7 mois après la chute du bunker / SEM Jean-Marc Simon, Ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, parle enfin :
‘’Je ne crains aucun déballage de Laurent Gbagbo lors d’un procès éventuel
Réalisée par :Touré Youssouf, Huberson Digbeu et Maxime Wangué : Collaboration Séri Guédé, Dédi Aymar
Son Excellence M. Jean-Marc Simon est un témoin privilégié de la crise postélectorale survenue en Côte d’Ivoire. Dans cette méga et exclusive interview, il dit sa part de vérité. Notamment sur le supposé enlèvement de M. Youssouf Bakayoko en vue de proclamer des résultats en faveur de Ouattara au Golf Hôtel. L’Ambassadeur explique comment Paul Yao N’dré a opéré pour renverser les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle, revient sur la dernière conversation téléphonique entre lui et le ministre Désiré Tagro peu avant sa mort. Jean-Marc Simon assène d’autres vérités du genre : ‘’il faut être de mauvaise foi pour parler de coup de force de la France en Côte d’Ivoire’’. Il ne manque pas de donner ses recettes pour une bonne réconciliation nationale et tranche : la Françafrique n’existe plus depuis longtemps. Des vérités exclusives !
Excellence, le Président Alassane Ouattara a bouclé ses premiers 100 jours à la tête de la Côte d’Ivoire ; quel regard critique portez-vous sur le bilan du nouveau chef de l’Etat ivoirien ?
Un peu plus de cent jours après la formation de l’actuel gouvernement, les résultats sont là. Souvenons-nous de l’état dans lequel se trouvait la Côte d’Ivoire au lendemain de la crise postélectorale. Après plusieurs mois très douloureux d’affrontements et de blocage de l’économie, le nouveau régime avait retrouvé une armée, des forces de sécurité et une administration dénuées de tous moyens, une ville où tout était sens dessus-dessous. Je dois dire aujourd’hui que l’image offerte aux visiteurs et aux citoyens est plutôt encourageante et réconfortante. La ville est propre, la sécurité règne, on circule la nuit sans être importuné par des barrages intempestifs. La criminalité semble régresser d’après les chiffres dont nous disposons. Beaucoup d’investisseurs se pressent à Abidjan pour proposer leurs projets et sont prêts à travailler avec ce pays. Tout ceci est extrêmement prometteur et encourageant. La Côte d’Ivoire est aujourd’hui sur de bons rails, pour retrouver le chemin de la croissance, du développement et de la stabilité.
La France, votre pays, a hier volé au secours de la Côte d’Ivoire pour payer les salaires des agents et fonctionnaires de l’Etat. Vous venez d’apporter une aide de 520 millions de FCFA au Fonds social de développement. Quel est le sens de ces gestes pour la France ?
Après la crise terrible qui a ravagé ce pays, la fermeture des banques, l’interruption des activités économiques, la politique de la « terre brûlée » pratiquée par les partisans de M. Gbagbo, il était évident que les nouvelles autorités allaient avoir à faire face à de grandes difficultés- notamment sur le plan économique et budgétaire. Le paiement des salaires des fonctionnaires était indispensable à la remise en marche de la machine administrative et par conséquent de l’Etat. Souvent, il suffit d’amorcer la pompe pour que les choses redémarrent. C’est le sens de notre aide intervenue dès la fin de la crise au mois d’avril. Je crois que cela s’est fait à la satisfaction de chacun et en particulier des fonctionnaires ivoiriens. Quant au Fonds social de développement, ce n’est pas une aide exceptionnelle, mais un dispositif récurrent : il s’agit de financements permettant d’encourager des initiatives de terrain venant d’ONG et destinés notamment à lutter contre la pauvreté. Ce dispositif d’appui de la société civile donne des résultats très satisfaisants.
Excellence, le camp Gbagbo vous a accusé d’avoir kidnappé le président de la CEI, Youssouf Bakayoko, et de l’avoir conduit manu militari au QG de son adversaire au Golf Hôtel pour falsifier le verdict des urnes. Que s’est-il passé ce jour-là ?
