Interview – Nyamien Messou rompt le silence: « après la chute du présumé «dictateur», toutes les libertés individuelles et collectives sont entre parenthèses »

 

Source: Le Temps

Interview –

M. le Ministre, où vous cachez-vous actuellement ?

C’est la première fois que je m’adresse aux Ivoiriens. Permettez-moi donc de m’incliner respectueusement devant toutes les victimes des événements tragiques qui se sont déroulés et qui se déroulent encore dans notre pays. Cela fait, je suis au Ghana depuis le 14 avril 2011.

Comment se passe votre vie d’exilé ?

Pas si mal. Je passe le plus clair de mon temps à lire. Et puis je me rends compte que cela fait des années que j’ai pris des vacances. J’ai lu quelques quotidiens ivoiriens qui m’ont amusé. Le journal « Le jour plus », par exemple, donne l’information selon laquelle je suis à Accra et que j’ai été aperçu au centre commercial « Accra mall ». Dans un autre article illustré par ma photo et celle d’Odette Sauyet, ce même journal prétend que les exilés sont malades et ont faim. Je voudrais dire que je me porte très bien jusqu’à présent.

Quels sont vos rapports avec les autres cadres exilés ?

Nous nous appelons souvent, et nous nous rencontrons quelquefois, pour avoir des nouvelles des uns et des autres, et discuter des nouvelles que les uns et les autres ont du pays que nous avons tous été contraints de quitter pour les mêmes raisons.

Qu’est ce que vous préparez ? On parle de coup d’Etat ?

Je comprends qu’ils en parlent. Parce qu’ils sont parvenus au pouvoir dans des conditions troubles, il est normal qu’ils redoutent qu’un coup d’Etat ne vienne les dégager. Mais, avez-vous déjà vu des syndicalistes préparer un coup d’Etat ? Non! (…) Que ceux qui ont érigé la violence en moyen d’arriver au pouvoir arrêtent de projeter leur image et leur crainte.

Pourquoi ce long silence?

Je suis resté silencieux pendant longtemps parce que je tenais à faire une analyse froide de la situation avant de faire une quelconque déclaration. Généralement, lorsqu’on réagit à chaud, on est emprisonné par ses émotions. Cela est encore plus vrai lorsque l’on traite d’un événement dans lequel on est impliqué.

N’avez-vous pas eu tort d’avoir eu raison trop tôt en disant que c’est la France qui a attaqué la Côte d’Ivoire dès le mois de septembre 2002 ? Quelle analyse faites-vous de la situation ?

Nous avons communiqué énormément sur cette situation, notamment avec mon syndicat, le Synares. Nous avons expliqué aux Ivoiriens et à la communauté internationale les raisons profondes de la crise. Je rappelle que pour nous, la France a attaqué la Côte d’Ivoire pour revenir aux paradigmes de gouvernance d’Houphouët dont les deux les plus importants sont :

>La Côte d’Ivoire n’appartient à personne;

>La France doit disposer de la Côte d’Ivoire.

Il est donc clair que, pour nous, tout le reste n’est qu’habillage. Voilà ce que nous disions avant la crise post-électorale. Pour confronter cela à la réalité, il faut se souvenir des arguments utilisés par la France pour attaquer la Côte d’Ivoire ?

>Gbagbo est un Président minoritaire

>Gbagbo a une armée ethnique

>Gbagbo est un dictateur

>Gbagbo ne veut pas aller aux élections parce qu’il veut confisquer le pouvoir

Voilà les arguments relayés à grands traits par les média internationaux pour justifier tous les coups bas. Examinons-les à la lumière de ce qui se passe aujourd’hui.

Gbagbo est un Président minoritaire :

Un tel argument ne peut plus être évoqué puisque dès le premier tour des élections, le poids de chaque « poids lourd » de la scène politique ivoirienne a été jaugé. Gbagbo devance de très loin chacun de ses concurrents.

Gbagbo a une armée ethnique

>Il suffit, pour se convaincre du contraire d’une telle affirmation, de voir tout le mal qu’on pourrait avoir pour relever une quelconque bétéisation de l’encadrement des Fds constitué par le Gal Mangou Philippe (Ebrié Cema), le Gal Kassaraté (Kroumen, Commandant supérieur de la Gendarmerie), le Gal Touvoly bi Zobo (Gouro, Cema du Palais présidentiel), le Gl Guiai bi poin (Gouro, Commandant du Cecos et de l’Ecole nationale de gendarmerie), le Gal Dogbo blé (bété, Commandant de la garde républicaine), le Gal Vagba Faussignaux (bété, Commandant de la Marine Nationale), le Cl-major Konan boniface (baoulé, Com’théâtre). De tous ceux que je viens de citer, seuls les Généraux Dogbo blé et Vagba Faussignaux sont bété, sans oublier que l’Armée de Terre, l’Armée de l’Air et la police nationale ne sont pas dirigées par des bété. A ces grands commandements de l’armée ivoirienne, il faut ajouter le redoutable gendarme Abéhi et d’autres valeureux soldats de grande réputation.

