L’Intelligent d’Abidjan
Crocodiles dans la lagune Ebrié au Plateau / De Bamako à Abidjan
C’est avec surprise que les Abidjanais ont constaté le mardi 03 janvier 2012 que des crocodiles se reposaient ce jour sur les rives de la lagune du côté du Café de Rome, au Plateau. Il n’en fallait pas plus pour que les Abidjanais se perdent en conjectures sur l’origine de ces reptiles. D’où viennent-ils ? Pourquoi sont-ils apparus brusquement à cet endroit et en grand nombre ? L’Intelligent d’Abidjan a enquêté et notre piste nous conduit au Mali.
Crocodiles, alligators ou caïmans sur les bords de la lagune Ebrié?
Attention, de ne pas confondre caïmans, crocodiles et alligators comme beaucoup de personnes l’ont fait ce mardi 03 janvier 2012. Ces trois familles sont regroupées dans l’ordre des crocodiliens mais, certains détails les différencient distinctement. Les caïmans comme les alligators font partie de la famille des Alligatoridés. Chez le crocodile, la 4ème dent de la mâchoire inférieure dépasse quand leur gueule est fermée. Alors que chez les alligatoridés, aucune dent de la mâchoire inférieure n’apparaît en de telles circonstances. Le lieu de rencontre de ces animaux apporte également une grande aide à l’identification d’une espèce par rapport à l’autre en particulier en ce qui concerne la distinction alligator- caïman (le caïman vit uniquement en Amérique du Sud). Les caïmans sont de couleur plus sombre ou presque noire. Ils ont des yeux bruns placés plus en avant et une tête plus large et plus courte et en forme de U contre une forme en V chez le crocodile. Contrairement au crocodile, le caïman est capable de broyer directement des os. La plupart des sous espèces sont plus petites que leurs cousins les crocodiles. 1,5 à 2,5 mètres pour les mâles, 1,5 mètre pour les femelles. Seul le caïman noir de Guyane dépasse les 5 mètres. Ainsi donc, les spécimens aperçus le mardi 03 janvier au Plateau sont des crocodiles (Crocodylus) précisément Osteolaemus tetraspis, crocodile nain africain d’environ 2 m qu’on rencontre en Afrique de l’Ouest.
Origine des crocodiles en Côte d’Ivoire
M. Wawa Dah Julien a plus de 80 ans, mais fait important, il est né à Abidjan et connaît l’histoire et l’évolution de la capitale économique ivoirienne. Et à propos de la présence des crocodiles à Abidjan, son témoignage qu’il a nous livré est éloquent : «Avant notre indépendance et jusque dans les années 70, les lagunes des villes comme Port-Bouët, Vridi, Koumassi, Plateau etc. étaient infestées de crocodiles. Les déplacements qui se faisaient à bord de pinasses ou de pirogues étaient très risqués en cas de chute car nous savions et craignions tous la présence de ces reptiles. Et on nous racontait très souvent qu’il y avait eu des accidents de ce genre. Qu’un enfant avait été dévoré à ancien Koumassi ou à Anani, qu’un tel avait été attaqué à Bingerville etc.», se rappelle l’octogénaire. Il assure qu’avant les chantiers qui allaient transformer la ville d’Abidjan, les crocodiles étaient visibles sur toutes les berges lagunaires. «Les pêcheurs ébrié, ghanéens et dahoméens tenaient compte de leur présence massive lors de leurs activités dans les années 30, jusqu’au milieu des années 70. Mais depuis l’indépendance et avec les grands chantiers, la plupart des animaux sauvages avaient disparu avec la destruction de leurs milieux naturels par l’homme. Je me demande d’où sont venus les crocodiles vus au Plateau», s’interroge M. Akré, âgé de plus de 70 ans vivant à Locodjro et que nous avons joint au téléphone. Georges Taï Benson, ancien producteur et animateur à la télévision nationale, avait il y a quelques années attiré l’attention sur la présence en ces lieux de crocodiles. Joint hier mercredi 4 janvier 2012, il dit ne pas savoir exactement la provenance de ces animaux. «Ils viennent peut-être d’Assinie, où peut-être qu’ils ont été draînés depuis Abobo avec les ordures». Une chose est sûre, ajoute-t-il, ces animaux n’ont pas toujours été à cet endroit. «Quand nous étions plus jeunes, on y allait pour nous baigner. Il y avait avant ce casino qui existe là maintenant, un autre à l’époque qui s’appelait l’Aquarium. Et c’est dans cette zone que les occidentaux venaient pour se dorer et faire du ski nautique. Les occidentaux n’auraient pas pris de risque, si le lieu était dangereux». Mais GTB indique que c’est dans les années 70 qu’on a remarqué la présence de crocodiles. Sûrement chassés des eaux du sud à Port-Bouet où il y avait les travaux du port d’Abidjan et des rails. «On ne les a pas remarqués, sûrement du fait de la boue qui a pris la place de l’eau», pense-t-il.
