Interview / Victorine Wodié, pdte de la Commission des Droits de l’Homme: « ….Quand vous constatez que des êtres humains brûlent leurs semblables avec du pétrole, vous vous dites dans quelle ère sommes-nous »

Interview / Victorine Wodié, présidente de la Commission nationale des Droits de l’Homme :
‘’Le combat pour les Droits de l’Homme est loin d’être achevé‘’

A la faveur de la célébration de la 63ème journée internationale des Droits de l’Homme qui a eu lieu le 10 décembre 2011, Mme Victorine Wodié, présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH-CI), s’est confiée à L’Intelligent d’Abidjan. Elle fait ici l’état des lieux sur la situation des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire.

A quoi répond la célébration d’une journée dédiée aux droits de l’Homme ?

Cette journée découle de la date anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme, le 10 décembre 1948. C’est un texte qui a été adopté par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le 10 décembre 1948. Et qui rassemble les principales idées fortes ou motrices concernant la question des droits de l’Homme. C’est-à-dire que pour la première fois dans le monde, les différents gouvernants s’étaient mis d’accord pour codifier en quelque sorte sept matières des droits de l’Homme en précisant ce qu’on appelle les droits fondamentaux, comme le droit à la vie d’abord, le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit à la liberté de circulation, à la liberté d’opinion, d’expression, le droit acquis dans un pays autre que le sien lorsqu’on a des difficultés chez soi, le droit d’être traité dignement, de ne pas être condamné, non plus, à des peines privatives de liberté de manière inconsidérée, le droit d’être traité dignement quel que soit son état. C’est-à-dire même quand on est prisonnier, exilé ou quand on est en indélicatesse avec les lois de son pays. En tout état de cause, quel que soit son état, sa situation, il est impérieux que ce respect de sa dignité soit pris en compte. Et cela, qu’on soit un homme, une femme, un enfant, un vieux, quelle que soit l’origine sociale, professionnelle, nationale, quelle que soit la couleur de la peau, quelle que soit la religion. Donc pour la première fois, je le disais, le 10 décembre 1948, les Etats du monde se sont mis d’accord pour codifier ces notions. De sorte que ce sont aujourd’hui des notions universellement reconnues, admises et je dois dire aussi que la déclaration universelle des droits de l’Homme passe aussi pour être le texte le plus traduit dans le monde entier. On nous dit qu’il est traduit en plus de 360 langues. C’est vraiment un texte majeur pour, d’abord, le 20ème siècle puis pour le 21ème siècle commençant.

Le monde est émaillé de guerres avec son corollaire de violations des droits de l’Homme. Ce qui dénote que les valeurs qui sous- entendent cette journée ne sont pas respectées. Au regard de ce constat, cette journée a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? N’est-ce pas une fête de trop?

Cette journée a son sens justement parce que les notions de respect de la dignité humaine, de respect des droits de l’Homme, ne sont pas suffisamment prises en compte et respectées. Et comme la répétition a une valeur pédagogique, il est important qu’au moins une fois dans l’année, l’on focalise tous ses efforts, toute son attention sur ces droits de l’Homme. Même si les droits de l’Homme sont l’apanage de chacun d’entre nous au quotidien. Les droits de l’Homme se traduisent dans notre vie de tous les jours, dans nos rapports avec les autres. Déjà, à la maison, avec nos employés, avec notre conjoint, avec les membres de nos familles respectives, au travail aussi. Même au cimetière, parce que quand une personne décède, elle a droit à une sépulture digne. Donc, même si les droits de l’Homme font partie de notre quotidien et doivent ou devraient constituer notre boussole pour nous permettre de vivre dans un esprit de fraternité comme le dit justement la déclaration universelle des droits de l’Homme, il est important que cette journée soit marquée de manière particulière et exceptionnelle chaque année. Et ce, parce que les notions de droits de l’Homme ne sont pas suffisamment prises en compte. C’est vrai que dans le monde on constate encore des violations massives des droits de l’Homme. Et ce ne sont pas les habitants de la Côte d’Ivoire qui diront le contraire, nous qui avons vécu une crise extrêmement douloureuse avec des violences postélectorales que nous n’aurons jamais imaginées pour notre pays. Donc c’est important, c’est capital. C’est comme un principe.