En revanche, il n’existe aucun chef de guerre de l’armée de Ouattara qui ne soit du Nord : Chérif Ousmane, Koné Zakaria, bakayoko, Wattao,… Je vous laisse conclure.

Gbagbo est un dictateur

Aujourd’hui, après la chute du présumé « dictateur », toutes les libertés individuelles et collectives sont mises entre parenthèses. Sous le prétexte de rechercher des armes, des domiciles sont fouillés de jour comme de nuit sans commission rogatoire, mis à sac par des hommes en treillis. Des hommes sont battus et tués dans les villes comme dans les villages. Curieusement, les organisations de défense des droits de l’Homme ont perdu la voix. Dites-nous, de quel côté peut-on parler de dictature ? Pour aller plus loin, je dirais que nous avons franchi le pas de la dictature pour parvenir au fascisme. Il est, en effet, inimaginable qu’un procureur de la république puisse déclarer dans une démocratie que les rebelles et autres FRCI (Rebelles) sont intouchables parce qu’ils sont des sauveurs Et l’on prétend que l’on combat l’impunité.

A côté de tout cela, on est bien obligé de reconnaître que le Président Gbagbo, avec tous les moyens d’Etat dont il disposait, n’avait jamais attenté pendant 10 ans à la vie d’un chef rebelle. Il a fait voter une loi sur la presse qui ne permettait pas de jeter un journaliste en prison. Il a fait adopter la loi selon laquelle tous les anciens hauts responsables de l’Etat perçoivent une rente viagère (je rappelle qu’à ce titre Bédié et Ouattara avaient au moins 10 millions par mois chacun…), la parole était libérée.

Gbagbo ne veut pas aller aux élections parce qu’il veut confisquer le pouvoir .

Le déroulement des élections en zone sous contrôle rebelle nous a montré qu’aller aux élections sans le désarmement des ex-rebelles était une partie intégrante de la stratégie française. En même temps qu’il fallait utiliser tous les subterfuges pour que le désarmement n’ait pas lieu, il fallait convaincre l’opinion que l’organisation des élections était possible.

Le résultat, on le voit. Sarkozy a actionné ses réseaux pour que l’inacceptable puisse passer : le nombre de voix obtenues, lors d’un vote, est largement supérieur au nombre d’inscrits. Pour Sarkozy, et plus particulièrement en ce qui concerne les voix obtenues par son poulain Ouattara, 2 plus 2 ne font pas 4, mais bien 20. Et ban Kimoon peut dire que « recompter les voix serait une injustice ». On a battu le record Guiness du ridicule.

>En vérité, le Président Gbagbo n’attendait pas autre chose que d’aller aux élections avec un territoire unifié ayant retrouvé l’autorité de l’Etat, et des rebelles désarmés. Ces conditions élémentaires étaient celles inscrites aux nombreux accords dont le dernier, celui de Ouagadougou. En réalité, il a peut-être eu le grand tort de céder à la pression internationale en allant aux élections pipées avec des rebelles en armes et le nord encore sous occupation rebelle. Je crois qu’aujourd’hui il y a très peu d’Ivoiriens qui ne comprennent pas ce que nous disions. Tout le monde voit bien qu’il s’agit d’une guerre d’occupation. Une armée composée de « troubadours » recrutés partout dans la sous région, principalement au burkina et au Mali, qui sème la terreur. Tous comprennent qu’il s’agissait de la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire en s’appuyant sur des Ivoiriens. Mais, même ceux-là n’auraient jamais eu raison de l’armée ivoirienne, si la France et les Etats-Unis d’Amérique ne s’étaient pas mis en première ligne. Leurs propres médias, tel que France 24, l’ont reconnu, en avril 2011, avant l’intervention des barbouzes de Sarkozy sur Abidjan.

Aujourd’hui, une simple altercation entre un Ivoirien et un burkinabè ou un Malien donne lieu à une expédition punitive contre l’Ivoirien. Dans nos campagnes, ce sont les étrangers à qui les communautés ivoiriennes ont donné gîte et couvert qui sont devenus FRCI(Rebelles), et qui décident de laisser les paysans venir au village ou non. En ville, pendant que le Gouvernement parle d’état de droit pour faire plaisir à la communauté internationale, les FRCI(Rebelles) occupent les domiciles, roulent dans des voitures arrachées à des citoyens au motif qu’ils ont soutenu Gbagbo. Pendant ce temps, des hommes et des femmes parlent de réconciliation comme s’ils étaient obligés de chanter à la gloire du mal.

