En Côte d’Ivoire, un prêtre capucin auprès des réfugiés

À l’occasion d’une visite pastorale de Benoît XVI au Bénin, en fin de semaine, « La Croix » décrit le terrain social et politique dans lequel se développe l’Église catholique sur le continent

La pluie est tombée toute la nuit. « Dieu a béni la terre », dit-on ici. Le sol en terre rouge est bouleversé par la boue et les nids-de-poule gorgés d’eau. La piste qui relie Zouan-Hounien à Toulepleu, le long de la frontière libérienne, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, évoque le Chemin des Dames sous l’Équateur. Seul un 4 x 4 peut l’emprunter. À son volant, le P. Jean-Louis, solide prêtre à la belle barbe poivrée de l’ordre des frères mineurs capucins de la mission catholique de Zouan-Hounien.
Plus de 10 000 familles en charge

LAURENT LARCHER

Depuis la fin de l’offensive des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) en avril, il sillonne cette route pour venir en aide aux réfugiés, comme ce jour-là. En partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), il distribue de la nourriture et des semences à tous ceux qui ont fui la guerre civile. « En avril, nous faisions vivre quelques dizaines de ménages ; en juillet, 6 000 ; en août, 9 000 et, en octobre, nous tenons à bout de bras plus de 10 000 familles. »

Dans cette zone forestière, l’une des dernières forêts primaires d’Afrique, on parle de villages fantômes, d’exécutions sommaires, de tueries généralisées, de pillages et de viols. Comme à Duékoué, la ville de l’ouest dans laquelle entre 200 et 800 personnes ont été tuées à la fin du mois de mars après l’offensive des FRCI, les forces qui portèrent l’actuel président Alassane Ouattara au pouvoir.

Le long de la piste, il croise des chercheurs d’or, pacifiques, qui lui demandent s’il y a une place dans le 4 x 4. Le prêtre leur fait de grands signes, en reconnaît quelques-uns, veut savoir s’ils vont bien. Les capucins sont connus. Depuis des années, la mission catholique de Zouan-Hounien est réputée pour son aide au développement agricole de la région : avec le concours du Pnud, elle a mis à la disposition des populations des outillages agricoles, des semences, des engrais.

« La zone est propre »

Le 4 x 4 poursuit sa route en évitant de finir au fond d’un fossé ou contre un hévéa. Sur le chemin, on ne compte plus les barrages militaires. À chaque fois, le prêtre s’arrête pour saluer le « commandant », lui donner la raison de sa présence. Lorsque le P. Jean-Louis les interroge sur le degré de sécurité de la zone, il entend le même refrain : la zone est « propre ».

Les responsables des exactions ? Des mercenaires venus du Libera ! Pas un mot sur les FRCI et leurs supplétifs, des miliciens yacoubas (ethnie dominante de la région de Zouan-Hounien), qui pourtant n’ont pas été des enfants de chœur dans cette partie du territoire.

Le 4 x 4 s’arrête près d’un petit marché pour prendre deux Ivoiriens qui aident le prêtre dans son travail de recension. Une nouvelle inquiète les villageois : dans la nuit, des Libériens s’en sont pris à un campement de paysans, près d’ici. Pendant l’attaque, une femme est morte, une balle dans la tête. Au barrage suivant, un nouveau « commandant » dément la nouvelle. « En réalité, ce sont deux bandes de jeunes qui se sont croisées : certains ont tiré en l’air. Une balle perdue a traversé la tête d’une femme », explique le responsable du poste.

On l’aura compris donc : toute la région est « propre ». À travers cette information, il faut comprendre : les FRCI contrôlent la situation, ils n’ont pas commis d’exactions, il n’y a plus de danger. Un message répété à l’envi par les autorités politiques ou militaires pour convaincre les déplacés et les réfugiés de regagner leurs villages. Une question criante dans l’ouest du pays.

Une détresse palpable

Alors que l’ensemble de la Côte d’Ivoire a tourné la page de la guerre, celle-ci n’a pas encore dit son dernier mot dans la région. On ne compte plus les villageois qui, pour échapper au bras de fer entre les pro-Gbagbo et les FRCI, ont pris la fuite dans la brousse depuis le mois de mars. « Ils ont vécu des choses terribles, ajoute le prêtre, ils vivent dans la terreur d’être à nouveau ciblés par les mercenaires ou par des miliciens. Dans la brousse, ils crèvent de faim. Ils ne peuvent pas se soigner, sont sans défense contre les bandits et les animaux. Leur situation est dramatique. À cela s’ajoute l’abandon de leurs exploitations. Ils doivent retourner chez eux pour relancer les cultures. »

À quelques encablures de la sous-préfecture de Toulepleu, le prêtre s’enfonce dans la forêt. Il traverse des villages fantômes où seuls les chiens et les cochons errent en liberté entre les greniers abandonnés, les cases ouvertes, les puits pollués.

Une présence rassurante

« Sur les 60 villages qui se trouvent autour de Toulepleu, plus de 90 % ont été attaqués », explique Marcel Thiehi Koueyyon, un agent recenseur de la ville travaillant avec le P. Jean-Louis. En avril, dans certains endroits, comme à la sous-préfecture de Tioubli, on ne trouvait qu’une dizaine de personnes : les soldats FRCI chargés de sécuriser et de rassurer les « déplacés ». Le 4 x 4 s’arrête à N’Guiglo. Les villageois s’approchent timidement. Ils ont reconnu, de loin, la silhouette du prêtre. Le P. Jean-Pierre les rassure, inscrit sur sa liste les nouveaux venus, leur annonce la date de la prochaine livraison de nourriture et de semences.

Et le voilà reparti à Péhé, à quelques kilomètres de Toulepleu. Son 4 x 4 garé dans la cour de l’église, le prêtre est rapidement entouré par les villageois. Il en reconnaît quelques-uns, en découvre d’autres. Tout le monde évite de parler du drame qui s’est joué ici.

Rassurées par la présence du prêtre, bénéficiant de l’aide alimentaire, les familles reviennent dans ce village. « Sans cette aide, bon nombre d’entre nous seraient morts de faim en brousse », assure Maxime, un habitant de Péhé. Un retour indispensable pour sortir ces populations de l’extrême pauvreté dans laquelle elles sont depuis le mois d’avril. « À ce jour, ils sont 60 % à être rentrés chez eux », assure, optimiste, le P. Jean-Louis.

LAURENT LARCHER, à Toulepleu

Source: la-croix.com

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