Vous évoquiez tantôt les violations des droits de l’Homme survenues pendant la crise postélectorale. Vos compatriotes, les Ivoiriens, connaissent-ils leurs droits ?

Les Ivoiriens connaissent de mieux en mieux leurs droits. Evidemment la question des droits n’est jamais réglée une fois pour toute. Je veux dire que le combat pour les droits de l’Homme est un combat à mener jusqu’à la fin des temps. Parce que tant qu’il y aura des êtres humains, il y aura, malheureusement, des incompréhensions, des mésententes. La nature humaine étant ce qu’elle est, il est donc important que ce combat continue d’être mené. Et que nous ne nous décourageons pas et que nous ne baissons jamais les bras. Mais pour en revenir aux Ivoiriens, je constate qu’ils connaissent quand même de mieux en mieux leurs droits. J’en veux pour preuve, un ministère des Droits de l’Homme qui existe depuis 2002 en Côte d’Ivoire, aujourd’hui une Commission nationale des droits de l’Homme, depuis la loi de 2004 et la décision de 2005, de multiples et innombrables organisations non gouvernementales de défense des droits de l’Homme sur le territoire national et puis des antennes des organisations non gouvernementales internationales de défense des droits de l’Homme. Je pense, par exemple, à la section ivoirienne d’Amnesty International. Donc les Ivoiriens connaissent de mieux en mieux leurs droits. Mais le combat est loin d’être achevé. La preuve, ce sont toutes les violences postélectorales que nous avons connues avec à la clé les tueries, les pillages, les destructions de biens privés et publics, des massacres, en particulier à Abobo et à Yopougon, dans l’Ouest du pays qui a été le véritable martyr de cette crise postélectorale. Quand vous constatez que des êtres humains n’hésitent pas à brûler leurs semblables avec du pétrole, du liquide inflammable, vous vous dites dans quelle ère sommes-nous. Alors que nous sommes en plein 21ème siècle même si le siècle vient de commencer. Donc il y a un combat à mener qui n’est pas gagné d’avance mais qui n’est pas non plus perdu. Et je dis que tout être humain est un défenseur des droits de l’Homme, toute personne est une militante des droits de l’Homme. Parce que tout être humain aspire au bonheur. Tout être humain quel que soit son lieu d’origine, quel que soit l’endroit de la planète où il se trouve, aspire à mieux vivre, à vivre dans un environnement décent, agréable, à pouvoir éduquer ses enfants, à pouvoir se déplacer, circuler librement, choisir librement ses dirigeants, acquérir une formation professionnelle. Et pour des jeunes gens, c’est le droit à une formation scolaire, universitaire, etc. Et donc, ce sont, en réalité, les aspirations profondes de l’être humain qui constituent les droits de l’Homme. Et quand on parle de droits de l’Homme, nous devons continuer le combat et accentuer les campagnes de sensibilisation, de formation, d’information, vraiment tous azimuts, j’allais dire, en temps et en contretemps, sans nous lasser.

La CNDHCI a-t-elle les moyens de sa politique ?

Nous n’avons pas les moyens de notre politique. Je n’utilise pas la langue de bois, c’est un fait.

Quelle évaluation faites-vous de l’état des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire pour l’année 2011 ?

Déjà notre rapport annuel 2010 qui est largement consacré à la crise postélectorale et qui fait l’état des droits de l’Homme dans notre pays pendant cette période dresse cet état des lieux. Nous finissons ce rapport, par des propos d’espoir et d’optimisme pour l’avenir. Ayant commencé très douloureusement 2011, nous espérons que cette année s’achèvera par une éclaircie pour les droits de l’Homme. Parce que les élections présidentielles nous ont véritablement traumatisées avec cette flambée de violence que nous n’avons jamais imaginée. Je peux dire qu’en cette fin d’année 2011, nous sommes dans une relative paix avec beaucoup d’espoir pour les droits de l’Homme et pour notre pays.