Mon véhicule Mercedes classe G acquis dans sa 10e année, il y a 4 ans, est conduit, tranquillement, par un de ces éléments FRCI(Rebelles) qui a poussé le toupet en mettant à la place de la plaque d’immatriculation son nom : commandant
Zatio. Quelle honte! C’est cela l’état de droit de Ouattara et de la France.

Les événements du 11 avril vous donnent raison…

Oui, mais je n’en suis pas heureux. En effet, en confrontant ce que nous avons dit à la réalité, peut-on penser que nous étions dans le vrai ? Oui, mais avouons que certains aspects de la crise nous avaient échappé. Certes, la France est restée en première ligne, mais c’est à la lumière de ce qui s’est passé en Libye que nous nous rendons compte que c’est tout l’Occident qui est concerné. Après la chute du communisme et le retour au capitalisme triomphant, les Occidentaux ont pensé que leur domination sur le monde serait sans partage pour longtemps. Une quinzaine d’années plus tard, ils voient émerger de nouvelles puissances, fruit d’une synthèse harmonieuse entre capitalisme et communisme.

Généralement, ils pratiquent un capitalisme d’Etat. Leur chef de file est la Chine. Dans tous les domaines, ils proposent à la fois une main-d’œuvre bon marché et une capacité technologique sans complexe. Pour vous donner un exemple
courant : dans le domaine très porteur des téléphones portables, seuls, Apple (americain), blackberry (canadien) et Nokia (norvégien) ont pu survivre en occident. Samsung, qui compte 3 fois plus de chercheurs que le Cnrs (français), affiche des résultats sans pareil. Il en va ainsi pour le taïwanais Htc, le chinois Huawai, etc. Déboussolés, les Occidentaux, qui ont tous atteint des records en matière de déficit budgétaire, ont décidé de barrer le chemin aux pays émergents dans la course aux matières premières. N’ayant plus d’arguments, ils suscitent des rebellions. Lorsque les Etats tentent de les mâter, les Occidentaux font appel aux Nations unies pour leur permettre de « protéger les civils ».

Ainsi, ils se mettent en première ligne, puis, à la fin, ils font passer les rebelles pour des vainqueurs. Voilà qui montre que l’Occident (le bloc Usa-Union européenne) est en guerre dans tous les Etats africains où il pense maintenir son hégémonie sur des ressources naturelles en abondance. Cet aspect nous avait quelque peu échappé. C’est pourquoi, nous n’avions pas imaginé que, après 2004, la France irait jusqu’à intervenir aussi directement et aussi lourdement dans un
simple conflit post-électoral en Côte d’Ivoire.

Pour nous résumer, la France a attaqué la Côte d’Ivoire pour revenir aux paradigmes de gouvernance d’Houphouët en utilisant des vassaux (…). Cette action s’inscrit dans l’objectif global de barrer le chemin de l’expansion des pays émergents dont le chef de file est la Chine.

Pour rire un peu, ‘’Le Patriote » a titré un jour : « 4 mois après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, enfin une vraie armée, Gbagbo avait choisi l’ethnie, Ouattara, la patrie ». Face à une telle affirmation, on peut dire que nous ne nous sommes pas mis d’accord sur la définition de la patrie. Peut-être que nos amis de « Le Patriote » pensent que l’objectif des Ivoiriens est de re-créer le royaume d’El Hadj Omar ou de Soundiata Kéita. Ils ont oublié que l’Etat dont il est question est la Côte d’Ivoire. En vérité, je pense qu’ils n’ont pas oublié, mais ils ont une difficulté objective : comment faire croire à l’opinion internationale que les arguments largement utilisés pendant des années restent valables.

Pour résoudre cette équation, je leur suggère de créer une édition internationale de leur journal où ils peuvent dire tout pour faire plaisir à la communauté internationale. Ils peuvent même faire croire, par exemple, dans cette édition internationale, que dans ce pays 99% de ceux qui ont au moins le bepc sont du Nord, ce qui justifierait tranquillement la constitution d’un état tribal et népotiste à laquelle on assiste dans tous les grands services. Ce qui éviterait que dans une édition nationale, ils soient contraints de dire des choses aussi grossièrement fausses aux yeux de tous les Ivoiriens. Je profite de cette occasion pour indiquer qu’on n’a jamais atteint un tel niveau de dérive tribale en Côte d’Ivoire depuis 1960.