Houphouët, son amour pour les crocodiles
Quoi qu’il en soit, c’est la ville de Yamoussoukro, capitale politique de Côte d’Ivoire et village natal du premier Président de Côte d’Ivoire qui est réputée pour ses crocodiles. Le Président Houphouët-Boigny en son temps, avait fait construire des lacs artificiels pour y loger les sauriens pour lesquels il avait une admiration particulière à tel point qu’il avait été surnommé ‘’Le crocodile de Yamoussoukro’’. Il veillait à ce que la centaine de crocodiles soient bien nourris. Après le décès du ‘’vieux’’, l’Etat de Côte d’Ivoire s’est chargé de les nourrir. Les crocodiles de Yamoussoukro peuplent le lac entourant le Palais présidentiel de Yamoussoukro, construit sur le site de N’Gokro. Il s’agit de crocodiles du Nil. Ces bêtes pèsent près d’une tonne chacune et mesurent jusqu’à six mètres de long. Elles peuvent faire des sauts de plusieurs mètres pour saisir la nourriture qui leur est donnée quotidiennement (à 17h00). Le lac et ses crocodiles sont une attraction touristique de toute l’Afrique de l’Ouest. Ils sont aussi et surtout associés à la puissance politique de Félix Houphouët-Boigny et leur prestige participe du symbolisme africain. «Les Crocodiles de Yamoussoukro» est aussi le titre d’une nouvelle de l’écrivain britannique Vidiadhar Surajprasad Naipaul, prix Nobel de littérature, dans le recueil Sacrifices (1984). Selon les gardiens des lieux, les premiers crocodiliens ont été offerts au Président Houphouët en 1967 par Modibo Kéita, l’ancien chef d’Etat du Mali.
D’où viennent les crocodiles aperçus au Plateau?
A cette question, plusieurs réponses nous ont été apportées. Selon certaines sources, ces animaux ont été offerts à un ancien député-maire de la commune de Treichville et baron du PDCI. Ce dernier en temps que président du groupe parlementaire d’amitié ivoiro-malien avait reçu ces crocodiles en cadeau à Bamako. Il les avait gardé dans une mare clôturée dont les murs se sont effondrés un matin, entraînant la fuite des sauriens. Ceux-ci ont donc envahi la ville d’Abidjan par le biais d’un cours d’eau. Leur présence au Plateau est en quelque sorte le fruit d’une négligence humaine. Des experts en zoologie et biologie animale, sous le coup de l’anonymat, ne voulant pas se mouiller se sont essayés à donner les raisons d’une présence importante de ces sauriens. Selon M.K, un vétérinaire, «des crocodiles vivent en liberté en Côte d’Ivoire dans la région d’Aboisso, précisement dans les mangroves. Ils sont difficiles à observer à cause de la géographie des lieux, mais ils existent. Alors par les affluents de la lagune Aby, ils ont pu rejoindre la lagune Ebrié. Il faudrait étudier maintenant le phénomène qui les a poussés à sortir au grand jour dans cette zone. Peut-être pour se reproduire ou parce qu’ils y trouvent une nourriture abondante». Il a soulevé une autre thèse qui est celle d’un élévage. Selon lui, ces crocodiles ont pu être déposés par des personnes qui les élevaient. Ces animaux qui grandissent vite, ont dû être un poids pour leur ancien propriétaire qui se sont débarrassés d’eux nuitamment, pense-t-il.
Olivier Guédé, Guillaume T.
Encadré
Que font les autorités ?
Les pompiers appelés à la rescousse ont été incapables d’enlever ses sauriens. Il faut dire à leur décharge que ce genre d’animaux ne peut être traité que par des professionnels en la matière. Des conventions sur la protection des animaux interdisent de les tuer sauf s’ils représentent un danger direct et imminent pour les humains. Pour mémoire, il y a près de cinq ans de cela, ce sont des éléments des forces françaises qui avaient été dépêchés pour capturer ou tuer un saurien accusé d’avoir dévoré un petit garçon dans une mare à Yopougon, zone industrielle. Les recherches n’avaient pas eu le succès escompté. Il faut évidemment des spécialistes selon ledit vétérinaire pour la capture de ces crocodiles. Mais où les trouver, ces spécialistes ? Certains ont fait allusion aux gardiens du lac aux crocodiles de Yamoussoukro. Notre zoologiste est sceptique quant à cette solution, car pour lui, les sauriens de Yamoussoukro ressemblent à s’y méprendre à des animaux apprivoisés et ceux trouvés au Plateau n’auraient véritablement pas les mêmes dispositions pacifiques que leurs ‘’cousins’’ de Yamoussoukro. Alors va-t-on laisser la situation en l’état avec des animaux aussi dangeureux jusqu’à ce que l’irréparable se produise ?
Olivier Guédé
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