Le président ivoirien Alassane Ouattara a hérité d’un pays qu’il ne parvient pas encore à réconcilier.
Par Marcus Boni Teiga | slateafrique.com
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Alassane Dramane Ouattara, ADO comme ses partisans et sympathisants aiment à l’appeller affectueusement de ses initiales ne manque pas de compétences. C’est le moins que l’on puisse dire pour cet économiste chevronné et ancien directeur général adjoint du FMI. «Nous aurons 10.000 milliards de francs CFA pour vous mettre au travail», disait-il en parlant à ses compatriotes au cours d’un voyage au Nigeria. Mais la gestion d’un pays ne repose pas que sur l’économie, et il devra encore prouver qu’il est aussi un bon politique. C’est la clé de voûte du succès de son mandat. Un mandat dont tout le monde peut mesurer la difficulté au regard de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire.
Abidjan renaît
Abidjan, la vitrine du pays, a manifestement repris ses couleurs d’antan. Après le visage quasi apocalyptique qu’elle présentait au lendemain des violents combats postélectoraux, la capitale a fait sa petite toilette. Ce gigantesque chantier se poursuit avec un ambitieux programme de voirie. Avec l’aide de la force Licorne, la sécurité est de retour non seulement à Abidjan mais dans l’ensemble du pays. Le tandem Paris-Washington qui a été le soutien le plus déterminant dans l’accession au pouvoir d’ADO fonctionne encore à merveille afin de l’accompagner concernant la pacification et la relance de l’économie. A propos de la réconciliation cependant, cela est bien au-delà des moyens de la France et des Etats-Unis. Il s’agit d’un problème que même les plus grandes puissances du monde ne peuvent pas résoudre. La solution est du ressort d’ADO lui-même.
Lors de son investiture à Yamoussoukro le 21 mai 2011, il avait déclaré: «je ne dois rien à personne, sauf aux Ivoiriens». Il s’agit là d’une déclaration de forme. Car la réalité est bien plus complexe qu’il ne le dit.
Un compromis injuste
Une victoire à la Pyrrhus, on connaissait déjà l’expression. Maintenant on pourrait bien parler d’«une victoire à la Ouattara» concernant la Côte d’Ivoire. En effet, le vainqueur de la présidentielle du 28 novembre 2010 se trouve comme assiégé par trois camps. Il y a d’abord celui des vaincus mais irréductibles du Front populaire ivoirien (FPI) de l’ex- président Laurent Gbagbo, et ceux des deux faiseurs de roi que sont les Forces nouvelles (ex-rebelles) de Guillaume Soro et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ex-président Henri Konan Bédié.
La tâche d’ADO s’avère donc herculéenne, mais pas impossible. Il a déjà réussi à redistribuer les postes de responsabilité entre ses partisans du Rassemblement des républicains (RDR) et ses deux principaux alliés. Pour l’heure, en raison de la situation postélectorale délicate le compromis est en faveur du camp de Guillaume Soro qui occupe le poste du Premier ministre, à la Primature. Ce qui est contraire à l’accord que le PDCI avait passé avec le RDR. Mais la paix est à ce prix. Il faut s’en contenter d’abord pour bâtir une nouvelle armée au sein de laquelle les ex-rebelles doivent trouver leur place. Sans oublier les anciens des Forces de défense et de sécurité (FDS) de Laurent Gbagbo. La sagesse oblige ainsi «le Vieux» de Daoukro, Henri Konan Bédié, à ronger ses freins en attendant. Du reste, les législatives du 11 décembre 2011 ont démontré que la cohésion dans le camp des vainqueurs n’a plus la même teneur qu’avant.
L’apaisement passe par la justice
Quant à la réconciliation de tous les Ivoiriens qui est l’un des défis majeurs d’ADO, elle est déjà mal partie. Ouattara reprend les mêmes erreurs que Gbagbo. Les récriminations des partisans de ce dernier envers la Commission électorale indépendante (CEI) ou son transfèrement à La Haye constituent des obstacles. Et même s’ils se sont délibérément retirés des législatives pour ce faire, on peut toujours parler d’exclusion. La coïncidence de ce transfèrement devant la Cour pénale internationale (CPI) à la veille du scrutin étant on ne peut plus troublante pour beaucoup. Pour le Premier ministre Guillaume Soro, ce transfèrement est la résultante du refus du FPI de «concourir à l’apaisement général et à la réconciliation nationale». Mais il s’agit d’une décision à double tranchant. D’autant plus qu’une justice impartiale ne saurait épargner le président Alassane Ouattara lui-même, encore moins le Premier ministre Guillaume Soro pour les crimes reprochés à leurs partisans. Qu’adviendra-t-il en Côte d’Ivoire si un jour Guillaume Soro devrait se présenter devant la CPI? C’est là la grande question.
Comme quoi le Comité dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) que dirige l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny a du pain sur la planche. A moins qu’il soit constitué uniquement pour servir de vernis à la justice des vainqueurs.
Rinaldo Depagne de International Crisis Group déclarait récemment: «il est évident que la justice telle qu’elle est aujourd’hui est à sens unique. Il y a dans plusieurs rapports d’organisations internationales, comme Human Rights Watch, de forts soupçons qui pèsent sur des éléments, et certains leaders des FN. Aucune procédure n’est actuellement en cours contre ces gens. Cela laisse au FPI tout le loisir de dire que c’est une justice de vainqueur».
Déclaration prémonitoire, s’il en est. Dont acte! Car c’est au nom de l’exclusion qu’on a fait la guerre hier, mais aujourd’hui c’est aussi curieusement au nom de la guerre qu’on fait l’exclusion. La Côte d’Ivoire doit prendre garde de l’histoire des éternels recommencements du Tchad.
Marcus Boni Teiga
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