Avec les atrocités commises, est-il juste de dire que 2011 a été une année noire pour la Côte d’Ivoire en matière de droits de l’Homme?

Je ne crois pas qu’on puisse le dire de cette manière parce que dans toute situation, il y a toujours des côtés d’éclaircie. C’est vrai que les droits de l’Homme ont été éprouvés fortement. Mais la conception que j’ai de la vie, les évènements m’emmènent à garder toujours une lueur d’espoir. Aussi, je ne peux pas qualifier 2011 d’année noire. D’autant plus que le point culminant de la crise a pris fin en avril et mai au plus tard. Et depuis le mois de mai, le pays se remet progressivement au travail, se remet de ses douleurs, essaie progressivement de panser ses plaies. Déjà que nous n’étions pas à la mi-2011, nous commencions à sortir de la crise. Pour moi, c’est une année qui a commencé douloureusement mais qui s’achève dans la paix même si ce n’est pas encore une paix retrouvée à 100%. Et cela se justifie par la mise en place d’un gouvernement, par les grands chantiers en cours que chacun peut observer à travers le pays, les enfants qui vont à l’école, l’organisation des législatives. Les efforts faits par le gouvernement dans le domaine de la santé, dans le domaine économique sont là !

Le volet judiciaire aussi…

Oui, le volet judiciaire au plan national et au plan international. Mais, je voudrais préciser que les institutions nationales des droits de l’Homme n’interfèrent pas dans les procédures judiciaires. Donc nous n’avons pas de commentaire particulier à faire quant à telle ou telle procédure judicaire. Nous, notre souhait en tant que défenseur des droits de l’Homme, c’est que l’impunité cesse. Tout à l’heure, quand on parlait des raisons de la persistance des violations des droits de l’Homme, j’avais omis l’impunité. Notre souhait en tant que défenseur des droits de l’Homme, c’est que l’appareil judiciaire soit renforcé et que tous les contrevenants aux droits de l’Homme, tous les auteurs des violations des droits de l’Homme et d’une manière générale de toute infraction, soient poursuivis, jugés et condamnés si l’infraction est établie. Nous sommes pour une justice équitable. C’est vrai qu’ici et là, nous avons entendu parler de justice des vainqueurs, nous ne portons de jugement de valeur sur les procédures judiciaires mais notre souhait c’est qu’effectivement tous les auteurs des violences postélectorales quel que soit leur bord politique soient identifiés, poursuivis, jugés et éventuellement condamnés si leur culpabilité est reconnue par la justice. Notre plaidoyer, c’est pour une justice efficace qui a les moyens de son action. Nous plaidons pour la commission nationale des droits de l’Homme mais nous plaidons également pour l’appareil judiciaire pour que d’une manière générale, la justice soit à la portée de toute la population. Aujourd’hui, la justice est chère pour le citoyen lambda. Une assignation a un coût qui avoisine le SMIG, c’est tout dire. Donc, notre plaidoyer, c’est que les autorités gouvernementales se penchent sur cet aspect de la justice pour la rendre accessible à tous les citoyens, à toutes les victimes et qui ne soient pas uniquement pour les violences postélectorales. Dieu merci, nous sortirons des violences postélectorales mais au quotidien des infractions auront lieu tous les jours, l’insécurité devient le lot quotidien de la population, cela veut dire que la sécurité n’est pas encore totalement revenue dans le pays. C’est un souci pour le Président de la République qui a dit, dans son adresse au corps diplomatique, que toutes les forces soient bien encadrées et que chacun fasse son travail.

Réalisée par M. Tié Traoré
L’Intelligent d’Abidjan

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