C’est par une lettre officielle que le Congrès américain a demandé au Président Abdoulaye Wade de reconsidérer dans le sens d’un retrait- sa candidature à l’élection présidentielle de février 2012. Les quatre parlementaires signataires de cette lettre commune datée du 14 décembre 2011, ont été très clairs dès l’entame de leur correspondance
«Nous vous écrivons aujourd’hui pour exprimer notre admiration pour l’engagement du Sénégal depuis fort longtemps en faveur la démocratie et du développement, mais aussi pour exprimer notre inquiétude concernant la prochaine élection présidentielle. Par conséquent, c’est avec regret que nous notons l’effet négatif que votre potentielle candidature à l’élection de 2012 est en train d’avoir sur votre pays et sur votre propre réputation. »
La lettre donne une explication de l’inquiétude de ses signataires. «Nous avons été témoins de faits peu ordinaires au Sénégal: des affrontements de citoyens en colère contre des éléments de forces de l’ordre. Des manifestants menacent de recourir à la violence croissante à Dakar et ailleurs dans le pays à mesure que l’on s’approche de l’élection, si vous persistez à chercher un troisième mandat».
La lettre explique au président sénégalais que la question de sa candidature se pose plus en termes politiques qu’en termes de droit. « Quelle que soit la décision de la Justice concernant la recevabilité ou non de votre candidature, celle-ci aura des conséquences dommageables pour le Sénégal et pour la démocratie en Afrique si toutefois une crise constitutionnelle ou politique majeure devait en résulter». Et la lettre de poursuivre : «les institutions et la démocratie sénégalaises qui, depuis longtemps, constituent un terreau de stabilité et d’espoir à travers l’Afrique, ne peuvent se permettre des conséquences aussi négatives».
Et les parlementaires américains d’avertir Abdoulaye Wade : «une violence dans les rues et une insécurité croissante peuvent remettre en cause vos nombreuses réalisations dans les domaines de la démocratie, des libertés civiles, des réformes économiques, de même que dans le domaine de la paix et de la sécurité régionales ». L’avertissement rappelle à Wade également qu’une éventuelle crise qui résulterait d’une candidature forcée pourrait affecter grandement les relations entre le Sénégal et les Etats-Unis d’Amérique. «Une telle crise pourrait affecter négativement les relations étroites forgées entre nos deux gouvernements. »
Apres le bâton, les députés et sénateurs américains tendent une carotte. «Les Etats-Unis restent disposés à travailler avec vous pour relever les défis auxquels le Sénégal, l’Afrique de l’Ouest et la communauté internationale font face. Vos efforts pour diriger victorieusement une transition présidentielle en février 2012 garantiraient que le Sénégal demeure un modèle de démocratie pour l’Afrique, ouvriraient la voie à une nouvelle génération de dirigeants africains, solidifieraient votre stature d’homme d’Etat hautement respecté ». On n’est pas loin des propositions à Laurent Gbagbo par les Américains qui étaient prêts à l’accueillir et lui faire jouer un rôle international, s’il consentait à lâcher le pouvoir à temps et à éviter à son pays une crise lourde de conséquences, notamment pour la stabilité, la cohésion, la paix civile du pays et dans la sous-région.
Pour qu’il soit clair que l’Amérique se prépare à l’après-Wade, la lettre conclut par cette proposition de collaboration avec l’actuel occupant du palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor pour « assister les futurs dirigeants du Sénégal qui vont s’inspirer de vous et renforcer vos nombreuses contributions nationales et internationales. »
Cette correspondance aurait pu être interprétée comme une simple déclaration de « politiciens » qui veulent se démarquer d’un homme devenu impopulaire dans les principales capitales occidentales. Mais si l’on sait qu’elle a été précédée d’une déclaration émanant de l’Exécutif dirigé par Barack Obama, on se rend compte que le président sénégalais et son camp pourraient être dans une situation difficile. Dans un courrier électronique envoyé à Sud Quotidien, les services d’un des parlementaires signataires de la lettre expliquent que, celle-ci fait suite c’est à suite aux déclarations du ministère des Affaires étrangères de l’Administration Obama (Département d’Etat) qui exprime les mêmes positions.
Selon les services de ce parlementaire, le Département d’Etat considère que:
• « les Etats-Unis croient fermement que les élections doivent être libres, transparentes et crédibles. L’élection présidentielle prévue en février 2012 doit refléter la volonté du peuple sénégalais en conformité avec la Constitution ;
• Le Département demande au Président Wade de respecter l’esprit de la Constitution en vue de faciliter le transfert du pouvoir par voie d’élection libre et équitable ;
• Enfin, le Département appelle tous les protagonistes à faire en sorte que l’élection se déroule dans la paix.
