Quelques semaines seulement après la fin de la crise post électorale, le procureur de la République, près le tribunal de première instance d’Abidjan Plateau requérait les banques et établissements financiers. Il demandait à ces établissements d’empêcher tout mouvement financier sur les comptes bancaires appartenant à 148 personnalités civiles et militaires, toutes proches de l’ancien président Laurent Gbagbo. Cette réquisition plus connue sous le nom de gel des avoirs continue de frapper les dignitaires de l’ancien régime. Si la liste officielle met en lumière 148 personnes, elles sont en réalité près de 400 personnes pas toujours vraiment proches de Laurent Gbagbo à ne pas avoir l’autorisation de faire des opérations sur leurs comptes. Des hommes d’affaires sont concernés. Plusieurs sont en exil mais une bonne partie de ces personnalités est sur place à Abidjan. Elles ont engagé des démarches pour une main levée sur les comptes. Mais où en est-on avec la procédure ? Comment les concernés vivent-ils la situation ? Comment, au départ sur la liste, certains ont pu passer entre les mailles du filet ?
Pour être lavé de tout soupçon, les victimes du gel des avoirs ont cru bon d’engager la bataille au niveau judiciaire. L’affaire est confiée à des avocats. Les mêmes qui défendent tous les détenus de l’ex Majorité présidentielle incarcérés dans les prisons du nord de la Côte d’Ivoire. Mais sur ce plan, les choses n’ont pas beaucoup bougé, du moins pour l’instant.
Le volet judiciaire piétine toujours
Des auditions ont eu lieu dans le mois de juillet au parquet du tribunal de première instance d’Abidjan et des procès-verbaux d’audition établis. C’est d’ailleurs au cours des démarches pour le dégel de ses avoirs que le journaliste Hermann Aboa sera arrêté le 21 juillet 2011. Cette arrestation a eu pour conséquence de freiner ceux qui étaient tentés par cette démarche de peur de se faire épingler par la justice. Des victimes du gel des avoirs y ont vu un traquenard. Approché, le parquet, sans se livrer à des commentaires, nous renvoie à ses prochaines communications sur le sujet. ‘’Nous ne nous reconnaissons pas dans ce qui est dit dans la presse. Nous allons vous inviter à des informations sur ce dossier dans les prochains jours’’, a botté en touche l’un des substituts du procureur. L’un des avocats qui suit ce dossier se veut plus clair. ‘’Le tribunal de première instance s’est déclaré incompétent. Nous irons donc en appel. Mais comme nous venons de Korhogo, nous reprendrons le dossier dès la semaine prochaine’’, nous a confié l’avocat.
Un véritable coup contre la dignité humaine et l’honorabilité
‘’Le fait d’avoir son nom sur une liste est une façon de nous livrer à la vindicte populaire. On nous traite de voleurs. C’est un coup contre notre dignité et notre honorabilité’’. Ces propos de Dr Adja Kouassi Jules, président du collectif pour le dégel des avoirs gelés de Côte d’Ivoire (Cdag-CI) décrivent l’état d’esprit de ceux dont les avoirs ont été gelés. Il nous explique que ce sont aujourd’hui 400 personnes qui sont frappées par la mesure. Parmi elles, nombreuses sont celles dont les noms n’ont pas été publiés et qui ont été surprises par la décision du parquet. Dr Adja Kouassi entre dénonciation de l’arbitraire et plaidoirie, fait des suggestions. ‘’C’est simple, avec les banques, de clarifier la situation des uns et des autres sur l’origine ou le volume des fonds. Il suffit d’examiner les différents mouvements et flux financiers sur les comptes. Je vous assure que dans le cadre du collectif, certains parmi nous ont des soldes débiteurs’’, fait observer Dr Adja Kouassi. Son collègue du collectif, Blibli Jonas, secrétaire général du Cdag-ci bien que reconnaissant aux banques le droit d’agir conformément aux injonctions du gouvernement, évoque un zèle dans l’exécution de la réquisition du parquet sans la moindre investigation. Or, dit-il, il peut y avoir sur la liste remise aux banques, des cas d’homonymie. Sur le sujet, la consultation de la liste des 148 personnes officiellement indexées permet de relever un cas flagrant. Parmi les militaires et assimilés on note « Général Dogbo Blé Denis ». Est-ce le chef de plateau de la Rti ou le général Dogbo Blé (Bruno) et non Denis ? Les banquiers devraient se poser cette question. L’autre exemple frappant est celui de Dakoury-Tabley Louis Philippe. On se demande s’il s’agit du gouverneur de la Bceao qui répond au nom de Dakoury-Tabley Henry Philippe. On pourrait aussi avoir des supputations