Le gouvernement ivoirien avait annoncé, tambour battant, l’encasernement dans 48 heures, lundi dernier, des FRCI qui pullulent à travers le pays. A l’heure du décompte, on est loin du compte.
Le gouvernement ivoirien avait annoncé, tambour battant, l’encasernement dans 48 heures, lundi dernier, des FRCI qui pullulent à travers le pays. A l’heure du décompte, on est loin du compte.
Suite à l’incident survenu dans la ville de Vavoua, où des éléments des forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont abattu froidement sept personnes dimanche dernier, pour une affaire banale, le chef de l’Etat Alassane Ouattara a donné 48 h à l’état major des armées pour les retirer définitivement des rues. Baptisés désormais «faux FRCI», ces hommes armés qui ont pris une part active au conflit armé qui a ponctué le deuxième tour de l’élection présidentielle en novembre 2010 se retrouvent ainsi subitement dans le collimateur des forces spéciales chargées de les désarmer et de leur arracher les véhicules appartenant à de tierces personnes dans lesquels ils ont toujours paradé jusquelà. Sans être inquiétés.
Au terme du délai de 48 h qui leur a été imparti pour quitter les rues, qu’ils soient admis dans les effectifs de la nouvelle armée ou pas, l’on tente de faire croire que d’un coup de baguette magique les FRCI sont rentrés dans les rangs. Ils auraient disparu de la circulation, pour ne pas subir la colère de leur mentor. Du coup, ceux qui chantaient d’ordinaire les hauts faits des «sauveurs », selon l’expression du procureur de la République Simplice Kouadio, ces mêmes éléments les désignent aujourd’hui par le vocable « faux FRCI », les accablant de tous les maux.
Dans les faits pourtant, la situation est pourtant loin d’être aussi simple que le laisse croire le régime. A ce jour, les FRCI (ex-forces nouvelles, apprentis de gbaka, désoeuvrés, anciens prisonniers évadés, etc.) continuent de régner en maitres sur la Côte d’Ivoire occupée jusque dans ses coins et recoins les plus reculés. Dans les régions Nord, de l’Ouest, du Centre et du Sud, les éléments des FRCI qui en imposent au corps préfectoral ne sont nullement inquiétés. Ils sont et restent des roitelets qui n’hésitent pas à humilier d’honnêtes citoyens comme ce fut le cas récemment à Gagnoa où une instructrice a été battue et trainée en plein marché pour avoir refusé de se soumettre aux ordres des éléments des FRCI.
Dans les zones traditionnellement favorables au président Gbagbo, dont les partisans ont payé un lourd tribut à la guerre, c’est toujours le régime d’exception qui prévaut. Dans les départements d’Agboville, Adzopé, Akoupé, Gagnoa, Guiglo, Duékoué, Bloléquin, etc. rien n’a changé. Même dans les villages, les FRCI tiennent les Ivoiriens en otage avec les armes en leur possession. Pour de nombreuses personnes interrogées, si la mesure de Ouattara peut être applicable à Abidjan qui est la vitrine du pays, ce n’est le cas dans le localités de l’intérieur du pays qui vivent un état de siège qui ne dit pas son nom.
Si ces mesures sont louables, les raisons qui la motivent sont de nature à désespérer des nouveaux dirigeants. En effet, tant que les exactions commises par les FRCI ne visaient qu’une partie de la population réputée proche du président Laurent Gbagbo, le régime Ouattara et ses alliés du RHDP les applaudissaient des deux mains. Comme ce fut le cas le 5 décembre dernier où, pour avoir chanté et dansé à l’honneur du président Gbagbo dont il venait de suivre sur le petit écran la première comparution à la cour pénale internationale de la Haye, les populations de la sous préfecture de Lopou, dans le département de Dabou, ont été battu à sang par un détachement impressionnant des FRCI. Le bilan de ces violences passées inaperçues est lourd : un mort et de nombreux blessés par balles ou par coup de bottes. Dans le dénuement total, ces populations villageoises auxquels l’on a décidé de faire payer leur opinion politique n’ont même pas eu droit – comme beaucoup d’autres à Oumé, Gagnoa, Agboville, etc. – à la compassion, à l’assistance et à la protection de l’Etat.
