La dépèche diplomatique
« Les beaux discours sont séduisants lorsqu’ils sont suivis d’actes concrets. Or, le partenariat auquel nous convie la partie ivoirienne est loin d’être synonyme d’un partenariat au sens noble du terme. L’Ivoirien a jusqu’à présent perçu ses relations avec le Burkinabè en termes de rapports entre le cheval et son cavalier. Le premier est bien sûr, cette bête de somme condamnée à subir toutes les brimades et humiliations publiques que lui inflige le second ».
L’éditorial du quotidien burkinabè Le Pays (12 mai 2003), au lendemain de la visite d’amitié et de travail de Youssouf Ouédraogo, alors ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale (cf. LDD Burkina Faso 0273/Mardi 15 novembre 2011), s’inscrivait dans l’air du temps d’alors. Au lendemain des accords de Marcoussis, les relations entre Ouaga et Abidjan n’étaient pas au beau fixe (c’est le moins que l’on puisse dire) et, dans la capitale ivoirienne, Youssouf avait tenu un langage vigoureux.
Interrogé sur les propos de Blaise Compaoré relatifs au devenir de Laurent Gbagbo (dont le PF disait qu’il « finirait devant le TPI »), le ministre burkinabè des Affaires étrangères n’avait pas dégagé en touche, soulignant « qu’il s’agissait là d’un conseil d’un ami à l’attention d’un ami ». On peut ne pas être d’accord avec la politique et la diplomatie du Burkina Faso, mais on ne peut nier que Ouaga règle seul ses problèmes (et tente de régler les problèmes des autres, la Côte d’Ivoire le prouve) quand Abidjan est obligé de recourir à la « communauté internationale ».
Alassane D. Ouattara est aujourd’hui président de la République mais doit parcourir l’Afrique de l’Ouest et le monde pour « sauver les meubles » d’un pays qui est, depuis dix ans, sous perfusion franco-onusienne. Et c’est Ouaga, contre toute attente, qui permet que la perfusion tienne en place.
En Côte d’Ivoire, Boureima Badini, représentant spécial du facilitateur burkinabè, reste incontournable, un an après le premier tour de la présidentielle ivoirienne. « Parce que la Côte d’Ivoire reconstruite n’est pas uniquement pour les Ivoiriens mais pour toute la sous-région et l’Afrique toute entière », dit-il. Quand Doris Ross, chef de la mission du FMI, veut s’informer sur la réalité de la situation en Côte d’Ivoire, c’est à Badini qu’elle demande audience. Elle est consciente que les responsables politiques burkinabè sont les plus aptes à « voir comment recoller les morceaux » (selon l’expression de Badini).
Il y a quelques semaines encore, à la fin du mois de septembre 2011, c’est vers Badini que se sont tournés les responsables du FPI qui refusaient alors de participer aux prochaines législatives et qui venaient de retirer ses représentants au sein de la Commission électorale indépendante (CEI). Parce que, disent-il, ils estiment « qu’il faut revenir aux fondamentaux de l’accord politique de Ouagadougou qui constitue une bonne référence ayant donné espoir à tous les Ivoiriens ». Ils souhaitent ainsi que soit réactivé le Cadre permanent de concertation (CPC)* « afin d’évaluer les mesures idoines à prendre ».
On est bien loin du temps où les Ivoiriens exprimaient « leur mépris pour la Haute-Volta voisine, pays pauvre sans autre intérêt que sa main-d’oeuvre ». Badini, à l’issue de sa rencontre avec la présidence par intérim du FPI, l’assurera de son « engagement ferme de jouer pleinement le rôle qui est le sien dans le processus en cours ».
