Crise de l’euro: pourquoi la proposition d’Alain Juppé est absurde

LE PLUS. Alain Juppé vient d’appeler la Banque centrale européenne à jouer un « rôle essentiel » sur le marché de la dette, afin de sortir la zone euro de la crise. Mais une intervention de la BCE pourrait conduire à une forte augmentation de l’inflation et pénaliser le pouvoir d’achat de la population.

Par Olivier Berruyer Actuaire – Edité par Sébastien Billard

 

Source: leplus.nouvelobs.com

En demandant une action rapide de la Banque centrale européenne (BCE) pour juguler la crise financière, Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères ne voit pas juste.

Depuis le début de la crise des dettes souveraines, un petit nombre d’économistes de toutes obédiences, dont le nombre s’est élargi au fur et à mesure des difficultés, préconise une intervention importante de la BCE. Ces économistes – qui ont généralement tous brillé par leur incapacité à prédire, prévenir puis décrire la crise actuelle – s’imaginent qu’une intervention de la BCE dissiperait la défiance qui incite les prêteurs à mesurer leurs concours aux États européens et déchaîne la spéculation sur les obligations d’État. Ils pensent qu’elle rétablirait un minimum de sérénité sur les marchés.

La proposition est illusoire. Elle consiste à demander à la BCE d’annoncer qu’elle rachèterait à un taux modéré les titres émis par les nations européennes, comme le font seulement deux ou trois banques centrales dans le monde, à commencer par la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine (Fed).

Ces deux derniers pays sont la preuve que la monétisation ne marche pas. L’Angleterre a effrayé ses préteurs, et sa banque centrale est désormais obligée de financer continuellement l’État, alimentant une inflation « officielle » qui dépasse 5 %, qui diminue le pouvoir d’achat des Anglais et plonge le pays dans une profonde récession. La Fed est depuis trois trimestres quasiment la seule acheteuse nette d’obligations américaines, et doit donc financer, en plus de l’État, les prêteurs effrayés qui se débarrassent de leurs obligations. Ce raisonnement est le même que celui utilisé en 2007 par ceux qui voulaient introduire les subprimes en France : « jusqu’ici tout va bien ».

Comment donc imaginer qu’on va « rassurer » des prêteurs obligataires en prenant des mesures qui finissent toujours par de l’inflation et l’affaiblissement de la monnaie, donc par la ruine des prêteurs ?

Ceci est une nouvelle illustration de l’absurdité multi-centennale consistant à croire qu’on peut créer de la richesse en imprimant du papier (absurdité démontrée des dizaines de fois dans l’Histoire). Ceci est illogique sur le plan macro-économique, profondément injuste car revenant à faire payer par le peuple les mauvais investissements des plus riches rentiers.

On accuse désormais les tenants de la stabilité monétaire d’être des orthodoxes de tous poils, alors que la plupart veulent seulement responsabiliser les riches prêteurs, afin qu’ils encaissent les pertes liées à leurs investissements malheureux, pertes correspondant d’ailleurs aux gras intérêts qu’ils ont généralement perçus. Désolé, mais aucun investissement n’est « sans risque ».

Ceux qui n’ont eu de cesse de défendre les déficits publics réalisés même quand tout allait bien s’imaginent désormais qu’ils pourront éviter d’en payer la facture. Mais ce n’est pas pour rien qu’on les surnomme « Douloureuses ». Reste simplement à répartir cette facture le plus justement possible, de façon à susciter le moins de dégâts sociaux, économiques et politiques.

Dire qu’une banqueroute de l’un des grands pays européens porterait un coup fatal à l’euro et à la construction européenne est une escroquerie suprême. C’est faux. Bien au contraire, ce sont sans doute ces tensions irresponsables visant à affaiblir drastiquement notre monnaie qui risquent de porter ces coups.

