Nicolas Beau – Source: Marianne2.fr
Dans « Le scandale des biens mal acquis », l’ancien conseiller personnel d’Omar Bongo, le pasteur Mike Jocktane, accuse Nicolas Sarkozy d’avoir bénéficié de remises d’espèces pendant la campagne électorale de 2007. Xavier Harel va plus loin pour « Marianne » avec Mike Jocktane.
Ce témoignage est important dans la mesure où il émane d’une personnalité gabonaise qui a vécu dans le proche entourage de l’ancien président pendant quatre ans. Le pasteur Jocktane a même exercé quelque temps à Libreville les fonctions de directeur de cabinet adjoint.
Lors de l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo, fils d’Omar, Mike Jocktane bascule dans l’opposition radicale au régime en place, soutenu par la France. C’est pour cette raison que ses déclarations, qui ne s’appuient sur aucun document, doivent être considérées avec prudence.
Tout comme il faut également prendre avec des pincettes les déclarations fracassantes de Robert Bourgi, un ancien proche également d’Omar Bongo, qui a affirmé dans le JDD que la valse des valises de billets entre le Gabon et la France s’était interrompue avec l’élection de Nicolas Sarkozy.
Xavier Harel, un des deux auteurs du livre, va plus loin pour Marianne avec Mike Jocktane, joint au Gabon ce mercredi 23 novembre.
INTERVIEW
Xavier Harel : L’avocat Robert Bourgi, un habitué des palais présidentiels africains, a récemment déclaré avoir transporté pendant des années des mallettes en provenance de Côte d’Ivoire, du Congo-Brazzaville, de Guinée Equatoriale et bien sûr du Gabon. Cela vous paraît-il vraisemblable ?
Mike Jocktane : Au Gabon, en tout cas, le financement d’une partie de la classe politique française par la présidence de la République est un secret de polichinelle. Chez nous, quand un homme politique français se rend à Libreville, on dit qu’il vient chercher sa mallette… Le président défunt Omar Bongo était très généreux avec les dirigeants français. Mais cet argent ne servait pas uniquement à financer des campagnes électorales. Il y a eu beaucoup d’enrichissement personnel. Certains visiteurs du palais de bord de mer doivent d’ailleurs avoir le sommeil agité en ce moment. Les remises de mallettes effectuées dans le bureau du président étaient filmées par des caméras cachées. C’est un moyen de pression très efficace.
Robert Bourgi affirme que la valse des valises s’est interrompue le jour où il s’est mis au service de Nicolas Sarkozy. Qu’en pensez vous ?
C’est faux. Contrairement à ce que prétend Robert Bourgi, les mallettes ont continué de circuler avant, pendant et même après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007. Sa proximité avec le Président Bongo était connue de tous. Lorsqu’il était ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy est même venu passer un week-end à la Pointe Denis, réputée pour la beauté de ses plages. Le voyage n’avait aucun caractère officiel. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que Pascaline Bongo, la fille aîné d’Omar Bongo, était présente en très bonne position à la cérémonie d’investiture de Nicolas Sarkozy. Omar Bongo recevait très régulièrement Nicolas Sarkozy à Libreville mais également à Paris, à l’hôtel Meurice, ou encore dans son hôtel particulier de la rue de Drosne. Nicolas Sarkozy n’a jamais manqué même dans des communiqués officiels d’affirmer son amitié personnelle.
Pourquoi le Gabon finance-t-il des dirigeants français ?
L’argent permet de créer des relations amicales et de la confiance et d’acheter, lorsque c’est nécessaire, des soutiens ou des faveurs.
Quelles ont été les réactions au Gabon après vos révélations ?
De nombreux membres de la société civile m’ont félicité d’avoir brisé l’omerta. Mes amis politiques de l’Union nationale, le principal parti d’opposition dirigé par Zacharie Myboto, m’ont également apporté leur soutien. Mes déclarations ont été largement reprises et commentées sur la toile, notamment Facebook et Twitter mais ni la presse officielle, ni le gouvernement n’ont réagi à cette heure. Seul Robert Bourgi a fait un drôle de communiqué dans lequel il prétend avoir une sorte de monopole sur les valises. Michel de Bonnecorse, l’ancien directeur Afrique de Jacques Chirac, a lui aussi expliqué que Robert Bourgi avait remis des valises à Nicolas Sarkozy. Robert Bourgi y voit « le produit d’une imagination délirante ».
C’est assez amusant de la part de quelqu’un qui a déclaré avoir porté des valises pour le compte du président sénégalais Abdoulaye Wade pour expliquer deux jours plus tard qu’il s’était trompé. Je n’ai jamais été présenté à Robert Bourgi mais je l’ai croisé à deux reprises, une fois à New York lors des assemblées générales des nations unies et une autre fois à Libreville. Mais j’ai eu l’occasion en revanche de lire certains des courriers qu’il avait adressés à Omar Bongo. Il l’appelait « papa » et signait ses lettres « ton fiston ». Il parlait de personnalités politiques françaises en utilisant des noms de code comme L’étoilé ou encore Mamadou.
