Par Sébastian SEIBT (texte)
France 24
C’est une déclaration commune des ministres de l’Économie de plusieurs pays africains qui est passé inaperçue… ou presque. Le 25 septembre, à l’issue de la dernière assemblée annuelle du Fonds monétaire international (FMI), ces grands argentiers africains ont reconnu que les turbulences économiques traversées par les pays dits riches – et notamment ceux de la zone euro – faisaient peser un “risque considérable” sur l’Afrique.
Depuis cette mise en garde, la crise de la dette en Europe s’est aggravée, frappant l’Italie et forçant Silvio Berlusconi à démissionner. Pour le continent africain, la perspective d’une nouvelle récession en Europe, qui pourrait se propager aux États-Unis, arrive au pire moment. “La plupart des pays africains se relèvent tout juste de la crise économique de 2008”, assure à France 24 Shanta Devarajan, économiste en chef pour l’Afrique à la Banque mondiale.
Car les effets de la chute de la banque d’affaires Lehman Brothers, en septembre 2008, ne se sont pas fait sentir que dans les pays développés. La croissance annuelle moyenne sur le continent africain était ainsi passée de 6% en 2007 à 1,9% en 2009.
Reprise en péril
La dernière crise mondiale aurait pu être encore plus dommageable pour le continent africain “si la plupart des pays n’avaient pas eu de fortes réserves d’argent provenant surtout de leurs exportations de matières premières qui leur ont permis d’amortir le choc”, rappelle Shanta Devarajan. Une manne de dollars qui a servi dans grand nombre de pays africains à mettre en œuvre des politiques de relance économique. A partir de 2010, les effets de cette stratégie économique se sont fait ressentir avec un taux moyen de croissance d’un peu plus de 5% par an, selon le dernier rapport du FMI sur les économies africaines, daté de septembre 2011. Mais dorénavant, cette forte reprise est en péril.
En effet, “cette fois-ci, la marge de manœuvre financière est bien moindre pour lutter contre les effets d’une éventuelle récession mondiale”, craint Shanta Devarajan, qui juge qu’une nouvelle crise “pourrait ainsi avoir des conséquences encore plus graves pour le continent que celle de 2008”. Certes, les prix des matières premières ont de nouveau grimpé ces deux dernières années, mais ce n’est rien comparé aux bénéfices engrangés par ces pays exportateurs durant les cinq ans qui ont précédé la débâcle économique de 2008.
Si les déboires de la zone euro se transforment en nouvelle crise mondiale, l’Afrique serait donc frappée de plein fouet. Le processus est connue : les pays développés risquent de réduire leurs importations, la demande mondiale va chuter, entraînant une baisse des prix. Dans certains cas, cette spirale est d’ailleurs dores et déjà à l’œuvre. La ministre de l’Économie du Cap Vert, Cristiana Duarte, a ainsi indiqué que les exportations de son pays avaient commencé à baisser. Cet État exporte, en effet, 80% de ses produits vers le Portugal, l’Espagne et l’Italie, trois des pays les plus affectés par la crise des dettes européennes. Par ailleurs les cours du cacao, dont la Côte d’Ivoire et le Ghana sont les principaux producteurs mondiaux, ont chuté à leur plus bas niveau depuis 2008.
Europe vs Chine
Le fait que l’Europe, et non pas les États-Unis, est cette fois-ci l’épicentre des soubresauts économiques mondiaux est également une mauvaise nouvelle de plus pour le continent africain. Passé colonial oblige, 37% des exportations africaines, hors pétrole, sont destinés au Vieux Continent.
“L’Europe est également le plus important pourvoyeur d’aide au développement pour les pays africains”, rappelle à France 24 Denis Cogneau, spécialiste de l’économie africaine et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). “Si l’Europe entre en récession, il y aura forcément des réductions de ces aides”, pronostique-t-il. Pourtant, “ces aides peuvent être décisives car elles pourraient offrir à plusieurs pays les marges de manœuvre nécessaires pour mener des politiques de relance économique”, confirme Shanta Devarajan.
Cette même analyse s’applique également aux transferts d’argent des émigrants africains installés dans les pays développés qui s’élèvent actuellement à 20 milliards de dollars. Surtout que “75% de cet argent provient d’Europe”, remarque Shanta Devarajan. Un tarissement de cette source de revenu affecterait davantage certains pays comme le Mali ou encore le Sénégal. En tout, selon les calculs de la Banque mondiale, une baisse de 1% de la croissance en Europe équivaut à une chute de 0,78% de la croissance en Afrique.
Ange gardien
Malgré cet amoncellement de nuages au-dessus de l’Afrique, le continent peut encore compter sur l’ange gardien asiatique. “Tant que la Chine et l’Inde continuent à avoir un aussi gros besoin de matières premières et notamment de pétrole, les pays qui possèdent ces ressources peuvent espérer amortir le choc d’une nouvelle crise mondiale”, juge Denis Cogneau. D’ailleurs, l’économiste constate que certains pays comme le Ghana ou l’Ouganda mènent une véritable course pour devenir des pays exportateurs de pétrole grâce à des gisements découverts récemment.
Ce n’est pas seulement grâce aux importations de matières premières que les géants asiatiques soutiennent les économies africaines. La Chine, et dans une moindre mesure l’Inde ou même le Brésil, sont ainsi devenus des investisseurs de premier plan sur le continent, que ce soit dans les infrastructures ou la mise en place de zones franches économiques. La part de Pékin dans les investissements directs en Afrique – qui s’élève à 50 milliards de dollars par an – est ainsi passée de 1% en 2003 à 17% actuellement, selon le FMI. Les difficultés économiques des pays occidentaux font que “la diversification géographique des partenaires économiques de l’Afrique, déjà bien entamée, va continuer en dehors de l’espace colonial traditionnel”, souligne Denis Cogneau. Une manière de dire que la crise peut permettre aux pays africains de couper le cordon ombilical économique avec les anciennes puissances coloniales ?
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