Crise de l’euro et zone CFA: les éclairages d’un économiste ouest africain

La crise actuelle de la dette dans la zone euro et ses éventuelles conséquences sur les pays de la zone Franc, a relancé les rumeurs sur une possible dévaluation du franc CFA, monnaie utilisée par une quinzaine de pays africains et « arrimé » à la monnaie unique européenne. Dans cet entretien exclusif accordé à Ouestafnews et réalisé par courrier électronique, l’économiste togolais, Kako Nubukpo, agrégé et chef du pole « analyse économique et recherche » à l’Union économique et monétaire ouest-africain (Uemoa) estime qu’une telle inquiétude demeure « légitime » au regard de la perte de compétitivité actuel des pays concernés. Ci-dessous l’intégralité de ces réponses.

Sur une éventuelle dévaluation du Franc CFA en rapport avec le crise de l’euro)

« La question de la possibilité d’une dévaluation du franc CFA n’est pas sans pertinence du point de vue de l’évolution des fondamentaux des économies de l’UEMOA. La question est d’autant plus légitime que nous sommes dans un contexte de pertes récurrentes de compétitivité des économies de la zone UEMOA, d’effets récessifs de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire et enfin de crise de la zone Euro.

A la Commission de l’Uemoa, nous nous sommes posé la question depuis de nombreux mois et nous avons effectué des simulations d’impact d’une éventuelle dévaluation du franc CFA. Tout d’abord, nous avons montré (Kiema, Nubukpo et Sanou 2011), à l’aide de modèles sur séries temporelles et données de panel, que le Taux de Change Effectif Réel (TCER) de la zone UEMOA s’est apprécié de 1 à 9 % suivant les pays, sur la période post-dévaluation du franc CFA de 1994. C’est un signe de dégradation de la compétitivité de notre zone. A l’aide des Vecteurs Auto-Régressifs (VAR) nous avons ensuite étudié l’impact d’une dévaluation sur la balance commerciale et la croissance des pays de la zone UEMOA. »

Sur les résultats des études

« Nos résultats révèlent que la dévaluation n’est pas la solution pour réduire significativement le déficit commercial des pays de l’UEMOA. Elle permettrait cependant de booster la croissance de la plupart des Etats de l’Union.
Cependant, et je crois que c’est l’enseignement le plus important de notre étude, le véritable défi ne réside pas dans les options d’ajustement externe (dévaluation versus réévaluation du franc CFA) mais plutôt dans l’optimalité du régime de change.
En effet, une dévaluation brutale, à l’instar de celle de 1994, ne saurait résoudre durablement les problèmes structurels que pose le rattachement du franc CFA à l’Euro. En outre, elle serait difficile à justifier au regard du niveau élevé des réserves de changes de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) auprès du Trésor français (plus de 100% de couverture de l’émission monétaire à l’heure actuelle). Il convient plutôt de se poser la question plus globale de la pertinence du régime de change et du coût d’une gestion monétaire extravertie pour les populations de l’Union. »

Sur le régime de change

« D’un point de vue strictement économique en effet, il semblerait plus raisonnable d’envisager un système de change flexible fondé sur un index calculé à partir d’un panier de monnaies. Ce système aurait alors l’avantage d’assurer aux autorités de la BCEAO un apprentissage progressif de la gestion monétaire et d’envoyer, par le biais d’un taux de change moins rigide, des signaux réguliers aux populations de la zone sur l’état de leurs économies. Il cesserait également de privilégier les populations urbaines qui bénéficient à l’heure actuelle pour leur consommation de produits importés, d’une monnaie forte et convertible, alors même que le principal défi des économies de l’UEMOA est de rendre compétitifs et autosuffisants les millions de petits producteurs qui se battent quotidiennement pour leur survie. Pour qu’une telle évolution soit envisageable, une réflexion sur la nature, le contenu et l’opportunité des accords de coopération monétaire qui lient la France et les pays de la zone Franc doit être menée ».