Comment êtes vous devenu directeur adjoint de cabinet d’Omar Bongo ?
Je suis rentré au Gabon pour y exercer la fonction de pasteur. J’ai créé une association évangélique charismatique au Gabon que je préside depuis 1996. J’ai échappé à une tentative d’assassinat en mars 2003 que beaucoup avait attribuée à mes prises de position en faveur de la bonne gouvernance et des libertés fondamentales dans mon pays. Le Président Omar Bongo, avec qui j’avais noué des liens personnels forts, m’a finalement appelé à son cabinet en 2005. Malgré mon statut d’homme d’église, je n’étais pas son guide spirituel. Mes principales missions concernaient les Etats-Unis où j’ai vécu plusieurs années et ou vit encore une partie de ma famille. Je suis par la suite devenu directeur adjoint de son cabinet jusqu’à sa mort en juin 2009. Je précise que je n’ai jamais été membre du parti démocratique gabonais (PDG), le parti créé par Omar Bongo.
Pourquoi dénoncer aujourd’hui ces financements occultes ?
Il faut normaliser les relations entre le Gabon et la France. Les rapports privés ne doivent pas prendre le dessus sur les rapports d’ Etat à Etat. Nous sommes très nombreux à exiger que les liens entre Paris et Libreville ne soient plus otages de ces financements secrets. Ces mallettes, ces valises, ces enveloppes distribuées depuis des décennies sont inacceptables car elles hypothèquent grandement l’ avenir du pays. Le Gabon a terriblement souffert de ces pratiques.
Sachez que nous produisons du pétrole en grande quantité et cela depuis de nombreuses décennies. Pourtant, il n’y a que 800 kilomètres de routes asphaltées. Certains quartiers de Libreville n’ont pas d’eau depuis des mois. Et, les femmes accouchent à même le sol dans les hôpitaux publics. Est ce que le Gabon avait besoin de débourser des dizaines de millions d’euros pour acheter l’hôtel particulier des Pozzo di Borgo dans l’un des quartiers les plus huppés de Paris en prétextant que cela permettra de faire des économies d’hôtels pour les délégations gabonaises de passage à Paris ? C’est ce hiatus entre la richesse du Gabon, la fortune de certains et la pauvreté d’une large partie de la population qui rend ces mallettes scandaleuses.
Vous considérez également ces mallettes comme responsables de la présence d’Ali Bongo à la tête du pays depuis 2009 ?
L’empressement avec lequel la France a reconnu l’élection frauduleuse d’Ali Bongo en 2009 ne peut s’expliquer autrement que par les mallettes distribuées. Il s’agit d’un coup d’état électoral. Les résultats sortis donnaient André Mba Obame assez largement en tête. Michel de Bonnecorse, l’ancien directeur Afrique de Jacques Chirac, en a témoigné dans le documentaire Françafrique. Il n’est pas le seul d’ailleurs à l’avoir affirmé. Dans votre livre d’ailleurs, vous citez un témoin qui affirme que Robert Bourgi, qui a conseillé Ali Bongo pendant la campagne, appelait le soir des élections Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, et Alain Joyandet, ancien secrétaire d’Etat à la coopération en répétant « le petit a perdu ! Le petit a perdu ! ». Pourtant, la France a applaudi l’élection d’Ali Bongo au bout de quatre jours seulement avant même que l’opposition n’est pu déposer ses recours devant la cours constitutionnelle. L’Elysée a également fait pression sur les pays voisins pour qu’ils reconnaissent au plus vite l’élection d’Ali Bongo. La France a imposé aux gabonais un président qui n’a pas été élu. J’affirme que c’est l’une des contreparties des mallettes. Depuis 2009, le Gabon vit la période certainement la plus sombre de son histoire sous le regard complice de ceux qui prétendent être ses amis. Pour ne citer que deux fait, il convient de noter que le principal parti d’opposition, l’Union Nationale, a été dissout sur décision d’un ministre. L’opposition n’est plus représentée au sein de la commission électorale. Mais Paris ne trouve rien à y redire.
Que pensez-vous de l’affaire des biens mal acquis, cette enquête de la justice française sur le patrimoine immobilier de plusieurs chefs d’Etats africains, notamment Omar Bongo et de sa famille ?
Cette procédure judiciaire aurait dû être engagée au Gabon. Mais comme l’indépendance de la justice y est une vue de l’esprit, je ne peux que me féliciter que cette enquête ait été initiée en France. Après tout, la plupart de ces biens mal acquis se trouvent sur le territoire français. L’enquête est une bonne chose parce qu’elle doit permettre de clarifier la situation de la famille Bongo. On doit pouvoir faire la différence entre ce qui leur appartient en propre et ce qui appartient au Gabon. C’est donc une question qui intéresse toute la société gabonaise. Il est important en effet que ce qui appartient au Gabon reste la propriété du Gabon.
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