Même dans les mauvais films de série B, les diplomates ne kidnappent pas les présidents d’institutions… Il serait temps d’en finir avec cette rumeur désobligeante. Désobligeante pour moi-même – ça n’a que peu d’importance – mais aussi pour le président de la Commission électorale indépendante, qui a agi comme il s’en est exprimé lui-même à plusieurs reprises depuis, selon sa conscience et en prenant lui-même des risques et ses responsabilités. Il faut plutôt rendre hommage au courage de M. Youssouf Bakayoko dans ces circonstances et ne pas aller chercher de pression ou de manœuvre de quiconque.
Comment appréhendez-vous les discours des proches de l’ancien régime à l’égard de la France ? Avez-vous le sentiment de n’avoir pas fait ce que vous devriez faire pour prévenir ce que vous qualifiez de hold-up électoral de l’ex-régime ivoirien ?
Nous avons déploré, vous le savez, depuis 2003, puisque les choses ont commencé aux lendemains de l’Accord de Marcoussis, l’instrumentalisation d’un sentiment anti-français en Côte d’Ivoire. A mon sens, il ne correspond pas du tout au sentiment réel et profond des Ivoiriens, avec lesquels les Français se sont toujours parfaitement entendus. Je crois d’ailleurs que peu à peu le camp Gbagbo avait compris qu’il ne servait à rien de s’attaquer à la France. On constate qu’au cours de cette crise postélectorale, on a peu touché aux intérêts français, ou même à la Force Licorne. On ne peut oublier cependant l’assassinat dans des conditions épouvantables de deux de nos compatriotes, et de deux autres personnes, dans cette dramatique affaire du Novotel. Une nouvelle page s’ouvre désormais. Aujourd’hui, le sentiment des Ivoiriens à l’égard de la France est plutôt un sentiment de forte attente. La France est prête à y répondre dans le respect de la souveraineté ivoirienne et sur la base d’un véritable partenariat.
Est-ce le rôle d’un ambassadeur, fut-il celui de la France, de s’immiscer dans le processus de proclamation des résultats d’une élection dans un Etat souverain?
Vous revenez là sur la question précédente, à laquelle je viens de répondre. Il n’y a eu aucune immixtion. Les résultats ont été proclamés par le président du Conseil Constitutionnel. Il se trouve par ailleurs qu’il n’était pas le seul à posséder les résultats, car des systèmes avaient été mis en place par la plupart des candidats et ces résultats étaient connus ou l’ont été très vite après le 28 novembre et que tous ces résultats concordaient. D’ailleurs, j’observe que même le président du Conseil Constitutionnel n’a pas remis en cause dans son premier verdict, la nature de ce résultat. Il en a simplement annulé une partie pour modifier le résultat de l’élection.
L’ex-régime vous accuse d’avoir fait du faux en vous basant sur des résultats non définitifs pour ameuter la communauté internationale et présenter M. Ouattara comme le Président élu. En un mot, vous n’avez pas attendu la fin du processus électoral avec la décision du Conseil Constitutionnel. N’avez-vous pas induit en erreur Paris et les autres capitales européennes ?
Il faut rétablir la vérité des choses. Nous n’avons pas pris position. La France a simplement pris acte des résultats de l’élection. Elle s’en est remise à la certification qui a été faite par le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations-Unies comme c’était son mandat. A partir de ce moment-là, elle a agi sur le plan international pour que la volonté des Ivoiriens soit respectée.
Qui est à la base de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ? Est-ce Young Jin Choi, Laurent Gbagbo ou Alassane Ouattara ?
Je crois que la responsabilité est très claire dans cette affaire. Elle revient naturellement au clan Gbagbo qui n’a pas voulu respecter le verdict de cette élection qui s’est déroulée dans des conditions remarquables. Je vous rappelle que l’on a observé plus de 80% de participants aux deux tours de cette élection, ce qui ne s’est jamais vu en Afrique et qui ne se voit pas non plus ailleurs dans le monde. C’était un signe de très grande maturité politique de la part des citoyens de ce pays, qui ont montré leur désir de démocratie et leur volonté de sortir de la crise.