Sur les enseignements à tirer de la crise de l’euro

« Le véritable enjeu des discussions en cours à l’heure actuelle entre la France et l’Allemagne sur l’avenir de la zone Euro est le type de construction communautaire pour lequel opter : la France souhaiterait aller vers une Europe fédérale avec, d’un côté, une banque centrale européenne (BCE) volontariste, capable de racheter des titres d’Etats si le besoin s’en fait sentir, jouant ainsi pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort du système financier et, de l’autre, la mise en place d’Eurobonds, c’est-à-dire l’émission de titres communautaires européens qui pourraient permettre de mutualiser les risques encourus sur la dette souveraine, les Etats les plus fragiles bénéficiant de facto des taux d’intérêt bas généralement consentis par les marchés financiers aux emprunts contractés par les Etats vertueux. L’actuel fonds européen de stabilité financière (FESF) en est un embryon. Au contraire, l’Allemagne s’arcboute sur sa conception d’une banque centrale indépendante des Etats et n’intervenant pas pour acheter des titres d’Etats, notamment ceux en difficulté. Elle estime que la monnaie est une chose trop importante pour qu’on lui fasse jouer un rôle qui pourrait engendrer du laxisme dans la gestion des politiques économiques. L’Allemagne estime que la plupart des autres Etats de la zone Euro n’ont pas effectué les ajustements budgétaires et les réformes structurelles indispensables à la viabilité d’une monnaie commune. Il convient d’insister sur le fait que l’expérience d’hyperinflation allemande des années 1920-1930 a laissé des traces indélébiles dans la conscience des populations allemandes. De plus, comme l’enseigne la théorie des incitations en économie, annoncer à l’avance que la BCE interviendra toujours pour sauver la zone Euro pourrait être un mauvais signal pour des Etats qui seraient alors légitimement en droit de s’abstenir de tout effort de gestion sérieuse de leurs finances publiques.

Le contexte de la zone Uemoa

« Pour ce qui concerne notre zone, l’entrée en vigueur le 1er avril 2010 du nouveau traité de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) et de la réforme des statuts de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui consacre notamment l’indépendance organique de cette dernière, met en évidence la nécessité de reposer la question de la coordination des politiques macroéconomiques au sein de la zone UEMOA. En effet, plus de quinze ans après la création de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), justifiée dans le contexte de la dévaluation du Franc CFA de janvier 1994 par l’impératif d’asseoir la monnaie commune (CFA) sur des bases économiques solides, la persistance de la coexistence de deux traités, celui de l’UEMOA et celui de l’UMOA, apparaît comme un signal pour le moins ambigu quant à la vision de long terme des Autorités de l’Union sur cette dernière et surtout leur volonté effective d’en faire un espace de stabilité institutionnelle et de bonne performance économique. Dans ce contexte, la question spécifique de la coordination entre la politique monétaire dont la responsabilité incombe désormais entièrement à la BCEAO, et les politiques budgétaires, lesquelles sont du ressort des huit Etats de l’Union, c’est-à-dire le « Policy Mix », se pose avec acuité dans la zone UEMOA.Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sur le type d’Union que nous voulons construire, c’est la principale leçon que nous devons tirer des évènements actuels au sein de la zone Euro.»

Sur la monnaie unique africaine.

« On peut imaginer beaucoup de choses, mais je crois que le plus raisonnable dans le cadre de notre zone UEMOA, c’est d’envisager les modalités concrètes de réalisation de la monnaie unique pour l’ensemble de la CEDEAO qui devrait être effective en 2020. Dans cette perspective, il convient de Lever des symboles historiques permettant de dépasser un clivage entre francophones et anglophones qui n’a plus lieu d’être dans une approche africaine régionale ; une telle initiative prise par l’UEMOA lui donnerait une pleine capacité de négociation vis-à-vis des partenaires de la CEDEAO Moderniser la gestion monétaire afin de faciliter la fusion des mécanismes monétaires (réserves, parité notamment). Cependant, une question à long terme restera à résoudre : celle du calendrier détaillé de constitution de la zone monétaire.

Par la suite, une stratégie d’extension en deux étapes pourrait être esquissée :dans un premier temps, il paraît envisageable d’intégrer les pays pour lesquels l’Union Monétaire pourrait se faire avec un gain économique immédiat et un coût politique acceptable, constituant ainsi un embryon de la future zone monétaire CEDEAO. Ceci revient à privilégier les pays producteurs et exportateurs de matières premières agricoles ;

Dans un second temps l’élargissement de cette zone monétaire Ouest Africaine à l’ensemble des pays de la CEDEAO, pourrait être envisagé conformément au calendrier défini par les chefs d’Etat de la CEDEAO (2020). Cependant un tel élargissement ne pourra faire l’économie d’une réflexion et de simulations relatives aux mécanismes de solidarité entre sous espaces de la même zone afin de renforcer sa légitimité politique et de lui conférer une réelle efficience économique. A plus long terme, c’est l’un des meilleurs moyens d’impulser les échanges intra régionaux qui créeront progressivement une synchronisation des cycles économiques au sein de la zone CEDEAO ».

Vendredi 9 Décembre 2011
Ouestaf News

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