Procédures et exécution du mandat de la CPI – Le procureur de la République dit tout, tout et tout !

 

Source: L’Intelligent d’Abidjan

Le procureur de la République, Simplice Koffi Kouadio est rentré de Korhogo où, le mardi 29 novembre 2011, il a mis à exécution le mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale, lancé contre l’ex-président Laurent Gbagbo. Lors de sa conférence de presse, le vendredi 1er décembre 2011 à la Cellule spéciale d’enquête sur les événements de la crise postélectorale, Simplice Koffi Kouadio a donné des détails sur le transfèrement de Laurent Gbagbo à La Haye.

Des enquêtes ouvertes en Côte d’Ivoire
« L’enquête ouverte à la suite de la crise postélectorale a été subdivisée en plusieurs volets. Une information judiciaire a été ouverte pour les infractions économiques et M. Laurent Gbagbo a été inculpé pour ces faits. L’instruction préparatoire suit son cours. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, le juge d’instruction peut rendre une ordonnance de non-lieu pour dire l’affaire est terminée et qu’après ses investigations, il estime qu’il n’y a pas de charges contre vous. Il peut, s’il estime qu’il y a des charges contre vous, vous ramener devant la juridiction de jugement. Pour le cas de M. Laurent Gbagbo, si le juge d’instruction estime qu’il y a des charges et qu’il faut le ramener devant la juridiction de jugement, le procès se tiendra et nous prendrons toutes les dispositions pour que le procès puisse se tenir.

Pour le moment, nous sommes au stade de l’instruction préparatoire et les choses se poursuivent.
Le juge d’instruction nous dira après ce qu’il a eu dans son dossier (…) Nous avons ouvert une information judiciaire pour des infractions économiques ciblées, c’est-à-dire des infractions commises au préjudice de l’Etat, à savoir les détournements de deniers publics, le braquage de certaines entités spécifiées, c’est-à-dire les banques, la BCEAO, la commission bancaire de la Bourse régionale des valeurs. Mais, pour ces faits, est-ce qu’objectivement on peut poursuivre quelqu’un du camp du président actuel ? Est-ce qu’on peut reprocher aux partisans du président actuel d’être allés prendre l’argent dans les banques, suite à une réquisition ? (…) Comment peut-on reprocher à des gens qui étaient reclus au Golf d’avoir participé à des braquages dehors ? Pour ces faits, une information judiciaire est déjà ouverte. La deuxième information qui est ouverte, ce sont toutes les infractions relatives à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat. Mais, pour l’instant, ceux à qui on reproche d’avoir voulu confisquer le pouvoir, d’avoir fait un coup de force pour confisquer le pouvoir malgré leur défaite, ce ne sont pas ceux qui dirigent actuellement. Il y a le volet « crimes de sang » et là on parle de 3.000 morts, au bas mot et de plus de 8.000 victimes (…) mais pour chaque catégorie d’information, le juge d’instruction est libre d’inculper tous ceux qui ont participé, d’une manière où d’une autre, aux faits. Mais, compte tenu du nombre de victimes, nous ne pouvons pas encore ouvrir une information pour les crimes de sang.

Nous sommes à peu près à 4.000 personnes entendues dans le cadre de l’enquête préliminaire (…)
C’est compte tenu du nombre de victimes que nous avons décidé d’attendre un grand nombre avant d’ouvrir une information judiciaire, pour faciliter le travail du juge d’instruction. Ne nous faites pas des procès d’intention. Ceux qui parlent, est-ce qu’ils savent que les informations qui sont ouvertes ne concernent que ces deux faits ? On ne saurait aller arrêter quelqu’un du gouvernement actuel, parce qu’il aurait participé au braquage de la BCEAO. C’est inimaginable. Chacun paie pour ce qu’il a fait. Il n’y a pas de justice de vainqueurs. La CPI, elle pratique aussi la justice des vainqueurs ? Il faut qu’on sache ce qu’on veut. D’un côté, on dit que ceux qui sont à Abidjan pratiquent une justice des vainqueurs, c’est-à-dire qu’on arrête les gens d’un seul camp. Mais si vous avez la chance que ceux qui sont objectifs, indépendants, neutres, disent qu’ils veulent juger cette affaire, acceptez qu’ils le fassent pour que la vérité puisse sortir. Vous ne faites pas confiance à la justice ivoirienne, des gens qui sont à l’extérieur disent qu’ils vont juger l’affaire, vous refusez. Mais, en quelle justice voulez-vous faire confiance ? Dieu ne va pas venir juger les gens ici».