L’omniprésence burkinabè dans les affaires ivoiriennes n’est pas sans poser problème. La « facilitation » a, certes, vocation à « faciliter ». Mais ne fait-elle pas barrage entre l’ancien et le nouveau pouvoir ; et on peut s’interroger sur la part d’instrumentalisation de la « facilitation » par les anciens acteurs politiques ivoiriens. La préoccupation d’ADO est la consolidation de son pouvoir ; la préoccupation de Ouaga est « de sortir définitivement la Côte d’Ivoire de la crise » (Badini cité par Jean-Baptiste Ilboudo – mardi 27 septembre 2011). Parce qu’il y va de la bonne santé du Burkina Faso. Il n’y a pas incompatibilité entre les deux objectifs (interchangeables) mais une dualité qui peut-être dérangeante quand on est le président élu d’une « puissance dominante » face au représentant d’un pays autrement fois « dominé ». C’est ce qu’exprime cette phrase de Jean-Baptiste Ilboudo au sujet de la rencontre Badini-FPI (mardi 27 septembre 2011 – cf. supra) : « A l’issue de l’audience, le président par intérim a remis au représentant spécial du facilitateur, le mémorandum du FPI, relatif à la sortie de la crise militaro-politique. Notons que le président Alassane Ouattara, de retour de son séjour aux USA, a déclaré qu’il recevra bientôt le direction du Front populaire ivoirien ». Badini d’abord ?
L’implication du Burkina Faso dans la recherche d’une sortie de crise en Côte d’Ivoire résulte d’un cadre légal, le fameux « APO ». Il est, aussi, la conséquence d’une démarche légitime. Aucun autre peuple que le peuple burkinabè n’a été autant victime de la crise ivoirienne. Récemment, dans le quotidien ivoirien Le Patriote (propriété du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko), l’ambassadeur du Burkina Faso à Abidjan, Emile Ilboudo, à la veille de son départ, rappelait que, depuis sa prise de fonction (dernier trimestre 1995), il avait vécu « l’exacerbation des rivalités politiques » en Côte d’Ivoire avec « une constante : les accusations récurrentes portées contre notre pays sur le soutien à la rébellion armée et au docteur Alassane Ouattara », ce qui n’avait pas manqué « d’aggraver la situation de nos ressortissants ».
La spoliation des Burkinabè installés, parfois depuis plusieurs générations, en Côte d’Ivoire a été constante depuis l’affaire de Dabou (novembre 1999) – à la veille de la chute de Henri Konan Bédié – jusqu’aux événements postélectoraux qui, selon Ilboudo, ont coûté la vie à 283 Burkinabè (bilan à la mi-septembre 2011, « chiffre appelé à croître » selon l’ambassadeur – entretien avec Alexandre Lebel Ilboudo, Le Patriote du lundi 26 septembre 2011). L’ambassadeur Ilboudo a transmis le témoin à Justin Koutaba « qui va poursuivre de nombreux dossiers dans un contexte nouveau, notamment avec la mise en œuvre attendue du Traité d’amitié et de coopération entre la République de Côte d’Ivoire et le Burkina Faso » (Le Patriote – cf. supra). Un témoin dont s’est aussitôt emparé Koutaba qui, au sortir de la cérémonie de remise de ses lettres de créance à Ouattara (mardi 9 novembre 2011), a évoqué « la nécessité de la mise en œuvre rapide » de ce fameux TAC ivoiro-burkinabè.
Quand ce TAC a été signé, Koutaba était ministre de la Jeunesse et de l’Emploi. « La paix, le dialogue, l’écoute, la recherche de l’harmonie sont des valeurs et vertus humaines qu’incarne le peuple burkinabè » déclarera-t-il alors (« L’invité de la rédaction » dans Sidwaya du lundi 7 juillet 2008). Le prof de philo (qu’il n’a jamais cessé d’être) considérait alors « qu’il fallait aller au-delà de phénomène et voir qu’il est porteur de toute une polysémie, c’est-à-dire un nombre illimité en profondeur de sens qui honore le peuple du Burkina Faso, au-delà de la personne du chef de l’Etat ». Aujourd’hui, à Abidjan, il n’est plus sur son estrade de prof mais sur le terrain des « actes concrets » (pour reprendre l’expression de l’édito du quotidien Le Pays – cf. supra).
Un terrain sur lequel sont encore présents près de 4 millions de Burkinabé (selon le consul général, Patrice Kafando). Qui attendent des réponses à la question qu’ils se posent depuis maintenant plus d’une décennie : après les souffrances et les drames endurés, avons-nous, de nouveau, un avenir en Côte d’Ivoire ? Et si la réponse à cette question est positive, il restera à définir ce que peut être cet avenir.
* Ce qui signifie ramener Gbagbo dans le débat politique puisqu’il est le seul membre du CPC qui en est actuellement exclu.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique
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