Même Robert Mundell, prix Nobel d’économie surnommé « le père de l’euro », affirme clairement que la banqueroute d’un État n’aurait pas d’impact sur l’existence de l’euro. Imagine-t-on que la banqueroute de la Californie détruirait le dollar ? Clairement, les conséquences d’un défaut sont douloureuses, mais c’est malheureusement la conséquence d’avoir dépensé hier l’argent de demain, alors que nous sommes désormais « demain ». Nos dirigeants échouent actuellement, pour la simple raison qu’ils essaient d’avoir raison contre la comptabilité, et que la comptabilité gagne toujours à la fin.

Les besoins de financement de notre État sont désormais gigantesques : il devra emprunter 400 milliards d’euros sur les marchés en 2012, pour seulement 200 milliards de recettes. Bien évidement, une fois que la BCE aura mis la main dans l’engrenage fatal, elle ne pourra plus s’arrêter, comme on le voit avec la Fed. Jamais elle ne pourra calibrer son engagement de manière raisonnable, car les marchés en voudront toujours plus. Plus ils en auront, plus ils auront peur d’être remboursés en monnaie de singe. Et les singes, ce sera nous.

Si les investisseurs fuyaient, la BCE devrait monétiser toute les nouvelles émissions de dette, ce qui pourrait porter le niveau d’inflation à 20 %, 40 %, 60 % – tout cela est du domaine du possible. Veut-on « tenter le coup » ? Veut-on encore illustrer une des tares du financiarisme actuel : le PIG ou Principe d’Imprudence Généralisé ? Pourquoi personne n’en parle-t-il ? Pourquoi ceux qui le font, et qui ne veulent que protéger les travailleurs, les forces vives et les petits épargnants (il n’y a plus rien à faire pour les gros dans tous les cas, malheureusement) sont-ils taxés de dogmatiques de droite ?

Et si les élites de la Gauche se souciaient plutôt de défendre la vaste majorité de la population plutôt que l’épargne des plus riches rentiers ? Peut-être cela ramènerait-il vers elle les citoyens se perdant dans les extrêmes

L’austérité n’est pas la solution – il est trop tard, la dette est trop grosse. C’est ce qu’on appelle le surendettement… Il est bien triste d’en arriver là, mais ceci est arrivé à soixante-dix pays depuis 35 ans – et cela nous chatouillait moins quand il s’agissait de la Côte d’Ivoire ou du Pérou, qui ont fait défaut à des niveaux de dette bien inférieurs aux nôtres en ce moment.

L’Occident semble incapable de sortir de son aveuglement, et son égo refuse de voir la triste vérité, conséquence de trente ans de laxisme budgétaire : son insolvabilité. Aux niveaux actuels de dette, il est parfaitement impossible de revenir à un équilibre des budgets. Malgré tous les efforts de 2011, le budget de notre pays est encore en déficit de 93 milliards d’euros, à la veille d’une récession majeure. Le remboursement de la dette n’est pas seulement impossible, il est même tout simplement inconcevable.

Ne rajoutons donc pas à la peine de restructuration de la dette des 10 % des ménages les plus riches (qui détiennent environ 70 % des dettes publiques) la douleur de l’inflation pour toute la population ou le traumatisme de la fuite de l’Allemagne vers un nouveau mark.

Moins lucide que d’autres, la France réclame une réforme du gouvernement économique du continent qui irait dans le sens d’une nouvelle perte de légitimité démocratique. Elle qui a seulement su faire 500 milliards d’euros de dette supplémentaire en cinq ans voudrait montrer la voie. La voie vers le précipice, certainement.

Mais finalement, n’est-il pas logique que l’idéologique néo-conservatrice au pouvoir depuis vingt-cinq ans, gangrénant toute la société, et qui a réussi le coup double d’entrainer la faillite à la fois du système bancaire et des États occidentaux s’apprête désormais à mettre en faillite la Banque Centrale, nous renvoyant dans la Préhistoire économique ?

Ainsi, un seul mot d’ordre pour éloigner les apprentis sorciers, nouveaux faux-monnayeurs, afin de sauver une construction politique qui assure depuis soixante ans un cadre de paix et de coopération aux peuples européens : sauvons la monnaie !

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