Des prochains destinataires des mandats d’arrêt
« Je ne saurais vous le dire. La CPI n’est pas une juridiction ivoirienne, elle est totalement indépendante. Mais, pour les charges retenues contre le président Gbagbo, ce qui figure dans le mandat d’arrêt c’est qu’il est reproché « d’avoir commis des crimes contre l’humanité ayant pris la forme de : Meurtres, Viols et d’autres formes de violences sexuelles, actes inhumains, actes de persécution, commis sur le territoire de la Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011. C’est ce que mentionne le mandat d’arrêt ».

De la compétence de la CPI pour intervenir en Côte d’Ivoire
« La Côte d’Ivoire n’a pas ratifié le Traité de Rome, mais la compétence de la CPI peut être reconnue par le gouvernement d’un Etat pour des faits précis, même si l’Etat n’est pas partie prenante au Traité. Le Conseil de sécurité des Nations Unies peut demander à la CPI d’aller enquêter sur des faits dans un Etat, même si ces faits se sont produits dans un Etat qui n’est pas partie au Traité. C’est le cas du Darfour (…) Chez nous en Côte d’Ivoire, c’est le gouvernement ivoirien qui depuis le 18 avril 2003, a reconnu la compétence de la CPI pour les événements liés à la crise survenue dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Le gouvernement actuel n’a fait que confirmer, le 14 décembre 2010, la déclaration de reconnaissance de compétence déjà faite et c’est le 4 mai que le président de la République a écrit au procureur près la CPI pour lui dire : «nous avons fait une déclaration de reconnaissance de votre compétence pour des événements qui se sont passés ici, nous avons confirmé cette déclaration de reconnaissance de compétence, venez enquêter». Donc, c’est tout à fait légal que la CPI vienne enquêter ici. Les deux présidents qui se sont succédé ne sont pas du même bord, ils ne peuvent pas comploter contre les Ivoiriens au même moment (…)

En ce qui concerne le mandat d’arrêt, il a été lancé par la CPI.
Je ne suis qualifié pour expliquer comment la CPI fonctionne, mais en général, on n’attend pas la fin de l’enquête pour décerner des mandats d’arrêts. Ils peuvent être décernés à tout moment (…) Je ne suis pas qualifié pour justifier les actes du président de la République (…) mais le mandat d’arrêt que j’ai ne mentionne pas la mention « co-auteurs indirects ». Avez-vous déjà vu le mandat d’arrêt ? Chaque juridiction a ses expressions. Ce que dit la CPI engage la CPI. Ils n’ont aucun intérêt à nous rendre compte, puisqu’ils ne sont pas sous notre autorité (…) S’ils parlent de cette mention, c’est que cela existe chez eux, mais ce n’est pas le Droit ivoirien qu’ils sont en train d’appliquer (…) Moi, quand je poursuis quelqu’un, je me dis que le complice même peut être plus responsable que l’auteur des faits (…) On ne peut pas dire que le donneur d’ordres est moins coupable que celui qui exécute (…) Vous me reprochez d’enquêter sur les événements de la crise postélectorale, en laissant les événements de 2002. Est-ce que le parquet d’Abidjan vient d’être créé ? L’administration n’est-elle pas une continuité ? Si des enquêtes avaient été ouvertes, j’aurais continué. Pourquoi ces événements sont restés sans enquêtes depuis 2002, alors que l’Etat a ses représentants légaux ? Celui qui voulait porter plainte en 2002, il lui était loisible de le faire. On ne vient pas de créer le parquet d’Abidjan, je ne suis pas le premier procureur de la République (…) Je ne rentre pas dans les jeux de mauvaise foi. Des faits viennent de se produire, ce sont des faits graves, on ne peut pas dire que tant qu’on n’a pas poursuivi les gens de 2002, on ne poursuivra pas ceux de 2010. Quel est ce raisonnement ? (…) Une fois que le juge d’instruction est saisi pour les faits de crimes de sang, tous ceux qui sont susceptibles d’avoir participé à ces faits, doivent être inculpés par le juge d’instruction. C’est ce que la Loi prescrit (…) On peut ouvrir une information contre X, mais si le juge d’instruction estime que vous avez participé à ces faits, même si l’information judiciaire est ouverte contre X, il vous inculpe.

