Assassiné par les forces pro-Ouattara, l’ex-ministre de l’Intérieur du président Gbagbo, Désiré Tagro, a été inhumé, samedi dernier, dans son village natal de Gabia, dans la sous-préfecture de Saïoua.
« Oui, nous avons déjà perdu des hommes chers par le passé. Nous avons déjà pleuré par le passé. Mais la mort de Tagro nous a particulièrement assommés. Tagro était la main qui nourrissait les bouches que nous sommes. Avec son assassinat, nombreux sont ceux qui vont mourir de faim. Frères, pleurons ! Pleurons très fort ! Car c’est nous que ceux qui ont assassiné Tagro visent. C’est nous qu’ils veulent affamer. Tagro, lui, est déjà parti et assis auprès de Dieu, le Créateur. Mais c’est nous-mêmes que nous pleurons aujourd’hui ».
C’est en ces termes que l’artiste-chanteur tradi-moderne Pablo de Gokra a traduit la douleur du peuple de Saïoua et d’Issia, mais également de tout le peuple bété, du Fpi, la famille politique du défunt, et de ceux qui ont connu et aimé l’homme. C’était lors de la dernière veillée du corps de l’ex- ministre Désiré Tagro, dans la nuit du vendredi 4 au samedi 5 novembre 2011, à Gabia, village natal du disparu. « Mais c’est justement parce que c’est nous qui sommes visés que nous devons rester dignes dans la douleur. Nous n’avons pas le droit de donner raison à ceux qui ont assassiné Tagro en nous laissant totalement abattre. Armons-nous plutôt de plus de courage et de détermination, et envisageons l’avenir avec sérénité ! », a conclu l’artiste.
Douleur et dignité
En effet, c’est dans la douleur et la dignité que le peuple bété de la tribu Nogogo, qui comprend les villages de Gabia, Zadiahio, Dérahio et Krizagbahio, a accueilli, le vendredi 4 novembre 2011, le corps de son digne fils, l’ex-ministre Désiré Tagro, assassiné le 12 avril 2011 par un élément des forces pro-Ouattara à la résidence officielle du président Laurent Gbagbo alors qu’il brandissait un drapeau blanc de cessation de feu. Ce peuple meurtri avait à ses côtés ses frères venus des villes d’Issia, Gagnoa, Daloa et Soubré. Mais aussi de leurs frères arrivés de toute la région du grand ouest et des autres régions du pays.
Arrivée sous le coup de 17 h dans le Nogogo, la dépouille mortelle de Désiré Tagro a été interceptée à plus d’un kilomètre du village de Gabia par une foule compacte en pleurs. Chacun voulait toucher le corbillard à défaut de toucher le cercueil de l’illustre disparu. C’est donc à pas de caméléon que le corbillard est entré à Gabia à 18 h 10 mn. L’émotion était à son comble. Enfants, jeunes, adultes et vieux pleuraient tous à chaudes larmes. Que dire des parents de Tagro, de son épouse Awa Sissoko Tagro et de leurs enfants ? On ne pouvait les voir et retenir des larmes. La tristesse était insoutenable non seulement à cause du défunt, mais également parce qu’on ne savait pas où déposer le cercueil pour la simple raison que les forces pro-Ouattara qui ont assassiné Désiré Tagro ont aussi incendié sa résidence au village. Haine quand tu nous tiens !
La messe de requiem a été dite par le vicaire général de Daloa, avec le soutien des chorales « Louange de Notre Dame de Lourdes d’Issia » et « Sainte Thérèse enfant Jésus de Vavoua » dont Désiré Tagro était le parrain.
L’oraison funèbre du Fpi
C’est Pr. Dédy Séri qui a ouvert la série des hommages au nom de la forte délégation du Fpi que conduisait le secrétaire général, porte-parole du parti, le député Laurent Akoun. Cette délégation comprenait également, les ministres Alphonse Douaty, Amani Michel et Sébastien Dano Djédjé. Il y avait également Gervais Téhidé, Barthélemy Oréga, le député de Nassian Kouakou Kra, Justin Koua, secrétaire national par intérim de la JFpi, et Tapé Kipré.