Mais il a fallu que sept personnes trouvent la mort à Vavoua, tous des Malinké, pour que le chef de l’Etat rentre dans une colère noire et montre des signes d’agacement contre des hommes en armes pourtant en grande partie à la base de l’insécurité galopante. N’eut été les événements malheureux de Vavoua, rien n’aurait donc changé. Par ailleurs, du point de vue de l’éthique, la mesure du chef de l’Etat – qui a toujours cautionné les expropriations des partisans de Gbagbo et d’honnêtes citoyens débarrassés de leurs biens de diverses nature – pose problème. Alassane Ouattara veut-il nous faire croire qu’il ne savait pas que les FRCI circulent à bord de véhicules volés ? Avec pour simple papier, la plaque d’immatriculation « FRCI » fabriquée à tous les coins de rue d’Adjamé et d’Abobo ?
Les FRCI, à l’image du nouveau régime ivoirien
Ce lundi 19 décembre 2011, le quotidien pro-Ouattara Nord-Sud barrait à sa Une : « Descente au Plateau, tirs à Yopougon, 5 morts à Vavoua, FRCI, arrêtez ça ! ». Un cri d’indignation, inattendu de la part d’un organe qui a toujours encensé le régime Ouattara depuis son avènement, malgré ses foultitudes de dérives, pour marquer une désapprobation qui est en réalité celle de plus en plus grandissante des populations ivoiriennes à l’égard des « sauveurs », indisciplinés et à la gâchette notoirement facile ! Un holà qui en dit long sur le désamour qui s’installe progressivement entre une armée prétendument républicaine, qui a du mal à se faire accepter et à se fondre dans le peuple, et des populations qui en ont plus qu’assez de ses exactions, crimes et attaques armées. Tant et si bien que le chef de l’Etat Alassane Ouattara a «tapé du poing sur la table» et convoqué d’urgence ses généraux, ce même lundi 19, au Palais présidentiel.
Au terme d’un conclave d’une quarantaine de minutes sous haute pression, ordre formel a été donné aux sécurocrates ivoiriens pour le retour immédiat en caserne de tous les FRCI, le retour immédiat des chefs d’unité dans leurs régions d’origine et l’interdiction aux militaires de sortir des casernes sans permission. 48 heures bien assénées ont été données au Grand commandement pour mettre fin aux dérapages répétés (plus que répétés)
des FRCI, une police militaire a été créée pour traquer les soldats indélicats, la désormais tolérance zéro vis-à-vis de l’indiscipline militaire sera de rigueur, le tout couronné par l’interdiction faite aux FRCI de circuler en armes ou en véhicules militaires dans les rues du pays. Mais qu’est-ce qui est à l’origine de ce subit réveil de la république ouattarandienne ?
Premier fait: Nous avons encore souvenance que dans la matinée du mercredi 14 décembre 2011, les FRCI basées dans la commune d’Adjamé ont fait une descente musclée à la Préfecture de police d’Abidjan, au Plateau, pour procéder à la libération de deux des leurs, raflés à la faveur d’une expédition de la Direction de la police des stupéfiants et des drogues (DPSD) s’inscrivant dans une série d’opérations visant le démantèlement et la destruction des fumoirs du District d’Abidjan.
Tout soldats républicains qu’ils sont, ces deux éléments FRCI tombés dans le filet de la police des stupéfiants, étaient au nombre d’une quinzaine d’individus peu recommandables s’adonnant à la consommation et à la vente de drogues diverses, dans un haut lieu du trafic de drogue de la place abidjanaise. Manque de pot donc, ils seront transférés au violon central de la Préfecture de police et mis sous les verrous, en attendant leur déferrement au parquet d’Abidjan Plateau, le lendemain, jeudi 15 décembre 2011, pour comparution devant les juges. Leurs compagnons de troupes ne l’entendent pas de cette oreille qui, après avoir essuyé un premier refus catégorique de libération de leurs compères par les fins limiers du district, se replient sur leur base et font, en fin de journée, une expédition des plus rocambolesques contre la Préfecture de police, bardés jusqu’aux dents de kalachnikovs et de RPG-7. Ils mettent les policiers en joue, neutralisent l’agent chargé de la garde du violon après l’avoir sévèrement battu, libèrent les deux éléments FRCI et, au passage, tous les autres prévenus, terrifient tout le Plateau par leur tirs en l’air et prennent la poudre d’escampette, sans être le moins du monde inquiétés.