Cette présidentielle en Côte d’Ivoire s’est déroulée sans le désarmement des ex-rebelles et la réunification du pays. Votre pays n’a-t-il pas provoqué le chaos en faisant pression sur Laurent Gbagbo pour organiser de manière précipitée des élections malgré la partition du pays ?
Attendre cinq ans pour organiser une élection, je n’appellerai pas cela de la précipitation ! Cette élection était attendue par les Ivoiriens, je ne pense pas que l’absence de réunification totale du pays ait pesé en quoi que ce soit sur le verdict final des urnes.
Laurent Gbagbo et ses partisans accusent votre pays d’avoir opéré un coup de force pour installer au palais présidentiel, votre pion, Alassane Ouattara alors qu’il n’a pas gagné les élections. Que répondez-vous à cette déclaration ? Qui a arrêté Laurent Gbagbo, son épouse et ses enfants ainsi que ses collaborateurs ? Est-ce vos forces avant de les remettre au commando dit mystique ?
Il faut être sérieusement de mauvaise foi pour parler de coup de force de la part de la France. Il y a eu de la part de M. Gbagbo un rejet du verdict populaire, des intimidations sur la population, qui sont allées jusqu’à des massacres. On a vu, il y a plusieurs semaines, à Abobo une centaine de cercueils qui rappelaient de façon très douloureuse ce qui s’est passé. La France s’est contentée, avec l’ONUCI et en vertu de la résolution 1975 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, de détruire des armes lourdes, qui non seulement menaçaient les populations mais les terrorisaient et les agressaient. Elle est intervenue en liaison avec la force des Nations-Unies et avec un mandat très clair du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Maintenant, quant à l’arrestation de monsieur Gbagbo, je crois que les choses sont claires : il a été arrêté par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire qui sont intervenues à l’intérieur de sa résidence. A aucun moment, aucun Français, militaire ou civil, n’a pénétré dans cette résidence.
Concernant Désiré Tagro, vous êtes la dernière personne à avoir communiqué avec lui sur son téléphone portable car choisi par Laurent Gbagbo afin de négocier un cessez-le-feu pour permettre au chef de l’Etat et à ses proches de sortir sans violence de la résidence. Pouvez-vous faire éclater la vérité sur les circonstances de la mort du ministre Désiré Tagro ?
Les choses sont très claires en ce qui me concerne. Ce que vous dites est juste, je suis probablement l’un des derniers à avoir parlé avec monsieur Désiré Tagro. Il m’a effectivement appelé au téléphone pour demander à sortir de l’endroit où il se trouvait avec une centaine de personnes autour de Laurent et Simone Gbagbo. Je lui ai dit que nous allions intervenir aussitôt pour que les choses puissent se dérouler de la façon la plus sereine possible, qu’aucun coup de feu ne soit tiré et que tout le monde ait la vie sauve. C’est ce qui s’est passé, à l’exception malheureusement de M. Tagro, ce que je regrette très sincèrement. Ce qui s’est passé entre le moment où nous avons eu cette conversation téléphonique et le moment où il est sorti de la résidence ensanglanté – il y a des photos qui le montrent, debout sortant de la résidence ensanglanté – je ne le sais pas. De qui a-t-il été victime ? Toutes les hypothèses restent ouvertes. Je n’ai évidemment pas les réponses à ces questions.
Pourtant dans vos propos, vous avez dit qu’il ne devrait pas avoir de coups de feu ?
Vous faites bien de dire cela. J’étais à ma résidence à ce moment-là et vous savez qu’elle jouxte la résidence présidentielle. Je n’ai personnellement pas entendu de coups de feu à partir du moment où cette conversation a eu lieu. Alors que s’est-il passé ? Ce que j’observe, c’est que tout le monde est sorti, qu’aucun coup de feu n’a été tiré et que Laurent Gbagbo et la centaine de personnes qui étaient avec lui ont été conduits en quelques minutes à l’Hôtel du Golf.
Aujourd’hui, Laurent Gbagbo a été fait prisonnier. Quel regard portez-vous sur les poursuites contre l’ancien Président et ses proches ? N’y a-t-il pas une justice des vainqueurs contre les vaincus, quand on voit les Forces nouvelles qui sont libres de leurs mouvements, malgré les exactions qu’elles sont soupçonnées avoir commises ? N’y a-t-il pas deux poids, deux mesures?