Adressant les condoléances du Fpi à ceux qu’il a appelé les « cœurs qui saignent le plus », c’est-à-dire la veuve, les enfants et les villageois de Gabia, Pr. Dédy Séri a soutenu qu’avec la disparition de Désiré Tagro, ceux-ci n’ont plus de couchettes. « Si le cœur d’Awa Sissoko Tagro, si les cœurs des orphelins de Tagro, si les cœurs des Gabia n’ont plus de couchettes, ces cœurs-là peuvent-ils trouver le sommeil ? », s’est interrogé le porte-parole occasionnel du Fpi.
Pr. Dédy Séri a également adressé les condoléances du Fpi à toutes les communautés vivant à Saïoua. A savoir les Bété, Baoulé, Wê, Malinké, Gouro, Yacouba, Agni, Akyé, Abbey, Abouré, Allandjan, Adjoukrou, Sénoufo, Tagbana, Lobi, ainsi que les allogènes burkinabé, maliens, sénégalais et autres Nigériens. Pour lui, Désiré Tagro n’appartenait plus à son épouse et à ses enfants, encore moins à son village Gabia, mais à toute la Côte d’Ivoire, voire au continent africain. Dans l’entendement de Désiré Tagro, dira Pr. Dédy Séri, la nation n’est ni la famille, ni l’ethnie, la région ou la religion.
Dédy Séri a, par ailleurs, précisé que Tagro est mort pour la République. C’est pourquoi il a tenu à remercier, au nom du Fpi, tous ceux qui ont donné une dimension nationale et internationale à ces obsèques. Notamment la classe politique ivoirienne dans toute sa diversité, les Ivoiriens de la diaspora et les représentations diplomatiques qui se sont senties consternées par la mort de l’ex-ministre Désiré Tagro.
La sœur cadette de Tagro raconte son frère
A la suite de Dédy Séri, la sœur cadette du défunt, Tagro Honorine, a retracé le parcours de son frère. Ainsi a-t-elle indiqué que l’ex-ministre Désiré Tagro est né le 27 janvier 1959 à la maternité d’Issia. Son cursus scolaire l’a conduit de l’école primaire à Gabia et Tézié à la Faculté de Droit de l’Université nationale de Côte d’Ivoire où il a décroché sa maîtrise en droit en 1983. Dans le souci d’aider ses sœurs et frères, il a choisi de travailler, alors qu’il avait obtenu une bourse d’études pour faire un 3ème cycle en Belgique. Tagro présentera trois concours d’Etat auxquels il a brillamment réussi. Notamment le concours de commissaire de police, celui d’officier des Forces armées de Bouaké et celui de l’Ecole de magistrature de l’Ena. Après discussions avec son père, il a opté pour la magistrature. A sa sortie de l’Ena en 1985, il sera affecté en qualité de substitut du procureur général près la Cour d’Appel de Bouaké. Ce fut le début d’une riche et excellente carrière administrative. Laquelle le conduira dans les fonctions de secrétaire général de la présidence de la République après avoir gravi tous les échelons de l’appareil judiciaire. Mais aussi avoir été directeur de cabinet et deux fois membre du gouvernement sous la présidence de Laurent Gbagbo.
Pour mieux comprendre ce que représentait l’ex-ministre Désiré Tagro pour sa famille, relevons ce qu’a indiqué sa sœur cadette : « Atoh Zika, Blé Tagro avait dans sa forêt un Zizé Kada, un grand acajou. Zizé est le tuteur de tous les arbres et arbustes implantés dans son entourage qu’il protège contre les vents violents Vovodou. Zizé sert aussi de refuge et de dortoir à certains animaux de la forêt. Quand Zizé s’écroule, les arbres, les arbustes et ces animaux se retrouvent orphelins et ne savent plus à quel saint se vouer. C’est, en effet, ce qui nous est arrivé, le 12 avril 2011, quand Digbeu Teti a Gazoa, la mort mandatée par Guihi Lago Tapé, l’Eternel Dieu Tout-Puissant Lui-même nous arrachait cruellement notre Zizé Kada, Tagro Assignini Désiré. Grande est donc la désolation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Toutefois, notre disparu avait une stature qui commande la dignité aux fins de lui rendre hommage ».