Deuxième fait: A Yopougon, une banale affaire de béret dégénère en affrontement entre des éléments du détachement FRCI basé au Complexe sportif et d’autres de la BAE. Oui, le jeudi 15 décembre 2011 restera un jour supplémentaire de terreur pour les riverains de cette base militaire de circonstance qu’est devenue cette aire de jeu célèbre, aménagée pour encaserner les ex-combattants, au Nouveau Quartier de Yopougon. « Les éléments qui montent la garde devant le nouveau site ont tenté d’arracher à un autre élément le béret qu’il portait. Cet élément, de passage, a fait de la résistance et a alerté ses camarades de la compagnie GT8, basée à la BAE (Brigade anti-émeutes) », rapportait dans la presse un officier des FRCI qui a requis l’anonymat.
Selon son témoignage, les éléments FRCI de la BAE n’ayant pas apprécié le traitement infligé à leur camarade sont venus en renfort sur les lieux et, sans autre forme de procès, ont ouvert le feu. Bilan : deux blessés.
Quelques instants seulement avant cet incident, à quelques encablures de là, au quartier Bel-Air, une première brouille entre 6 soldats FRCI qui en étaient arrivés au pugilat public avait fait un blessé. « Là-bas, un élément a pris une balle dans la main », confiait l’officier des FRCI cité plus haut.
Troisième fait: Un jeune homme mis aux arrêts, par les FRCI de Vavoua pour une histoire de pétard, décède à leur quartier général, le samedi 17 décembre 2011, dans des circonstances non encore élucidées, après une sévère bastonnade des hommes du Général Soumaïla Bakayoko dans la ville. Le dimanche 18, les parents, amis et connaissances de l’infortuné se déportent en masse sur les lieux pour réclamer la dépouille du jeune malinké, leur proche, ayant succombé à la barbarie des hommes en armes de la localité. La démarche prend spontanément l’allure d’un vaste mouvement de protestation contre les agissements et exactions des FRCI à Vavoua.
Les soldats FRCI ayant pris ombrage de la forte mobilisation de la population, menée majoritairement par les jeunes, font écran pour empêcher les manifestants de progresser et d’aller faire le siège de leur Etat-major. Les jeunes se déchaînent et sont insaisissables. De vives altercations et des échauffourées s’en suivent. Des tirs de kalachnikovs aussi. 5 morts, dont l’un, des suites de ses blessures, à l’hôpital local.
Voici le climat délétère qui s’est désormais installé entre une armée censée être républicaine et son peuple, qui la vomit chaque jour un peu plus, et qui tolère de moins en moins ses frasques. De sorte qu’en titrant : « FRCI, arrêtez ça ! », le quotidien pro-Ouattara Nord-Sud ne fait que restituer fidèlement le ras-le-bol de plus en plus insupportable d’une population déçue de son armée, véritable mélange hétéroclite de supplétifs incultes, d’ex combattants sans formation et de forces régulières, qui tardent à faire sa mue pour s’inscrire définitivement dans la modernité et le professionnalisme.
Mais, nous sommes au regret de le dire, cette armée iconoclaste est à l’image du pouvoir qui l’a adoubée et investie de ses missions. De sorte qu’on pourrait valablement dire : « Pouvoir Ouattara, arrêtez ça ! ». Et cela n’offusquerait personne. Tant ce régime, depuis son avènement en Côte d’Ivoire, s’illustre par les actions et mesures impopulaires, si ce n’est complètement rétrogrades. De sorte que ses cris d’orfraie contre les dérives des FRCI nous font sourire.
