L’information est tombée comme un couperet : Paul-Antoine Bohoun-Bouabré est décédé en Israël des suites d’une longue maladie. On retient de cet illustre personnage qu’il faisait partie du sérail politique du Président Laurent Gbagbo, bien connu comme un militant indécrottable du Front populaire ivoirien (Fpi). Mais on retient de l’homme, surtout, qu’il a été un grand économiste qui a fait ses preuves comme ministre de l’Economie et des Finances, puis ministre d’Etat, ministre du Plan et du développement. Il fut celui qui a dirigé de haute lutte, la résistance économique. Qui ne se souvient pas de l’avènement du budget sécurisé dans le paysage économique ivoirien ? En 2001, en effet, le gouvernement adopte le projet de budget pour cette année-là qui s’établit à 1289,1 milliards fcfa et qui prévoit un strict équilibre budgétaire. Ce budget est dit « sécurisé » en ce qu’il ne prend en compte que les ressources propres du pays, excluant ainsi tout appui extérieur. « Je voudrais préciser que pour nous, ce concept traduit une pratique normale. En fait, il n’est que la traduction chiffrée de la politique économique et sociale du gouvernement. L’appellation choisie correspond donc à l’option du gouvernement à ce temps précis. En 2001, lorsque nous confectionnions le budget, nous étions confrontés à cette réalité qui était que notre pays n’avait plus de relations financières avec l’ensemble de ses partenaires, à savoir la communauté financière internationale. Nous ne pouvions pas concevoir un budget qui prenne en compte l’apport de cette dernière. Nous avons donc été rationnels et raisonnables en proposant un budget qui reflétait le potentiel de notre économie de l’époque. Nous l’avons appelé budget sécurisé. Un nom certes, mais en même temps, un message puisqu’il s’agissait de bâtir un budget sur des ressources que nous maîtrisions et qui n’étaient pas soumises aux aléas des partenariats extérieurs. Voilà pour la petite histoire », avait-il expliqué.On avait pâmé d’admiration pour cette nouvelle orthodoxie budgétaire. C’était nouveau ! C’était réaliste ! Evidemment, il y a eu certaines personnes qui prédisaient un échec dans l’exécution de ce budget. Les faits ont eu raison de ces pessimistes. Puisque le budget a été exécuté avec maestria avec les félicitations de la communauté financière internationale. Fort de cette expérience réussie, Bohoun-Bouabré propose pour l’année 2002 un budget dit budget d’assainissement. Celui-ci est dicté par le fait que, après plusieurs négociations, la Côte d’Ivoire a réussi à renouer avec la communauté financière internationale. Il s’agit donc, dans l’exécution de ce budget , d’assainir les rapports de l’Etat avec l’ensemble de ses partenaires économiques et sociaux. Au cours de cette même année, à la suite d’une longue tournée qui l’a conduit de Bruxelles à Washington, il signe le premier programme avec le Fonds monétaire international, après quatre ans de rupture. « Ce programme était très ambitieux ; mais il était à la dimension du potentiel de notre économie, et à la hauteur de nos possibilités, nos potentialités. Dans ce programme triennal nous prévoyions, après le taux négatif de 3% en 2000, un taux positif de 3% pour 2002, de 4,5% pour 2003, et de 5% à partir de 2004. Voilà comment le programme était bâti », avait-il dit.
Progressivement, la Côte d’Ivoire se relève avec un taux de croissance, certes négatif, mais proche de la stabilisation. Dans la foulée, Bohoun-Bouabré introduit le budget de relance en 2003. Puis le budget dit de normalisation, en 2004. Le pays revient de loin, de très loin. Il est sur la bonne voie pour atteindre une croissance positive de 1,8% quand surviennent les fameux événements de novembre 2004. Mais la bonne maîtrise des finances publiques permet à la Côte d’Ivoire de terminer l’année avec une croissance de 1,4%. Jusqu’à ce qu’il quitte le ministère de l’Economie et des finances, Bohoun-Bouabré a eu à gérer plusieurs crises relevant des chocs autant endogènes qu’exogènes. Mais il avait conscience de sa mission : « En tant que ministre de l’Economie et des Finances, je me dois de créer les conditions pour amortir rapidement les chocs négatifs et amplifier les chocs positifs sur l’économie de mon pays, la Côte d’Ivoire. Voila ma mission ».
Travailleur infatigable, homme de défis, le ministre Bohoun-Bouabré atterrit au ministère d’Etat, ministère du Plan et du Développement où il imprime sa marque. Dès qu’il prend fonction, il procède à l’assainissement de l’Institut national des statistiques. Puis il se consacre à l’élaboration du Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp). Pendant deux ans, il s’investit personnellement pour monter le dossier et faire ressortir toutes les composantes du document. Ses efforts sont récompensés par l’adoption du projet de financement du Dsrp à hauteur de 17.000 milliards fcfa. On se rappelle que tous les observateurs économiques et financiers du monde ont salué ce Dsrp, version Bohoun-Bouabré.
Bohoun-Bouabré, c’est aussi celui qui a initié l’assainissement des finances publiques. C’est lui qui a permis l’exécution directe des crédits budgétaires des services déconcentrés de l’Etat à travers le Système intégré de gestion des finances publiques (SIGFIP) à l’intérieur du pays. En clair, il s’agit d’octroyer aux départements de l’intérieur une autonomie de gestion des dépenses publiques permettant aux administrateurs de crédits d’exécuter directement leurs crédits budgétaires sans avoir à subir une exécution préalable au niveau des services centraux à Abidjan et sans attendre une délégation de crédits en provenance également d’Abidjan. Ce qui permettait une célérité dans l’exécution des finances publiques. C’est aussi lui qui a permis le développement d’Aster, un logitiel qu’il a mis en place pour permettre de savoir, en temps réel, le niveau des finances de l’Etat. Bohoun-Bouabré, c’est enfin le concepteur de la facture normalisée qui a freiné considérablement les fraudes.En somme, à l’initiative de Bohoun-Bouabré, la Côte d’Ivoire a aujourd’hui un réseau moderne de gestion des dépenses publiques, des procédures administratives, des procédures comptables, l’informatisation du circuit de la dépense publique et l’informatisation du circuit de la recette publique. « Ma plus grande satisfaction est que lorsque je suis arrivé ici, ce ministère était le ministère de l’Economie et des Finances et un an et demi après, il est devenu ministère d’Etat de l’Economie et des Finances. Je pense que j’ai contribué à cela et au fait que chaque agent du ministère de l’Economie et des Finances soit aujourd’hui agent du ministère d’Etat. Pour moi, c’est un immense cadeau. Je ne remercierai jamais assez le Président Laurent Gbagbo de m’avoir donné l’occasion de faire ce travail et de découvrir des gens extraordinaires qui aiment la Côte d’Ivoire, qui aiment leur travail sans considération de leur coloration politique et qui font au quotidien un travail formidable », disait-il. Ses amis s’accorderont tous, sur ce point essentiel : il fut homme d’honneur, homme de parole, fidèle jusqu’au bout à l’idéal de ses convictions.
J-S Lia
Notre Voie
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