Il y a bien entendu une responsabilité écrasante de la part de celui qui a refusé le verdict des urnes et n’a pas hésité à provoquer des massacres, qui ont fait, rappelons-le, trois mille morts recensés. Le nombre réel de victimes est d’ailleurs probablement beaucoup plus élevé. Maintenant, qu’il y ait eu de l’autre côté certaines exactions, je crois que personne ne le nie. Le Président de la République a dit lui-même qu’aucun crime ne resterait impuni et la justice tout comme la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) ont la charge de faire la lumière sur tous les faits incriminés. J’observe aussi que la Cour Pénale Internationale (CPI) dans son rapport a dit très clairement que tous les actes susceptibles de constituer des crimes de guerre ou contre l’humanité feraient l’objet d’enquêtes et seraient poursuivis.
La venue à Abidjan de M. Ocampo, procureur de la CPI, veut-elle dire que Laurent Gbagbo est sur le chemin de La Haye ?
La Cour Pénale a été saisie et le procureur a eu l’autorisation de mener des enquêtes. Et c’est dans le cadre de cette procédure judiciaire que le procureur général s’est rendu à Abidjan. Maintenant, il faut laisser à cette juridiction le soin de faire son travail, dans les règles et les procédures qui sont les siennes.
Si un citoyen ivoirien porte plainte contre vous pour complicité de meurtre, êtes-vous prêt à y répondre ?
Chacun a la liberté de porter plainte contre qui il veut.
Monsieur l’Ambassadeur, Laurent Gbagbo est poursuivi en Côte d’Ivoire et ensuite devant la CPI. Ne craignez-vous pas le grand déballage du Président déchu avec les conséquences multiples pour la France?
Moi, je ne crains rien du tout. J’estime, et la France estime, que justice doit être rendue. Si des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ont été commis, il appartient aux juridictions compétentes de le déterminer et d’en poursuivre les auteurs, quels qu’ils soient.
L’ancien Président français, Jacques Chirac, est accusé par Robert Bourgi d’avoir perçu des pots-de-vin de la part de Laurent Gbagbo et de bien d’autres chefs d’Etat africains. Comment analysez-vous cette affaire en tant que diplomate français?
Je serai personnellement très surpris que le Président Jacques Chirac ait accepté de recevoir des mallettes de monsieur Laurent Gbagbo. Je crois que les propos de monsieur Bourgi n’engagent que lui.
Qu’est-ce qui fait courir la France, en Côte d’Ivoire, en Libye… Les richesses de ces pays ou une volonté d’enraciner la démocratie dans ces Etats africains? C’est quoi aujourd’hui la Françafrique selon vous?
La France est attachée à la démocratie et aussi à l’émergence d’une nouvelle notion dans les relations internationales qui est la responsabilité de protéger. Il s’agit pour la communauté internationale de venir en aide à des populations qui sont menacées dans leur intégrité ou dans l’expression de leur volonté. C’est le sens des interventions qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire comme en Libye : la responsabilité de protéger. A propos de la Françafrique, je crois qu’elle n’existe plus depuis longtemps et qu’il ne faut pas faire de mauvais procès à la France, en lui reprochant tantôt de trop intervenir et tantôt de ne pas le faire suffisamment. La relation franco-africaine se fonde d’abord sur l’amitié et sur cette relation très particulière et ancienne qui existe entre ces pays et le nôtre : relation basée sur le sang versé, mais aussi sur le partage d’une langue et d’une culture communes. Je crois que nous avons l’obligation d’encourager et de ne pas laisser détruire cette relation et ce capital, qui sont une chance pour tous dans ce monde globalisé d’aujourd’hui. Une forte relation de partenariat demeure entre la France et les Etats africains et doit être encouragée sans complexes de part et d’autre.
La réconciliation nationale est en marche avec l’installation officielle le 28 septembre dernier de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Croyez-vous en sa mission de réconciliation au regard de sa composition avant tout politique? En cas d’échec, ne craignez-vous pas un retour au chaos? Y a-t-il une recette miracle pour une bonne réconciliation?
