégie et l’analyse. Que ces James Bond qui pullulent dans les différents services de renseignement en RD Congo et dans nos ambassades à l’étranger cessent de martyriser les paisibles citoyens en les étiquetant comme des antipatriotes pour simplement plaire aux actuels responsables du pays.
Marcellin SOLE
Consultant
Source: KongoTimes
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