De notre correspondante en Côte d’Ivoire,
nouvelobs.com
Laurentine jette un regard morne au cortège de militants du Rassemblement des Républicains (RDR) de Ouattara qui se pressent devant son étalage. Elle a peur de la politique. Ce qu’elle veut désormais, c’est la paix. Cette vendeuse au marché de Wassakara, à Yopougon, restera muette sur ce qu’elle a vécu pendant la guerre qui a suivi le second tour de l’élection présidentielle en novembre 2010.
Son bébé dans le dos et son fils à ses côtés, elle assure ne pas soutenir de parti politique. Mais ses origines lui collent à la peau : proche de l’ethnie de Laurent Gbagbo, elle sera, quoi qu’elle dise, vue comme l’un de ses soutiens. Dans cette commune, l’une des plus grandes d’Abidjan, les combats ont fait rage entre partisans de l’ancien président ivoirien et les forces d’Alassane Ouattara lorsqu’ils étaient deux – Ouattara et Gbagbo – à revendiquer la tête de l’Etat ivoirien.
Les pro-Gbagbo orphelins
Yopougon était un fief de Laurent Gbagbo. A la veille des premières élections législatives depuis onze ans, les partis politiques tentent de conquérir le quartier. Pas facile pourtant de rassembler des militants. A quelques pas du marché, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a monté plusieurs bâches pour protéger ses partisans du soleil de plomb. Il a du mal à remplir les rangées de chaises et c’est avec plus de quatre heures de retard que les candidats à la députation font leur entrée.
Une musique tonitruante salue l’arrivée de Zié Coulibaly Daouda, le benjamin de la liste, qui défile entouré de dizaines de ses militants. Victorieux avant l’heure, il assure que les jeunes pro-Gbagbo vont voter pour lui. Pour en convaincre la foule, il fait venir sur scène un membre de la galaxie patriotique, sorte de milice qui a pris les armes pour l’ancien président.
Evariste Yaké revient tout juste du Ghana : c’est là que se sont exilés des milliers de partisans de Laurent Gbagbo après son arrestation le 11 avril dernier. Si ce jeune affirme soutenir le PDCI, c’est qu’aucun des partis proches de l’ancien président ne présente de candidats pour ces élections. Le Front populaire ivoirien (FPI), dont Gbagbo est le fondateur, a décidé de boycotter le scrutin il y a déjà plusieurs mois. Quelques rares indépendants avaient accepté de se présenter mais depuis le transfèrement de leur leader devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, ils souffent le chaud et le froid sur leur participation.
Une justice des vainqueurs
C’est donc sans réelle opposition que les deux principaux partis ivoiriens membres de l’alliance de Ouattara, le RDR et le PDCI, abordent cette élection. Si cette alliance montre parfois des failles, la victoire est assurée.
C’est sur le taux de participation que plane l’incertitude. De nombreux Ivoiriens ont en effet été choqués par ce que certains appellent la « déportation » de leur ancien président, soupçonné de crimes contre l’humanité. Une « déportation » initiée par Alassane Ouattara : c’est lui qui a demandé à la CPI de juger Laurent Gbagbo pour les crimes commis par les forces qui lui étaient loyales pendant la crise postélectorale.
A ceux qui dénoncent une justice des vainqueurs, Alassane Ouattara assure qu’il collaborera pleinement avec les juges de La Haye s’ils s’intéressent à ses proches. Car pour déloger Laurent Gbagbo, le président ivoirien s’est appuyé sur une armée, elle aussi accusée par les défenseurs des droits de l’homme d’avoir commis de nombreux crimes.
Règlement de comptes
Les temps restent durs pour ceux qui ont voté pour l’ancien président Gbagbo. Du côté des civils, ils sont encore plusieurs milliers de déplacés dans leur propre pays, qui survivent dans des camps souvent insalubres. Leurs maisons ont été pillées, certains assurent que leur logement est occupé par leurs rivaux. Aucun ne se sent en sécurité.
Les journalistes font aussi les frais de leurs convictions : trois employés de « Notre voie », quotidien pro-Gbagbo, sont inculpés par la justice ivoirienne depuis le 29 novembre. On leur reproche d’avoir critiqué l’achat par la présidence de la République de quarante Mercedes et d’avoir mis en danger l’économie nationale en annonçant une dévaluation prochaine du franc CFA. Si une loi votée en 2004 – sous la présidence de Laurent Gbagbo – dépénalise les délits de presse, le pouvoir actuel semble avoir une interprétation différente de ce texte.
Dans ce climat plutôt tendu, les messages de paix et de réconciliation se multiplient sur les radios et les pancartes publicitaires à l’approche des élections. Des phrases qui paraissent naïves mais qui reflètent certainement l’état d’esprit d’une grande partie de la population de Côte d’Ivoire, fatiguée par la guerre et désireuse de voir son pays redémarrer.
Maureen Grisot – Le Nouvel Observateur
Cet article a été publié dans « Le Nouvel Observateur » du 8 décembre 2011
Commentaires Facebook