Le Président Koulibaly dit que ce n’est pas la France qui a attaqué la Côte d’Ivoire…

Il faut bien comprendre ce que dit Koulibaly. Je pense qu’il veut indiquer que la France a beau vouloir faire un coup en Côte d’Ivoire, tant qu’elle n’a pas de prétexte, elle ne peut pas agir. C’est pourquoi, il met l’accent sur nos querelles qui ont rendu possible ce qui est arrivé. Le journal « L’Inter » indique que le Président Koulibaly a entraîné le député Ateby William et Nyamien Messou quand il a dit que la France a attaqué la Côte d’Ivoire. Je dois dire que le journaliste donne une information me concernant qui est loin d’être correcte.

En effet, la Côte d’Ivoire a été attaquée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Le Secrétaire Général du Synares que je suis a été le premier à déclarer, dès le 22 septembre 2002, « La France vient d’attaquer la Côte d’Ivoire ». Jusqu’à présent, sur ce point, nos analyses n’ont pas varié d’un pouce. Je n’ai donc pas été entraîné par Koulibaly sur ce point. J’invite le journaliste à revisiter l’histoire de la crise. Quant au fond, je pense que le Président Koulibaly ne change pas de position, mais simplement de ton. Je l’attribue au jeu de rôle naturel en politique. Certains de ses proches vont se rendre compte que le discours d’un homme politique prend en compte son positionnement. Ils vont comprendre peut-être que le président Gbagbo n’avait pas les mêmes contraintes que Koulibaly au moment où certains parmi eux disaient que le Président Gbagbo avait trahi la lutte. Ce sont les contraintes naturelles du premier responsable qui amènent Koulibaly à changer de ton. C’est normal.

Quels commentaires faites vous de la démission de Mamadou Koulibaly du Fpi ?

Je ne peux pas porter un jugement de valeur sur le départ de Koulibaly d’une structure à laquelle je n’appartiens pas moi-même. Cependant, le Président Mamadou Koulibaly symbolise, pour une frange importante d’Ivoiriens, le politicien honnête, de sorte que nous suivons avec intérêt ce qu’il dit.

Je vais vous dire ce que j’en pense. Je voudrais, à ce niveau, dire à notre ami commun, Brissi, qui a dit dans une note qu’il reconnaissait la plume de Nyamien Messou et d’Ateby William dans un papier parlant de plagiat de Koulibaly, que notre ami m’a côtoyé, mais ne me connaît pas. Qui sait comment je donnais mon avis sur la gestion de l’Etat le 1er mai de chaque année, doit comprendre que si je veux émettre des critiques à l’endroit de Koulibaly, je n’ai pas besoin de me cacher derrière un pseudonyme.

Le sujet, l’utilisation de la déclaration d’indépendance des Etats Unis d’Amérique, ne me préoccupe pas. C’est la première fois que j’interviens depuis le 11 avril. Le Président Koulibaly est certainement un des universitaires les plus brillants de sa génération, il est donc toujours intéressant de suivre ses analyses. Je commence par indiquer que le Président Koulibaly a toujours porté un jugement critique sur les attitudes de ses camarades et la gestion du Président de la république. J’avoue que, bien souvent, j’ai partagé nombre de ses critiques.

Après le 11 avril et l’arrestation du Premier ministre Affi, Le Président Koulibaly a proposé à ses partisans la possibilité d’aller à un Congrès qui ferait une autocritique sans complaisance et qui pourrait aboutir à des réformes importantes telles le changement de la ligne, peut-être même de dénomination. Il n’a pas été suivi; il a été mis en minorité dans son parti. Avait-il raison ou tort ? Sur ce point, l’histoire nous indique que de telles propositions ne sont envisagées que lorsqu’un parti politique sort d’une grande débâcle électorale. Or, dans le cas d’espèce, même à considérer, comme le dit Koulibaly, que Gbagbo a perdu les élections, on est loin d’une débâcle électorale quand, en dehors de Soubré, Yamoussoukro, Toumodi , Bouaflé, Didievi et Daoukro, Gbagbo n’a perdu face à la coalition bédié-Ouattara, qu’en zone sous contrôle rebelle. Cela me permet de penser qu’il fallait relativiser un peu les critiques contre le Fpi.

D’aucuns parlent de trahison…

Je pense qu’on ne peut pas parler de trahison. On vient dans un parti parce qu’on partage sa vision. Quand on ne s’y sent plus à l’aise, on le dit et on s’en va. Et c’est loyal.

Le moment n’est-il pas mal choisi ?

Non, il n’y a pas de moment privilégié pour partir d’un groupe.