Après quoi le fils aîné du disparu a, au nom de ses sœurs et frères, fait la promesse à leur mère de rester dignes de leur père.
Tagro avait orienté les jeunes vers l’hévéaculture
Pr. Ziki Koléa prendra ensuite la parole pour montrer pourquoi les Gabia et les Ivoiriens d’horizons diverses n’arrêteront pas de pleurer celui dont il était le plus proche collaborateur. Selon Prof. Ziki Koléa, les jeunes de la tribu Nogogo doivent l’exploitation et la mise en valeur de la terre pour l’hévéaculture à l’ex-ministre Désiré Tagro. L’illustre disparu disposait lui-même de 2500 hectares d’hévéaculture. « Esprit éclairé et indépendant, mais esprit coopératif, Tagro avait compris, dira Prof. Ziki, que la communauté doit participer en connaissance de cause à l’action communautaire qui est la somme des actions individuelles ». Mais Tagro était aussi, selon Prof. Ziki, « un philanthrope, une personne généreuse au grand coeur. Son inépuisable charité a fait de lui la providence de tous les indigents dans cet univers de manque et de privation. Il savait que ce n’est pas en thésaurisant les grains de maïs qu’on est acclamé par la basse-cour ».
La charité de Tagro voyait haut et loin, selon Ziki Koléa. En ce sens qu’on « retrouve sa main dans la création et dans l’existence des œuvres dont plusieurs villages d’Issia et d’ailleurs s’enorgueillissent aujourd’hui : œuvres d’éducation (écoles cantines); œuvres d’assistance sanitaire (maternités, dispensaires) ; œuvres religieuses (équipement de mosquées, d’églises). Bref, des œuvres de préservation et de relèvement. Toutes ont connu son concours soit qu’il en a été le fondateur ou le principal artisan, soit qu’il a dépensé son activité et ses relations pour leur procurer quelques avantages ». C’est pour toutes ces raisons, et pour bien d’autres encore évidemment, a indiqué Pr. Ziki Koléa, que Désiré Tagro était aimé et suivi de et par tous. Comme pour dire, selon un proverbe baoulé, « c’est sur la joyeuse termitière que poussent les champignons ».
Pr. Ziki Koléa a également estimé que l’ex-ministre Désiré Tagro est mort pour la survie de la République. « Laissez-moi, Mesdames et Messieurs, vous dire qu’il est beau celui qui va, sous les yeux de ses camarades ou de ses chefs, porter un ordre. Mais, alors, comment qualifier l’acte sublime de celui qui, sans rien ignorer le danger qu’il court, va arracher la paix au chevet de la mort pour la conservation et la continuité de la vie, de la vie de la nation ? C’est ce que fit Désiré Tagro. Désiré Tagro s’est battu pour la paix. Il est mort pour la paix. Que la paix revienne enfin ! Oh guerre, suspends ton art ! », dira-t-il. Avant de conclure : « Le voilà, le véritable héros dont l’exemplaire démonstration est symptomatique du drame de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. Et ce drame, comme me le confiait un sage, doit permettre à chacun de vous qui êtes ici présents, mais aussi à vous qui êtes là-bas, vous qui vivez encore, d’accepter de relire vos engagements, d’accepter de revoir vos positionnements, d’accepter de reconsidérer vos opinions auxquelles il faut trouver un dénominateur commun qui est la paix, la paix qui passe par la nécessaire et indispensable réconciliation, qui, elle-même, passe par le pardon. Comme le dit l’écriture, là où il y a pardon des péchés, il n’y a plus d’offrande pour le péché. Pourquoi chercher encore d’autres offrandes ? Disons non aux sacrifices qui supplient la vie ! ».
Après ces hommages, c’est à 14 h que le corps de l’ex- ministre Désiré Tagro a été inhumé dans le caveau familial n
Boga Sivori bogasivo@yahoo.fr envoyé spécial à Gabia
notre voie
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