Une réforme de la filière cacao a été analysée lors du conseil des ministres du mercredi 2 novembre dernier. Au cours de cette rencontre, le gouvernement a marqué sa volonté de mettre fin à la libéralisation du secteur pour revenir à sa régulation par un organe public chargé de déterminer les principales politiques commerciales. Cette décision est totalement décalée avec la vision dite libérale que prône la nouvelle administration. Ce retour à l’étatisme, à l’interventionnisme et à la régulation évoque plutôt la « grande » époque du communisme. L’histoire, nous montre pourtant que la planification mène inévitablement au désordre. Le prix Nobel d’économie Friedrich von Hayek dans la route de la servitude met d’ailleurs scrupuleusement en garde contre l’interventionnisme de l’Etat dans des domaines qui ne le concerne pas car ces politiques ont déjà conduit aux pires situations dont l’épisode douloureux du nazisme. Ceci pour dire que les choix économiques ne doivent pas être pris à la légère car ils tuent bien plus que les mauvais médecins.
Une réforme inquiétante
Cette réforme résulterait des pressions exercées sur le gouvernement ivoirien par les bailleurs de fonds que sont le FMI et la Banque Mondiale qui font de la réforme du secteur l’une des conditions sine qua non de l’allègement de la dette. Ceci nous permet de souligner, une nouvelle fois, les risques d’une politique reposant sur l’aide publique internationale. En effet, les bailleurs de fonds sont ensuite en situation d’imposer leur politique et de tenir ainsi les rênes du pays.
Le choix d’une politique interventionniste par les pouvoirs publics enferme la filière dans un modèle arriéré inadaptée à un environnement globalisé. Les principes du libre échange, de la concurrence et donc des prix libres déterminés en fonction de l’offre et de la demande sur le marché du cacao sont totalement faussés. Pourtant, le professeur PASCAL SALIN, éminent économiste, affirmait encore lors de sa récente venue en Côte d’Ivoire que l’échange libre est la clé du progrès dans toute société et que c’est même l’une des seules vérités économiques universelles. Il permet aux deux partenaires de s’enrichir et d’augmenter la productivité grâce à l’incitation et à la notion de responsabilité qui poussent au dépassement de l’individu.
L’autre argument invoqué par la nouvelle administration pour justifier cette réforme est celui de la paupérisation des paysans suite à une décennie de libéralisation. L’argument de la pauvreté interroge pourtant quand on sait qu’en dépit des crises, les paysans ont atteint des records de production. Le gouvernement gagnerait à trouver de bonnes incitations au lieu de s’ériger en ultra-régulateur et d’appliquer des mesures dirigistes qui ne pourront que fragiliser la filière. Les intérêts des paysans ne seraient-ils pas mieux protégés s’ils possédaient des titres de propriété sécurisés par une justice efficace ? Si les infrastructures leur permettaient un meilleur acheminement de leurs marchandises ?
On a vu, lors de la dernière crise post électorale, que les mesures rigides de stockage des fèves imposées par le gouvernement ivoirien n’ont mené qu’à une baisse drastique du cours mondial du cacao. L’économiste planificateur devrait avoir l’humilité de prendre des leçons de l’histoire et comprendre que le non interventionnisme est le terreau le plus fertile de la croissance et du progrès.
Les conséquences
Cette décision éloigne les cultivateurs du marché. Déjà réduits au servage sans titre de propriété, elle instaure un écran (l’organe de régulation) entre eux et le marché. Pour apaiser les inquiétudes, le gouvernement assure que la composition de la structure se fera à base paritaire entre les personnes désignées par le gouvernement et l’interprofession (planteurs et exportateurs). Il n’en demeure pas moins que c’est l’Etat qui sera maitre du jeu.
L’autre conséquence est que cette mesure de régulation découlant sur une rigidité du prix n’est pas propice à une amélioration du produit. Pourquoi produire une fève de meilleure qualité si le prix est le même ?
Soulignons qu’en Côte d’Ivoire, nous avons connu une mauvaise expérience avec une structure publique de régulation de la filière café-cacao : la CAISTAB dont le fonctionnement a été entaché d’une corruption généralisée (portant sur près de 260 millions de francs par trimestre à la fin des années 1990). Cette corruption flagrante avait même interpelé le FMI et la Banque mondiale qui avaient exigé sa suppression qui fut effective en 1999. Pourquoi revenir à une solution qui a déjà montré ses limites ? Quand à la promesse du gouvernement de lutter contre la corruption, elle est certes encourageante mais laisse perplexe quand on connaît le contexte corrompu du pays qui est mis en exergue de manière constante par de nombreux audits et rapports. Dans l’absolu, le problème ne se situe même pas au niveau de la maitrise de la corruption, il se situe au niveau de la main mise de l’Etat sur la filière cacao. Que cette main soit propre ou souillée.
Où est l’internationale libérale ?
L’internationale libérale est récemment venue en Côte d’Ivoire pour soutenir le Président Ouattara et son équipe. A cette occasion, la délégation s’est félicitée du « retour » du libéralisme dans le pays. Notant pompeusement l’échec de la politique socialiste de Laurent Gbagbo, les membres de la fédération se sont réjouis de sa chute. Aujourd’hui, le gouvernement Ouattara annonce la reprise du contrôle de la filière cacao par l’Etat. Cette mesure plus proche du modèle soviétique dirigiste que du libéralisme qui par essence fait confiance à l’homme et donc à l’autorégulation des marchés ne semble pas vraiment interpeller l’internationale libérale.
Un article de Michaël-Eric ABLEDJI et Aquilas YAO, étudiants libéraux ivoiriens au sein d’Audace Institut Afrique.
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