Koulibaly soutient que le Président Gbagbo a perdu les élections…

Le Président Koulibaly et les cadres du Fpi ne pouvaient pas continuer puisque leurs analyses divergent dès le départ. Le Président Koulibaly pense effectivement que le Président Gbagbo a perdu l’élection. Ce qui signifie, en clair, qu’il a voulu confisquer le pouvoir. Dans ces conditions, tout ce qui lui arrive est normal. Il n’avait donc pas besoin de dire que, pour lui, la libération du Président Gbagbo n’est pas une priorité. Cela va de soi. Les autres estiment que le Président Gbagbo a gagné l’élection et que la France a réalisé un coup d’Etat. Vous comprenez que, là, il s’agit de positions difficilement conciliables. C’est une divergence de fond. Aucun parti sérieux dans le monde ne peut se passer d’un débat clair sur la question de savoir qui a gagné les élections avant de projeter d’aller à un congrès pour se choisir de nouveaux dirigeants, en passant en pertes et profits ce qui est arrivé et avancer. Je comprends donc que le Président Koulibaly ne puisse pas accepter la
posture des autres, et eux non plus ne pouvaient pas admettre un tel passage en force.

Le Président Koulibaly est allé jusqu’à dire que le Fpi a repris à son compte le discours de l’ivoirité…

Sur ce point, je pense que l’analyse froide des résultats de l’élection présidentielle montre que Gbagbo est le seul candidat qui ait été accepté totalement en dehors de sa région, alors que monsieur Ouattara a eu des scores à la soviétique dans le nord, et le Président bédié s’est replié au centre.

Maintenant que le clan présidentiel, dans son ensemble, ait mis l’accent sur la question nationale, oui c’est vrai. Mais, la suite des événements donne raison à ce clan. La question nationale n’est pas à négliger dans le conflit ivoirien. Je suis d’accord avec lui quand à chacune de ses sorties, il indique que les étrangers sont une chance pour la Côte d’Ivoire. Ici, la question qui est posée n’est pas celle là. Il s’agit de se demander si les étrangers en Côte d’Ivoire doivent avoir un statut différent de celui qu’ont les étrangers dans tous les pays du monde. Malheureusement, dans le cas de la Côte d’Ivoire, les positions sur la question visent à mettre en œuvre la politique basée sur un principe : la Côte d’Ivoire n’appartient à personne. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que lorsque monsieur Ouattara a été Premier ministre de Côte d’Ivoire, deux hommes clé de son système étaient Touré Sydia, directeur de cabinet, et Koupatchi, conseiller technique principal.

Quelques années après son départ de la primature, Touré Sydia est devenu Premier ministre dans son pays, la Guinée, et Koupatchi est devenu Ministre des Finances dans son pays, le Togo. Dites-moi, si, à cette époque, le cabinet de monsieur Ouattara avait eu à trancher des questions d’intérêt national entre la Côte d’Ivoire et la Guinée ou le Togo, qu’aurait fait le cabinet. C’est de cela qu’il s’agit. Il est hors de question d’envisager cela sous l’angle qui consiste à dire que les étrangers sont une chance pour la Côte d’Ivoire. Ce quenous disons est simple : les étrangers ne doivent pas avoir le droit de vote et ne doivent pas être des décideurs dans les secteurs clés de notre administration. C’est aussi simple que cela. Mais ceux d’entre eux qui optent pour la nationalité ivoirienne ont ces droits.

Le Président Koulibaly a aussi souvent répété que le Président Gbagbo a été victime de son clan…

A l’analyse, un Homme politique placé à la première loge comme le Président Gbagbo, s’il est démocrate, peut toujours être considéré comme otage d’un clan. En effet, le premier cercle d’un chef est toujours traversé par plusieurs courants. C’est pourquoi, on finit toujours par dire qu’il y a des durs et des modérés. Quand, pour prendre une décision soumise à débat, il se soumet à la volonté d’un groupe dont l’opinion devient majoritaire, la minorité peut le taxer d’être emprisonné par ce groupe. Ce qui est important, c’est que, lorsqu’une décision est prise au nom de l’ensemble, personne ne doit dire, même après coup, surtout lorsqu’il y a eu échec, qu’il n’était pas d’accord. En cela, la démocratie suppose deux éléments importants :

>L’humilité

>La responsabilité

Je vais m’appuyer sur un exemple pour bien faire comprendre ma position.
En novembre 2004, l’opinion autour du Président Gbagbo était divisée sur la conduite de la lutte. Le Président Koulibaly incarnait l’aile de ceux qui souhaitaient l’option de la guerre pour libérer le pays. Aussi, le Président Koulibaly a-t-il préparé l’opération dignité, au départ, sans l’accord du Président Gbagbo. A quelques jours de son lancement, il a essayé, par un intermédiaire qui se reconnaitra dans ce que je dis, de convaincre le Président Gbagbo Laurent de la nécessité d’une telle opération. Le Président de la république, après plusieurs hésitations, a fini par donner son feu vert compte tenu du niveau de préparation de l’opération, tout en indiquant qu’il pense que malgré toutes les assurances données, la France nous tend un piège. En sa qualité de chef suprême des armées, il a indiqué qu’il assume.