On ne peut pas savoir
si des proches de Gbagbo seront inculpés ou pas.
L’enquête a pour but de rechercher les auteurs des faits. Il y a eu des gens qui ont été tués, il y en a qui ont été blessés, des gens ont perdu leurs biens, nous menons l’enquête pour savoir qui a fait quoi (…) Le juge d’instruction qui est saisi, il poursuit qui il veut. Mais jusque-là, il n’y a que deux (2) informations judiciaires qui sont ouvertes : les événements de la crise postélectorale. Il y a les atteintes à la sûreté de l’Etat, parce que nous estimons que lorsqu’on a organisé des élections, que vous les avez perdues, quelques individus auréolés de leur titre de juge constitutionnel, en violation flagrante de la Loi, viennent vous proclamer vainqueur et vous formez un gouvernement, c’est que vous êtes en train de faire un coup d’Etat. Est-ce que c’est à M. Ouattara qu’on doit reprocher ce fait ou c’est à M. Laurent Gbagbo ? (…) Une information a été ouverte pour le cas des Français tués au Novotel, voulez-vous qu’on aille chercher les gens de M. Ouattara pour les mettre en prison, alors que des individus ont avoué avoir participé à ces faits ? Et on dit que ces militaires sont détenus arbitrairement. Qui connaît le contenu du dossier ? Des gens qui ont participé à l’enlèvement ont avoué avoir participé à l’enlèvement. Mais, comme la mauvaise foi est la chose la mieux partagée dans la Côte d’Ivoire d’après 1990, chacun peut y aller de son commentaire »

De la rapidité du transfèrement de Gbagbo
«En la matière, il y a un mélange de textes de Statut de Rome et de Lois nationales. La CPI, lorsqu’elle décerne un mandat d’arrêt, elle vous demande de l’exécuter selon les procédures internes, selon la Loi nationale (…) C’est ce que nous avons fait et la Chambre d’Accusation a siégé, de 15 heures à 18 heures. Le président Laurent Gbagbo était lui-même présent à l’audience et il était assisté de cinq (5) avocats qui l’ont défendu. Pourquoi tout s’est fait le même jour ? Est-ce que les gens ont eu le temps ? Ceux qui décernent les mandats d’arrêts ont des exigences et l’une des exigences premières de la CPI, c’est la confidentialité. Le mandat d’arrêt est arrivé chez moi sous scellé et le principe de la confidentialité voudrait qu’on n’informe personne, jusqu’à l’arrestation de l’intéressé. Ce n’est pas un principe ivoirien (…) On ne peut donc pas dire à un individu qu’il y a un mandat d’arrêt contre Laurent Gbagbo (…) A partir du moment où vous êtes chargé d’exécuter un mandat d’arrêt, vous faites ce que votre mandant vous demande et en l’espèce, la CPI a ses règles internes qui disent qu’on ne doit pas savoir qu’il y a un mandat d’arrêt contre un tel ou un tel avant son arrestation (…) Ce n’est que le même jour qu’on a dit aux avocats de Laurent Gbagbo : «il y a un mandat d’arrêt qui vient d’arriver, voulez-vous plaider coupable ? Tout le monde a plaidé pendant des heures».
Propos recueillis par Olivier Dion

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