Parce qu’il fait bien pire. Tel régime, telle armée ! Nous en voulons pour preuve le fait que depuis avril 2011, notre pays semble s’être installé dans un régime d’exception et non dans une république : des autorités de cette nation, premiers ministres, députés, ministres, cadres, officiers supérieurs de l’armée, soldats, journalistes et hommes de médias croupissent dans les geôles de Ouattara, au Nord du pays, depuis de longs mois, envers et contre leurs statuts particuliers prévus par nos lois (hautes autorités de la République, parlementaires et journalistes), sans jugement, sans droits de visite, incarcérés pendant des mois entiers avant toute inculpation. Justice des « vainqueurs » ! En outre, le Chef de l’Etat est toujours le président du RDR, en contradiction totale avec l’article 54 de la Constitution ivoirienne qui lui impose d’être à équidistance de tous les Ivoiriens.
Et nous le dénonçons pour la énième fois, il n’a toujours pas déclaré ses biens devant la Cour des comptes, conformément à la prescription de l’article 55 de la Loi fondamentale de la République de Côte d’Ivoire. Sans oublier le fait que l’Assemblée nationale a été illégalement suspendue, sinon dissoute, avant les législatives, et tous les salaires des députés coupés, y compris celui de son président sortant, le professeur Mamadou Koulibaly. Et tout le beau microcosme ivoirien continue à vivre comme si de rien n’était et comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Sommes-nous dans un régime d’exception ou dans une république ? Le pouvoir RHDP devra éclairer les Ivoiriens sur la question. La réconciliation nationale tant annoncée se fait (ou on espère la faire) sans la partie adverse, en exil ou en prison et dont le leader, le Président Laurent Gbagbo, est en déportation à La Haye, aux termes de procédures et de tractations des plus suspectes entre le pouvoir en place et le très controversé procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno-Ocampo. Les universités publiques, centre du savoir et des recherches dans notre pays, sont fermées pour au moins deux nouvelles années, au regard des dégâts épouvantables qui y ont été causés par les FRCI et les milices pro-Ouattara (dozos), pendant la prise d’Abidjan, dans le mois d’avril 2011. Le gouvernement parle de reprise en Octobre 2012. Pour cela, il aurait fallu que les travaux débutent maintenant.
Or, après l’abattement des arbres, le déguerpissement des petits commerces et des « business center » (photocopie, saisie et traitement de texte, impression, reliure) et les travaux de reprofilage, plus rien ne se fait en ce moment sur les différents sites de nos universités. De sorte que l’intelligence est assassinée, actuellement, en Côte d’Ivoire (négation de la recherche et de l’instruction des jeunes générations) et que trois promotions de bacheliers (bientôt quatre) sont sur le carreau ou en exil universitaire.
Les indemnités des magistrats ont été suspendues, cette fin de mois de décembre, en pleine période des fêtes, sans préavis, des salaires entiers restent impayés dans bien de sociétés et établissements publics. Quant aux législatives ivoiriennes, elles resteront un cas d’école : nous sommes passés du « désert électoral » reconnu et attesté par tous, y compris les observateurs et les médias internationaux (dont France 24, RFI, Euronews et TV5 Monde, habituels soutiens de Ouattara), tant les électeurs étaient aussi rares que l’or fin, à la « forêt électorale », avec un taux de participation irréel de 36,56% qui laisse pantois tous les analystes de la vie politique ivoirienne.
Le président de la CEI, Monsieur Youssouf Bakayoko devra expliquer à la nation ivoirienne cette énigme
qui jette une ombre épaisse sur le peu de crédit qui restait encore à son institution aux yeux des Ivoiriens, après la présidentielle de 2010. Nous ne parlons même pas des plaintes pour fraudes et falsification de résultats déposées par une foule de candidats floués, sur la table du Conseil constitutionnel. Dans quelle république sommes nous ? Vivement une réponse du nouveau régime ivoirien.
Le Nouveau Courrier
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