Il faut se garder de chercher des affiliations politiques à chacun des membres de cette commission. Ils ont été nommés pour leur appartenance à la société civile, sur la base de ce qu’ils avaient pu faire par ailleurs, par exemple dans leur région ou dans leur profession. Il ne faudrait donc pas faire de procès d’intention aux membres de cette commission au moment où ils commencent à travailler et s’investissent dans cette tâche immense et noble.
On ne combat pas l’injustice par l’injustice, dixit Abdou Diouf à la remise du prix Félix Houphouët-Boigny. Les frasques de certains éléments des FRCI ne menacent-elles pas la sérénité des investisseurs?
Sur ce sujet-là, tout le monde s’est exprimé : la France, la communauté internationale, les grandes organisations des droits de l’Homme, le Président Ouattara. Aucun crime ne doit être impuni d’où qu’il vienne.
Quel est, selon vous, le remède miracle pour une bonne réconciliation?
Il faut d’abord que la vérité éclate et qu’elle soit acceptée par tous. A partir de ce moment-là, la réconciliation doit suivre assez facilement. Mais le plus dur, c’est de faire admettre la vérité par tout le monde. Etablir la vérité sera précisément la tâche des personnalités qui ont été choisies dans la commission, ainsi que dans les sous-commissions qui vont travailler au niveau local. Les populations auront la possibilité de s’exprimer pour que la vérité éclate.
Excellence, vous dites réconciliation d’abord et justice ensuite, ou justice d’abord et réconciliation après?
Ce sont deux démarches différentes à mon sens. Il faut que la justice fasse son travail au rythme qui est le sien. Elle participe à cette manifestation de la vérité, qui peut venir aussi par d’autres voies. Mon sentiment c’est que la vérité vient d’abord, puis de façon naturelle, la réconciliation peut suivre.
On accuse la France d’avoir choisi son camp contre d’autres Ivoiriens. Qu’en dites-vous?
Ce n’est pas une vérité. Vous souvenez-vous par exemple de la position de la France avant les élections? La France n’avait pas de candidat. M. Guéant, Secrétaire général de la présidence de la République était venu le dire ici à Abidjan, et avait eu des entretiens avec les trois principaux candidats. La France était prête à travailler avec celui qui serait choisi par les Ivoiriens, et tout ce qu’elle a pu faire par la suite, elle l’a fait au nom des Ivoiriens et à la demande des Nations-Unies et de toute la communauté internationale.
Aujourd’hui, on a l’impression que c’est Gbagbo et son camp seul qui ont fait du mal. On absout le camp Ouattara…
On a vu comment les choses se sont passées. Les populations ont été victimes à Abobo, de représailles quotidiennes. Vous vous souvenez de tous ces gens persécutés qui étaient obligés de se protéger. C’est à partir de ce besoin de protection que le conflit s’est déclaré! Il est toujours difficile ensuite de faire évidemment la part des choses, et c’est là l’intéret d’avoir recours à la Cour Pénale Internationale. C’est une juridiction neutre et extérieure qui pourra se prononcer sur la nature des crimes qui ont été commis de part et d’autre.
Il y a eu des tueries à l’intérieur du pays, des villes sont tombées les unes après les autres. C’est le camp Ouattara qui a pris tout le pays avant de s’attaquer à Abidjan. Pourquoi les crimes de Duékoué sont passés sous silence? Ceux qui ont été tués à Abobo sont-ils plus importants que ceux tués à Duékoué?
Non! Aucun mort n’est plus important que l’autre naturellement. Ce qui s’est passé à Duékoué doit être éclairci, la France l’a dit et réclamé. Il y a aujourd’hui une commission d’enquête qui travaille à faire apparaître la vérité. Ce qui s’est passé dans cette région, où il y a des tensions et des affrontements depuis des années, doit être établi. Les commissions y travaillent. C’est le souhait de la France.
Que pensez-vous de la situation sécuritaire actuelle en Côte d’Ivoire? Comment parvenir à enrayer l’insécurité ?
