Editorial 102
Les balayeuses n’y sont plus. Après avoir fait contre mauvaise fortune bon cœur pendant de nombreux mois, elles ont fini par perdre patience depuis deux jours en assiégeant les locaux de la mairie d’Adjamé initialement prévus pour abriter leur service de paie. La colère de ces balayeuses qui se sentent flouées et arnaquées par le gouvernement est d’autant plus représentative d’une frustration nationale qu’Alassane Ouattara avait annoncé qu’il créerait 200.000 emplois chaque année et que l’économiste qu’il est ne manquait pas de solution pour renflouer les caisses de l’Etat, au besoin, en mettant à contribution son carnet d’adresses personnel sur lequel sont tapis les noms des milliardaires les plus philanthropes au monde. Mais ces bras qui ont servi à dénaturer le paysage abidjanais en « déshabillant » la ville comme ne l’aurait conseillé aucun paysagiste au monde ont surtout été, on le voit, des instruments au service d’une machine à manipulation dont le pouvoir se sert pour exister. Le déguerpissement avec fracas, initié par la ministre de la salubrité qui s’est permise, au nom d’on ne sait quoi, de nous priver de l’oxygène des arbres nécessaires à la photosynthèse, complète le tableau du système dirigiste qui s’est installé à la tête de notre pays. Il feint de balayer jusqu’aux venelles qui passent devant nos maisons mais c’est pour émonder notre vie du plus petit souvenir, de l’échoppe qui faisait tenir toute la famille, de l’espace de convivialité qui nous rendait plus solidaire. Au-delà, le gouvernement semble avoir perdu tout repère –en avait-il d’ailleurs ?- face à l’ampleur de la tâche. Les caisses de l’Etat sont toujours désespérément vides malgré la tonitruance des soutiens internationaux dont il se prévaut et justement pour cette raison, le chef de l’Etat lui-même vient de décréter une année blanche dans les Universités publiques d’Abidjan. L’insécurité n’a jamais autant culminé pendant que la police et la gendarmerie ont le profil bas parce qu’elles sont sans armes et sans âme. Le pays est à un niveau affligeant de désespérance et le régime a choisi de faire peur pour espérer contenir la sienne. Ouattara joue ainsi avec la tension et cherche des boucs émissaires. Ses hagiographes fourbissent d’ailleurs depuis quelques jours des accusations de coups d’Etat en décryptant complaisamment les discours des leaders de l’opposition et particulièrement ceux du FPI qui font faire une crise d’urticaire au régime de Ouattara qui espérait une légitimation aisée comme celle que lui a donnée Paul Yao N’dré l’ancien président du conseil constitutionnel. La colère des balayeuses sonne donc l’heure des ruptures. Elles étaient le ferment de la séduction du pouvoir. Elles sont désormais le point de ralliement des consciences trompées et violées. Leur désespoir mais aussi leur détermination à obtenir ce qui leur est dû est le signe que la faim justifie les moyens.
JOSEPH TITI
Aujourd’hui
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