La suite, on la connaît. Le piège prédit par le Président Gbagbo a été le bombardement du camp français, et la réaction de l’armée française. Le Président Gbagbo a été humble pour accepter une idée qui vient des autres, et suffisamment responsable pour l’assumer. Le Président Gbagbo a donné la preuve qu’il est un démocrate. Il a fait preuve d’humilité et de responsabilité. Aujourd’hui, je suis de ceux qui pensent que le Président Koulibaly a pris cette décision pour le bien de la Côte d’Ivoire, même si le résultat est allé aux antipodes de nos attentes. Le Président Gbagbo a assumé pleinement, et c’est principalement son domicile qui a été bombardé le 6 novembre 2004, et non celui du Président Koulibaly qui a été l’initiateur et le concepteur de l’opération. Cessons de dire aux Ivoiriens que « Gbagbo aurait eu un meilleur sort s’il avait écouté Koulibaly ». Assumons tous ce qui est arrivé et avançons. C’est cela être démocrate. Il faut se plier à la majorité, assumer entièrement sa minorité, travailler à rendre son opinion majoritaire.

Croyez-vous en la réconciliation?

Tout dépend de ce qu’on met dans le terme réconciliation.

Un mot sur la commission vérité et réconciliation mise en place…

Interrogeons ensemble les principaux acteurs de cette aventure. banny est celui que les Français avaient désigné pour parachever le coup d’Etat, en qualité de Premier ministre dont le programme de travail se résumait à demander à nommer aux emplois supérieurs de l’Etat en lieu et place du Président de la république. Pour cela, il a usé de tous les moyens : le Gti, sorte de tribune où le ministre des Affaires étrangères de France venait dicter ses volontés en matière de gestion de l’Etat au Président Gbagbo.

Mgr Ahouana et le Cheick boikari: deux religieux qui ont soutenu toutes les positions rebelles durant la crise.

Bédié et Ouattara: deux responsables que le Président Gbagbo avaient fait rentrer d’exil et qui, par des manœuvres diverses, se sont organisés, avec la complicité de Diarra Seydou, à intervenir, lors des journées de réconciliation, après Gbagbo, alors Président en exercice. Quand on a fait ce tour, on comprend qu’aucun des premiers responsables de cette aventure n’est prêt à une réconciliation.

Que faut-il faire pour réconcilier les Ivoiriens ?

De toutes les façons, pour nous, les Ivoiriens n’ont pas à se réconcilier entre eux, mais il faut que chacun se réconcilie avec la loi. Aujourd’hui, nous sortons d’une élection. La réconciliation doit se faire autour de la question de savoir qui a gagné les élections ? rien ne doit se faire en dehors de cette problématique. Si, désormais, on veut nous expliquer que parce que la France le veut, en Afrique, on peut considérer comme nouvelle règle électorale la validation des résultats même quand le nombre de voix d’un candidat est largement supérieur au nombre d’inscrits, Ok.

Si le recomptage des voix peut être un moyen de recours partout sauf en Côte d’Ivoire parce que ban Ki-moon estime que ce serait une grosse injustice, Ok. Si, au moment où un panel africain doit trancher la question, le Président sud-africain doit aller recevoir des instructions à Paris avant de se prononcer, si c’est ça les nouvelles règles, Ok. Ne nous parlez pas de réconciliation.

Maintenant que j’ai planté le décor, qu’est ce que je pense de la réconciliation ? Si on veut, non pas la réconciliation, mais simplement la normalisation de la vie en Côte d’Ivoire, Ouattara doit ordonner à ses soldats de libérer les domiciles des citoyens, garer les véhicules qui ne leur appartiennent pas.

Les Ivoiriens peuvent-ils se réconcilier pendant que des cadres et militants de Lmp sont pourchassés, emprisonnés, exilés et ont leurs avoirs gelés ?