L’enjeu sécuritaire est pour le gouvernement actuel, un défi particulier, une tâche prioritaire. Il est essentiel de réunifier durablement l’armée, de la remodeler et la reconstruire d’une façon républicaine. Il y a beaucoup de strates différentes dans cette armée issue des différentes péripéties de la vie nationale au cours des dernières décennies. Il est important aujourd’hui de réunifier ces différentes couches et de leur donner une mission : c’est ce qu’on appelle la restructuration des forces armées. Celle-ci suppose de démobiliser et réinsérer certains éléments, car il n’y a pas de démobilisation réussie sans réinsertion. C’est une tâche qui est extrêmement difficile, à laquelle la France, mais aussi l’Union Européenne, les Etats-Unis, les Nations-Unies et tous les partenaires sont prêts à apporter leur concours. Le gouvernement a bien conscience de l’immensité de cette tâche et s’y attelle. Les résultats ne peuvent naturellement pas être immédiats.
Arrivé en pleine crise en Côte d’Ivoire, aviez-vous une mission spécifique à accomplir dans ce pays? En êtes-vous satisfait? Que retenez-vous de votre passage dans ce pays?
J’ai été extrêmement frappé par cette volonté des Ivoiriens de sortir de la crise, et qui a permis aux choses de rentrer dans l’ordre aujourd’hui. Si je devais résumer la mission qui était la mienne, c’était de faire en sorte que cette relation entre la France et la Côte d’Ivoire, qui est une relation très forte, très ancienne et très fraternelle, soit restaurée durablement et sans arrière-pensée, ni d’un côté, ni de l’autre.
Quel est l’avenir de la Force Licorne?
La Force Licorne en tant que telle a vocation à disparaître au moment où s’achèvera le mandat des Nations-Unies. Cependant, le gouvernement ivoirien nous a demandé de maintenir quelques éléments ici pour assurer précisément la formation et la restructuration de cette nouvelle armée, avec des effectifs qui n’ont évidemment plus rien à voir avec ceux qu’on a pu connaître dans les années passées.
Le Sénat français a basculé à gauche ; cela annonce-t-il, selon vous, un bouleversement dans l’échiquier politique français avant la présidentielle de 2012?
Il est certain que le changement de majorité au Sénat est une nouveauté de la Ve République, mais je crois qu’il ne faut pas mélanger les choses. L’élection au Sénat est une élection particulière, au suffrage indirect. L’élection présidentielle en est une autre, totalement différente, au suffrage universel direct. C’est la rencontre d’un homme avec son peuple. Je ne crois pas que le cas de l’élection du Sénat permette de tirer des conclusions sur ce qui se passera en avril prochain en France.
A quelques mois de la retraite, que retenez-vous de votre carrière de diplomate: les bons et les mauvais souvenirs?
J’ai la chance d’avoir eu une carrière qui m’a mené à travers le monde, sur plusieurs continents, en Amérique latine, en Asie du sud-est, en Europe et à de nombreuses reprises en Afrique. J’ai commencé ma carrière sur ce continent, et c’est là aussi que je la termine. J’ai servi dans des endroits difficiles – au Liban, au Tchad, en Centrafrique – avec des expériences humaines qui ont été très fortes. J’ai vécu des moments très difficiles, des situations humaines dramatiques. J’ai vu des amis assassinés, mais j’ai aussi découvert l’amitié et la chaleur humaine que ces circonstances permettent de vivre. Je pense à tous ceux que j’ai connus et qui ont disparu dans ces crises que j’ai vécues.
Nous allons prendre congé de vous…
Je remercie l’Intelligent d’Abidjan, qui avait d’ailleurs, à l’époque, été le premier journal à annoncer mon arrivée en Côte d’Ivoire. Que tous mes voeux de succès accompagnent votre journal ! C’est un organe de presse qui a toujours montré son indépendance, sa qualité et son professionnalisme. Je lui souhaite de poursuivre sur sa lancée.
Réalisée par :Touré Youssouf, Huberson Digbeu et Maxime Wangué : Collaboration Séri Guédé, Dédi Aymar
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