Cette insistance du congrès et du département d’Etat sur l’esprit de la constitution leur permet d’éviter de s’immiscer dans la controverse sur les dispositions constitutionnelles concernant la possibilité pour le président Wade de solliciter un 3eme mandat. Mais elle n’en réaffirme pas moins leur doctrine et la source d’inspiration de deux mandats limitatifs qui est à la base du système américain et de leur conception de l’alternance démocratique.
Il faudra également noter que la position exprimée dans cette correspondance engage les deux familles politiques (démocrate et républicaine) qui se partagent le pouvoir aux Etats-Unis. Cette lettre est commune aux deux chambres du Congres fédéral. Ce sont deux membres de la Chambre Haute qui est le Sénat (Christopher A. Coon (démocrate de l’Etat de Delaware) et Johnny Isakson (Républicain de l’Etat de Georgie) et deux membres de la chambre des Représentants, Christopher Smith, Républicain du New Jersey et Donald Payne, Démocrate du New Jersey aussi) qui en sont les cosignataires.
Le député Payne, bien connu du président Wade, est un responsable influent du Black Caucus qui regroupe les membres noirs du Congrès Fédéral, et a toujours soutenu, au Capitole, tout ce qui touche aux intérêts de l’Afrique et du Sénégal en particulier. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs que Donald Payne a tenu à parler personnellement au président sénégalais pour l’informer de l’imminence de l’envoi de cette lettre qui met en garde le candidat du Fal 2012 de ne pas se présenter. On comprend mieux maintenant le discours du président Wade aux maires noirs réunis à Dakar le 15 décembre 2011 et sa sortie discourtoise et inélégante contre l’opposition et sa décision d’envoyer des missions d’explication parcourir le monde. Si comme il le dit, le débat sur sa candidature est clos, on ne voit pas pourquoi on utilise l’argent du contribuable pour une mission inutile voire impossible.
A l’évidence, dans l’esprit des dirigeants occidentaux en particulier européens et américains, les jeux sont faits et les rôles partagés. La France officielle fait dans la discrétion et le président Nicolas Sarkozy qui a décidé de sous-traiter le dossier sénégalais à la puissance américaine tient grandement compte des intérêts français dans notre pays et surtout de la sécurité de ses concitoyens et des autres ressortissants des pays occidentaux qu’il aura la responsabilité de faire évacuer en cas de crise grave
Certains observateurs se plaisent à rappeler que tous ceux qui ont eu à ignorer les recommandations de la première puissance mondiale de quitter le pouvoir en temps opportun ont eu à payer un prix fort pour eux-mêmes, pour leur pays et pour leur famille. Quand Bill Clinton a dit à ses alliés occidentaux que le « nettoyage ethnique » en ex-Yougoslavie n’était « pas acceptable », Slobodan Milosevic, l’auteur de ces actes, qui ne l’écoutait pas, a fini par être incarcéré dans une prison de la cour pénale pour la Yougoslavie où il a rendu l’âme. On voit donc que cela n’a pas commencé avec les dirigeants africains. C’est un Européeen bon teint qui fut la première « victime » du système des tribunaux extra-nationaux.
Quand le Président Abdoulaye Wade, avec l’encouragement de ses amis occidentaux d’alors, a, sur le tarmac d’un aéroport africain, regardé dans les yeux, Charles Taylor du Liberia pour lui dire qu’il était temps de partir, ce dernier n’avait pas pris le chef de l’Etat sénégalais au sérieux. Il finit par croupir dans les geôles de La Haye, sous le froid glacial de Hollande.
Le même conseil avait été prodigué tour à tour à Ben Ali (Tunisie), Hosni Moubarak (Egypte), Laurent Gbagbo (Côte d’Ivoire). Et à Kadhafi (Lybie) par Abdoulaye Wade lui-même. On connaît la suite. Une crise politique est toujours très mouvante une fois déclenchée et elle a surtout sa propre dynamique qui est rarement maitrisée par ceux qui sont à la base de son déclenchement. Il est certes peu probable que Abdoulaye Wade puisse être l’objet de poursuites éventuelles par les tribunaux sénégalais, à moins d’une situation grave pouvant impliquer sa responsabilité personnelle. De ce point de vue ses collaborateurs devraient certainement faire attention à la dynamique de crise politique qui pourrait mener loin.
Dame BABOU (Sud quotidien)
Jean Louis DJIBA
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