Philippe Leymarie – blog.mondediplo
« Je ne suis pas sûr d’être bon … ». Gérard Longuet, le ministre français de la défense, fait le modeste devant l’Association des journalistes de défense (AJD), ce mercredi 16 novembre. Il exerce « un métier passionnant », au carrefour de multiples disciplines, centres de décision, etc., avec un président qui « assume entièrement » sa fonction de chef des armées, et qui a une captivante « philosophie du résultat ». Petit florilège :
Bases en Afrique – Le ministre défend l’actuel processus de resserrement sur deux implantations principales : « On aurait choisi Port-Boët, en Côte d’Ivoire, [1] si Ouattara avait été en place plus tôt ». Mais il est inutile de se disperser (sur de nombreux points d’appui) : « Les unités ont une formidable capacité à être projetées, et on peut travailler depuis la métropole ». [2]
Demande d’aide militaire du CNT libyen – « A ma connaissance, il n’y en a pas. On répondra favorablement, compte tenu des liens actuels. Mais il n’y a pas d’Etat, pas de ministère de la Défense : ça ne facilite pas… ».
Dissémination des armes en Libye – Le ministre français rassure : « Il y a des équipements en vadrouille, mais ni gaz moutarde, ni produits nucléaires ». Et il se rassure, à propos des milliers de missiles Sam qui seraient dans la nature : « On ne peut nier. Mais leur usage demande un minimum de logistique (par exemple, des piles), d’entretien et de savoir-faire ». Et Longuet de conclure : « En fait, tout reste à contrôler et à organiser ».
Unified protector, en Libye – « Les guerres se gagnent au sol, et non dans l’aérien : sans les combattants libyens, Kadhafi serait toujours là. Mais, sans l’opération aéronavale de l’OTAN, il n’y aurait plus d’opposants libyens… ».
La coalition – « Partis à deux, arrivés à quarante … Avec trois états-majors, dans un dispositif américain, puis OTAN. Les huit nations qui procédaient aux frappes ont donné la tonalité…. ». Conclusion : « On peut faire à côté des Américains, sans être contre. Leur soutien était indispensable, mais cela n’a pas été un leadership ».
Budget 2012 – « Les coups de rabot sur la défense sont limités à moins d’un pour cent des 31,7 milliards d’euros (hors pensions) ». Il va manquer de crédits par exemple pour financer les prochaines campagnes de recrutement.
Retrait d’Afghanistan – Un départ plus tôt (que les Américains) est « incompatible avec notre statut de membre du Conseil de sécurité : nous sommes nécessairement solidaires ». Pour le ministre, un retrait prématuré « annulerait dix ans d’effort ».
L’avenir de Karzai et des talibans – « Le choc frontal n’est pas à leur portée, mais la guérilla, si. Il ne faudra pas de retrait “sec”, sans coopération, ni perspective ». On devra au contraire contribuer au fonctionnement de l’armée et de la police afghanes, « mais au coût d’une guerre afghane, pas au prix américain ! ».
Frappes sur l’Iran – « Elle ne sont pas à l’ordre du jour, pour nous, Français. Pas de frappes préventives. Mais la France défendrait Israël s’il était attaqué. Et elle prend très au sérieux le rapport de l’AIEA ».
Intervention en Syrie – « Je suis excessivement prudent. Ce n’est pas le cas libyen : il n’y a pas de mandat de l’ONU, il y a imbrication dans chaque camp, c’est un terrain très rude ». Le ministre renvoie à un écrit du colonel de Gaulle, en 1929, L’Histoire des troupes du Levant (réédité avec La France et son armée, chez Perrin, en septembre 2011).
L’axe Paris-Londres – Un an après la signature du traité franco-britannique de Lancaster House (le 2 novembre 2010), on fait le compte de ce qui marche (la coopération sur la dissuasion) et ce qui est engagé (la réflexion sur un drone pour 2020).
Les Allemands (qui n’ont pas souhaité s’engager en Libye) – « On les préfère pantouflards plutôt que casques à pointe ; mais on les aimerait plus responsables ». Le ministre comprend qu’avec leur densité de population, ils ne voient pas le nucléaire et la dissuasion de la même manière qu’en France. Ils ont « le souci de la Russie ».
Les Russes – Ils ont des problèmes : effondrement démographique, agitation dans les républiques musulmanes, concurrence face à la Chine. Conclusion du ministre : « Une défense antimissile qui recréerait une frontière (plus étanche) avec la Russie ne serait pas forcément une bonne chose ».
L’invendable Rafale – « C’est en phase finale qu’on a le plus de tension. Plus les négociations sont tendues, plus ça marque l’intérêt. Si un vendeur est pressé, il vend mal. Même chose pour l’acheteur … ». Mais le choix de cet appareil était pertinent, selon le ministre : multi-missions, un équipage pour trois, pas plus cher que l’Eurofighter, et moins que les appareils américains (qui ne sont pas d’usage libre).
Armement – Les exportations françaises ont été sans grands contrats en 2010, mais représentent quand même 7 % du commerce mondial. Les BPC russes et le retrofit des Mirage indiens devraient booster le bilan de 2011.
Pirates de Somalie – « Les gardes civils armés à bord des bateaux [3], j’en pense le plus grand bien ».
Manifestations patriotiques – « Une grande journée qui rassemble tout le monde, en hommage aux “morts pour la France”, c’est bien. Mais attention à ne pas se mettre en situation d’avoir à mesurer le degré de patriotisme à l’aune de la fréquentations des cérémonies ». [4]
L’ordre et la morale – « Je n’irai pas voir le film de Kassowitz, pour ne pas avoir à le commenter en tant que ministre de la défense ».
Notes
[1] Plutôt que Libreville (Gabon).
[2] La bonne vieille « métropole » est toujours dans certaines têtes !
[3] Mis en place notamment par les Américains, les Espagnols, les Britanniques, mais pas par les Français.
[4] On fera plus tard un sort aux cendres du général Marcel Bigeard, qui seront transférées finalement aux Invalides – à l’initiative justement de Gérard Longuet, qui en a fait une cause nationale (en mettant en exergue sa bravoure à Dien Ben Phu, et en oubliant ses turpitudes lors de la bataille d’Alger) et régionale (tous deux sont lorrains).
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