Pour moi, toute la question est de savoir qui a gagné les élections. N’oubliez pas que nous sommes en face d’une situation dans laquelle la France a été obligée de réaliser un coup d’Etat pendant 10 ans. Dans ces conditions, il faut taper si fort que personne d’autre en Afrique ne puisse suivre cette voie de l’autonomie. Donc le pouvoir, avec le soutien de la Communauté internationale, pose tous les actes qui font mal sans tenir compte de la loi. Je pense que ça peut durer 10 ans, la 11e année, le banquier devra m’expliquer pourquoi je n’ai pas eu accès à mon compte. C’est la même chose pour celui qui conduit ma voiture et qui devra répondre du vol de tous mes biens. Il ne faut pas s’imaginer que du jour au lendemain, sous le fallacieux prétexte d’une prétendue réconciliation, on va passer en pertes et profits tous ces actes. Moi, je ne suis pas prêt à pardonner quoi que ce soit à qui que ce soit.

Alassane Ouattara vous demande de rentrer…

Je n’ai pas demandé une autorisation de sortie.

Les mandats d’arrêt vous effraient-ils ?

Je ne suis pas juriste et je ne m’aventurerai pas à faire des démonstrations dans un domaine qui est si éloigné du mien. Cependant, je pense que toutes les disciplines procèdent au minimum de la logique. C’est pourquoi je vais vous donner ma lecture de ces actes posés par le nouveau pouvoir.

Quand j’ai vu dans les journaux qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre moi, j’ai dit à un de mes amis que ce n’est peut-être pas bien, mais c’est logique. En effet, je ne vois pas comment on pourrait expliquer que les membres du Gouvernement Aké N’Gbo, conduits par le Premier ministre lui-même, qui sont allés confier leur sécurité à l’Onuci, pourraient faire l’objet de mandats de dépôt et que les autres ne soient pas recherchés. C’est pourquoi, j’estime que cet acte est logique. En poursuivant, toujours dans la logique du système, je trouve illogique que monsieur Alassane poursuive des gens pour avoir assumé des fonctions sous la responsabilité du Président Gbagbo alors même qu’il a tenu à se faire investir par le Président du Conseil constitutionnel Yao N’Dré Paul. En effet, si après le 11 avril, il avait expliqué que sa prestation de serment par écrit au Golf lui suffisait, nous aurions compris ses poursuites. Solliciter le Président du Conseil constitutionnel pour l’investir signifie qu’il se plie à la règle qui veut que seul le Conseil constitutionnel a le pouvoir de dire que telle personne est Président. Donc si le Conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire a investi le Président Gbagbo, c’est que lui n’est devenu Président qu’après l’investiture du Conseil constitutionnel, et que tous ceux qui ont collaboré avec le président Gbagbo ont eu raison de le faire.

Maintenant, en ce qui me concerne, je suis de ceux qui pensent que Ouattara n’a pas gagné les élections, sauf à penser que le terme élection repose sur des pratiques différentes selon qu’on est en Afrique ou en Europe.

Etes-vous prêt à répondre à une convocation de la justice ?

Bien sûr. Je ne suis pas sorti du pays parce que je ne voulais pas répondre de mes actes devant la justice. Au départ, je voulais rester, mais les échos qui nous parvenaient nous montraient clairement que ceux que nous avions enface de nous ne pouvaient pas être classés dans la catégorie des humains. Avant même de savoir pourquoi la direction du rhdp leur a donné votre nom, ils peuvent vous handicaper pour toujours. Sinon, de quoi peut-on m’accuser ? Crimes économiques, je ne me sens pas concerné. Et puis depuis 1956, c’est la première fois qu’en Côte d’Ivoire, avant de prendre fonction, on demande aux Ministres de déclarer leurs biens.

Le Daaf du ministère du Travail n’a pas eu de signature au trésor avant le 11 avril, ce qui veut dire que je n’ai engagé aucune dépense. Mieux, c’est ma voiture personnelle qui m’a servi à aller au travail jusqu’à la fin mars. J’espère, soit dit en passant, que les membres du gouvernement Ouattara ont déclaré leurs biens avant de prendre fonction.

Je sais que pour la France et le rhdp, je suis accusé d’avoir expliqué les raisons profondes de la crise. Sur ce point, ils n’ont pas de chance parce que les Ivoiriens dans leur ensemble, y compris leurs partisans dont certains ont pensé que nous étions en train d’exagérer, se rendent bien compte que tout ce que nous avons prédit est vécu aujourd’hui. C’est la victoire de la France et de la sousrégion sur la Côte d’Ivoire (…). Et en dernier essor, l’érection du territoire ivoirien en une préfecture de la France.

Quels jugements portez-vous sur la gestion actuelle d’Alassane ?