sur les cas d’erreurs de frappe inadmissibles pour un document aussi important et émanant de hautes autorités judiciaires. A titre d’exemple, il a été écrit madame Gnapri au lieu de Gnabri, s’agissant du député d’Attécoubé Marie Odette Lorougnon ou encore Odéhourou Géraldine au lieu de Odéhouri, du nom de la conseillère de Laurent Gbagbo. Enfin qui est Wilirueya sans autre précision comme cela figure sur la liste ? Et si ces personnes ne se reconnaissaient pas dans ces noms ? Autant d’indices qui dénotent d’une certaine précipitation avec laquelle la liste fut établie. Impuissants, les membres du collectif se limitent à quelques actions en vue de régulariser leur situation. Ils rencontrent ainsi des organisations de défense des droits de l’Homme qui acceptent bien de les écouter. Ils ont également rencontré le Grand Médiateur. Pour donner plus d’envergure à leur action, ils ont coopté le Cnrd à qui un dossier a été transmis. Mais à ce niveau, difficiles s’annoncent les choses avec les dernières résolutions du comité central du Fpi qui a décidé de se retirer du dialogue entamé avec le pouvoir. Le dégel des avoirs faisait d’ailleurs partie des points de discussion du document remis au Chef de l’Etat le 29 septembre 2011 au cours d’une audience au palais présidentiel. Pour l’instant, les victimes des avoirs gelés sont, selon les termes de Dr Adja Kouassi, réduites à une sorte de mendicité. Elles n’arrivent plus à supporter les charges familiales surtout en cette période de rentrée scolaire. Pour elles, cette action est une atteinte aux droits de l’Homme. Mais comme une lueur d’espoir dans la grisaille, 43 personnes ont désormais accès à leurs comptes. Comment ont-elles procédé ? Le collectif n’a aucune réponse à cette question. C’est souvent le fruit de démarches personnelles dont on ne sait les contours. Seulement ces heureux ont eu à être auditionnés. Il y a parmi eux, de gros bonnets, des opérateurs économiques comme le conseiller économique et social Roland Dagher et Paul Yao N’dré.
Lobbying et chantage politique pour être admissible au dégel
Certaines sources indiquent que la procédure judiciaire à elle seule ne suffit pas pour être admissible au dégel. ‘’On veut que nous allions faire la courbette devant nos adversaires politiques pour avoir nos comptes dégelés’’, nous a confié une source au Fpi. Cela signifie-t-il qu’il faut aller faire allégeance au Président Ouattara ou virer au Rhdp ? Notre interlocuteur ne donne pas de réponse précise à la question. Mais si tel devrait être le cas, il avertit que le nouveau régime se trompe de cible car il n’est pas question, martèle-t-il, de faire profil bas. Mais si telle est la position des politiques, les opérateurs économiques procèdent, eux, par lobbying. On évoque le cas d’un opérateur économique dans le domaine des hydrocarbures. Son entourage aurait pesé de tout son poids économique en présentant des arguments solides pour voir ses comptes dégelés. Ne pas le faire reviendrait à créer de nombreux dommages à des clients directement liés à ses activités. Ces arguments ont amené à infléchir la position du parquet. D’autres actions sont aussi menées par des personnes de bonne volonté qui visent le même objectif. La presse a relayé récemment des propos de Gervais Coulibaly qui a annoncé le dégel des avoirs pour une cinquantaine de pro-Gbagbo. ‘’Je négocie pour la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas une démarche personnelle. Le chiffre 50 nous a été donné par le gouvernement. Nous avons demandé plus, le gouvernement nous a dit que c’est 50 personnes qui peuvent pour l’instant bénéficier du dégel. Le dossier se trouve entre ses mains et on attend toujours qu’il nous appelle à la discussion. Je ne peux donc pas vous dire qui est sur la liste et qui ne l’est pas’’, a dit le président de Cap Udd (parti pro-Gbagbo) qui parle de discussions politiques. Le dossier reste entier. Parmi les concernés, il y a des personnalités qui sont frappées par des sanctions de l’Union Européenne (UE), comme la plupart des membres du gouvernement Aké N’Gbo. Pour cette catégorie, il faudra mener la bataille à la fois sur les fronts national et international. Pas seulement dans l’UE, car le gouvernement ivoirien a lancé des commissions rogatoires dans plusieurs pays (Etats-Unis, Canada, Emirats Arabes Unis, Angola, Afrique du Sud…) à l’effet de saisir les comptes éventuels des pro-Gbagbo dans ces pays.
Source: L’Intelligent d’Abidjan
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