Je sais que les Ivoiriens souffrent beaucoup. Pour moi, la première richesse, c’est la sécurité. Or, aujourd’hui, les problèmes sécuritaires vécus en zone Cno de 2002 à 2010 ont été étendus à l’ensemble du territoire national. Les prédateurs ne peuvent être à l’aise que dans un tel système de terreur. Le racket n’est que l’une de ses méthodes et qui, inévitablement, entraîne la flambée des prix dans la mesure où les barrages de forces de défense sont de même nature que ceux des coupeurs de route. Je rappelle que la démultiplication anarchique des coupeurs de route faisait partie de la stratégie de conquête du pouvoir par la France.

Vous me demandez de donner mon avis sur sa gestion.

Les difficultés de monsieur Ouattara sont liées à son mode d’accession au pouvoir. Si, pendant plus de dix ans, vous avez lutté contre la Côte d’Ivoire, en salissant à coup de milliards sa réputation, en allant même jusqu’à faire croire qu’il ne fallait plus acheter le cacao ivoirien parce que produit par des enfants esclaves, y compris avec la complicité des organisations internationales, il est difficile que tout redémarre du jour au lendemain.

Tenez, je vais vous donner un exemple qui montre à quel point c’est ridicule. Un président de la république constate que la ville d’Abidjan est sale et qu’il faut casser les baraques. Le ministre de la ville, monsieur Mel Théodore, entreprend d’assainir. Certains maires comme Amadou Soumahoro s’y opposent. Et comme si cela ne suffisait pas, l’Union européenne, l’Onuci, tous, crient que le Président Gbagbo veut détruire les habitations précaires parce que ceux qui y logent sont les étrangers. Mais enfin! Sinon, moi-même, je suis de ceux qui militent en faveur de ces remises en ordre. Je suis contre la « bidonvilisation » de nos villes. Je pense que, même pour des questions de sécurité, il fallait raser tous les bidonvilles. Aujourd’hui, toutes ces organisations ne disent plus rien parce qu’elles ont atteint leur objectif: mettre Ouattara au pouvoir.

L’université est fermée…

C’est normal. Lorsqu’on s’engage dans une aventure de recolonisation, le premier obstacle est l’Université. On comprend pourquoi, face aux jeunes dont la majorité est formée d’étudiants, la France a agi sans pitié. Sachez que des jeunes gens ont été exterminés par centaines à la résidence du chef de l’Etat. La presse internationale n’en a pas fait cas parce que cela ne les arrange pas. Sinon, comment comprendre qu’après l’arrestation du Président Gbagbo par les forces françaises appuyées par l’Onuci, les FRCI (Rebelles) aient attaqué systématiquement des installations universitaires ? Tous les laboratoires ont été détruits. Vous n’allez pas me dire que les FRCI (Rebelles) recherchaient des armes dans les laboratoires. L’université est fermée parce que la remise en ordre met du temps.

Votre mot de fin…

La marche vers le développement d’un Etat n’est pas linéaire. Les problèmes comme ceux que vit la Côte d’Ivoire permettent de se remettre en cause et changer de direction. Mais, il faut faire une bonne analyse. Au début de la crise en 2002, lorsque le Synares, après analyse, a dit que la France vient d’attaquer la Côte d’Ivoire, certains, y compris dans l’entourage du Président de la république, ont pensé que la France était en train de nous aider, et que nous nagions à contre courant de la réalité. Après novembre 2004, de nombreux Ivoiriens ont compris que la France était le principal organisateur de la rébellion. Il faut reconnaître que certains ne croyaient toujours pas à la thèse selon laquelle le retour aux paradigmes de gouvernance d’Houphouët était la clé (la Côte d’Ivoire n’appartient à personne et la France peut en disposer comme elle l’entend). Je pense qu’aujourd’hui il y a très peu d’Ivoiriens qui ne voient pas encore. Nous avions même montré entre les deux tours des élections que tout a été organisé par la France pour que le Pdci accompagne Ouattara au pouvoir. Même la simple rumeur qui a été lancée selon laquelle Gbagbo viendrait en troisième position et que les voix de bédié lui avaient été données pour qu’il soit au second tour avait pour but d’énerver les militants du Pdci pour qu’ils reportent leurs voix sur Ouattara. Aujourd’hui, tout le monde voit qu’il s’est agi, depuis 2002, d’une grosse arnaque organisée par la France, aidée par la Communauté internationale… Il faut que nous nous réorganisions pour reprendre le contrôle de notre pays. Notre survie en dépend. C’est une tâche, certes difficile, mais pas impossible.

Je voudrais avant de terminer qu’on demande au Président de la Cei de publier les résultats de l’élection présidentielle pour toutes les régions de Côte d’ Ivoire car un Etat ne peut se contenter d’un résultat final. On verra comment s’intègrent les résultats de Bouaké et Korhogo dans l’ensemble en sachant que 80% des résultats avaient déjà été consolidés.

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